Mais où est passé l'ennemi intérieur ?
Dis papa, c’est quoi le terrorisme ? À peu près la même chose que l’antiterrorisme, ma chérie.
Traqué par les avocats des inculpés du 11 novembre 2008 (affaire des sabotages de lignes TGV), fébrile à l’idée de se voir déssaisi d’un dossier vide mais prestigieux, le juge antiterroriste Thierry Fragnoli s’accroche à ce qu’il a à portée de main : le droit à sa mesure. En vingt pages d’une méritoire argutie juridique datée du 6 mai [Cf. Mediapart], le magistrat s’escrime à prouver qu’il n’est pas incompétent en la matière et que les épiciers de Tarnac sont probablement de dangereux terroros :
«Si le terme “terreur”, particulièrement fort, apparaît comme provoquant une peur collective viscérale dépassant la sphère de l’individu pour toucher l’ensemble d’une population, annihilant sa résistance, avec une connotation quasi physiologique, en revanche, le terme “intimidation”, moins violent et aux conséquences a priori moins graves, inspire cependant de la crainte ou de l’appréhension de nature à dissuader, les organisations ou les individus s’abstenant d’eux-mêmes de certaines actions, ou de s’exprimer, versant ainsi dans une autocensure psychologique. L’intimidation et la terreur ne pouvant cependant se concevoir que par des actes répétés et vécus comme un harcèlement.» [Cf. article page 4]
Mais au fond, de quoi nous cause-t-il, M. le juge ? En un long lapsus, il dévoile les mécanismes de l’arsenal sécuritaire dont il est l’un des rouages. Il révèle, involontairement, les méthodes de gestion du cheptel humain par la peur en période de crise. Thierry Fragnoli, ou comment expliquer le mode actuel de gouvernement aux enfants, en une savoureuse inversion de petit juge — et néanmoins grand poète.
CQFD no 68, juin 2009
Mensuel de critique sociale - En kiosque.