Le monde sans syntaxe de l'UMP
Un délire
Ce sabir encore en titre ministériel, coulé tel chaux vive dans les oreilles citoyennes, constitue en soi, indépendamment même de ce qu’il aspire à signifier, un attentat contre la démocratie. Il est le fourrier démagogique du populisme véritable. Il n’est pas un accident, mais le symptôme éclatant d’une façon de gouverner. Loin de «faire peuple», il proclame le mépris en lequel il tient la langue autant que l’opinion.
Ce mépris vient de haut. On savait la défiance qu’inspire au chef de l’État toute forme d’exigence spirituelle, et tout particulièrement en matière linguistique. De sa répulsion pour certaine Princesse de Clèves à la violence de ses «Casse-toi, pauv’con !» la parlure sarkozienne a suscité, entre autres avatars, le charabia datien, signe d’appartenance à une clique, un clan, une famille dont Nicolas Sarkozy est le parrain. Car, de même que les voyous ont fabriqué des argots, les courtisans et les séides élyséens s’identifient dans ce laisser-aller de leur expression publique — au point que celle d’un Bayrou passera bientôt pour le signe le plus tangible de son «opposition». On prit la peine de le vérifier, tandis que, sur France 5, Serge Moati recevait fin avril Frédéric Lefebvre. En moins de trois minutes, l’homme rogue signa en trois énoncés («le débat politique, il a besoin…», «d’puis qu’chuis élu…» et «on reste pas dans l’Hémicycle pendant qu’ça siège pas»), le décret d’exécution symbolique de la syntaxe.
À cet instant, on se souvint que Frédéric Lefebvre était le porte-parole de l’UMP.
Porte-parole, oui… Qu’on y songe.
Un programme
On y songeait d’autant plus en se remémorant la sentence prononcée la veille par l’écrivain Renaud Camus, invité sur France Culture de l’émission «Question d’éthique» : «Il me semble, disait-il, que nous allons vers un monde sans syntaxe.» Ce monde sans syntaxe et dont la cohérence du discours public ne serait plus le commun dénominateur social, on pourrait le regarder comme le produit d’une fatalité, disons, pédagogique. À moins que les mots hystérisés des Dati, des Sarkozy et des Lefebvre esquissent, plus ou moins empiriquement un programme fondé sur la confusion du sens plus encore que sur le mensonge délibéré.
De même que s’agite le corps du chef, s’emballe la langue de ses valets.
Ainsi agencé dans la négation de la syntaxe, le lexique lui-même se dilue dans la banalisation du contresens, dont le terme de «radicalisation» constitua le mois dernier, jusqu’au funèbre 1er-Mai, le spécimen le plus abouti. Est-ce la propagande ou la simple confusion qui la décréta, dans peu de «séquestrations» — bien douces, au demeurant… — de quelques cadres ?
À considérer le nombre somme toute assez étriqué de «retenues», à l’aune de la déferlante de licenciements, «radicalisation» ne convient guère. A fortiori si l’on considère que nulle de ces «prises d’otages» n’a explicitement visé à la suppression d’un plan social, mais seulement à son aménagement dans moins de suppressions de postes ou plus de primes de départ. La dernière en date, dans une librairie grande surface du Val-d’Oise, avait pour objet le droit à travailler le dimanche. Pas de quoi «impacter», comme disent les barbares néologisant, le moral du Medef… Et plus encore, si l’on prend en compte le ferme encadrement syndical ayant présidé aux «séquestrations», dont aucune, sur les sept ou huit recensées depuis la mi-mars jusqu’au funèbre 1er-Mai, ne se prolongea au-delà de trente-six heures. Et quoi qu’il se dise de l’influence volontiers fantasmée de «l’ultra-gauche»…
Chroniques tarnaciennes
À propos… On festoiera dimanche 17 mai en soutien à Julien Coupat et avec la compagnie Annibal, à l’épicerie de Tarnac, QG de la «cellule invisible» chère à Alliot-Marie. Tandis que le Courrier picard relatait les vingt-trois heures de garde à vue d’un citoyen victime d’un SMS rigolard où il était question de déraillement (Libération du 6 mai), le Canard enchaîné rapportait les cadences infernales des agents provocateurs de la ministre butée. Parmi ses entreprises d’intimidation, l’arrestation, le 28 avril, en pleine rue et pistolet sur la tempe, de Tessa Polak, photographe de 36 ans militant pour la libération de Coupat.
Après 48 heures de garde à vue (elle en fera 76), la jeune femme, nous dit le Monde, jure avoir entendu le juge d’instruction Thierry Fragnoli lui dire : «Ce n’est pas ma faute, mais vous allez payer pour les autres.»
De Rachida Dati, oublions le peu d’appétence pour l’Europe qu’elle était censée venir vendre, ce mercredi-là, devant des «jeunes populaires», lors d’une réunion de plaisante mémoire. Oublions ses rires étouffés de fumeuse de moquette et son arrogante légèreté à l’endroit du pâle Barnier, tête de liste désignée. Mettons cela de côté pour ne considérer que le produit pur, si l’on ose dire, d’une incompétence tardivement rhabillée en «troisième degré», mais pas seulement. «L’Europe s’occupe de ce qu’on lui donne à s’occuper avec les personnes qui peuvent porter ces affaires à s’occuper», c’est, de quelque façon qu’on prétende la justifier, une bouillie qui ferait vomir mon chat.
Ce sabir encore en titre ministériel, coulé tel chaux vive dans les oreilles citoyennes, constitue en soi, indépendamment même de ce qu’il aspire à signifier, un attentat contre la démocratie. Il est le fourrier démagogique du populisme véritable. Il n’est pas un accident, mais le symptôme éclatant d’une façon de gouverner. Loin de «faire peuple», il proclame le mépris en lequel il tient la langue autant que l’opinion.
Ce mépris vient de haut. On savait la défiance qu’inspire au chef de l’État toute forme d’exigence spirituelle, et tout particulièrement en matière linguistique. De sa répulsion pour certaine Princesse de Clèves à la violence de ses «Casse-toi, pauv’con !» la parlure sarkozienne a suscité, entre autres avatars, le charabia datien, signe d’appartenance à une clique, un clan, une famille dont Nicolas Sarkozy est le parrain. Car, de même que les voyous ont fabriqué des argots, les courtisans et les séides élyséens s’identifient dans ce laisser-aller de leur expression publique — au point que celle d’un Bayrou passera bientôt pour le signe le plus tangible de son «opposition». On prit la peine de le vérifier, tandis que, sur France 5, Serge Moati recevait fin avril Frédéric Lefebvre. En moins de trois minutes, l’homme rogue signa en trois énoncés («le débat politique, il a besoin…», «d’puis qu’chuis élu…» et «on reste pas dans l’Hémicycle pendant qu’ça siège pas»), le décret d’exécution symbolique de la syntaxe.
À cet instant, on se souvint que Frédéric Lefebvre était le porte-parole de l’UMP.
Porte-parole, oui… Qu’on y songe.
Un programme
On y songeait d’autant plus en se remémorant la sentence prononcée la veille par l’écrivain Renaud Camus, invité sur France Culture de l’émission «Question d’éthique» : «Il me semble, disait-il, que nous allons vers un monde sans syntaxe.» Ce monde sans syntaxe et dont la cohérence du discours public ne serait plus le commun dénominateur social, on pourrait le regarder comme le produit d’une fatalité, disons, pédagogique. À moins que les mots hystérisés des Dati, des Sarkozy et des Lefebvre esquissent, plus ou moins empiriquement un programme fondé sur la confusion du sens plus encore que sur le mensonge délibéré.
De même que s’agite le corps du chef, s’emballe la langue de ses valets.
Ainsi agencé dans la négation de la syntaxe, le lexique lui-même se dilue dans la banalisation du contresens, dont le terme de «radicalisation» constitua le mois dernier, jusqu’au funèbre 1er-Mai, le spécimen le plus abouti. Est-ce la propagande ou la simple confusion qui la décréta, dans peu de «séquestrations» — bien douces, au demeurant… — de quelques cadres ?
À considérer le nombre somme toute assez étriqué de «retenues», à l’aune de la déferlante de licenciements, «radicalisation» ne convient guère. A fortiori si l’on considère que nulle de ces «prises d’otages» n’a explicitement visé à la suppression d’un plan social, mais seulement à son aménagement dans moins de suppressions de postes ou plus de primes de départ. La dernière en date, dans une librairie grande surface du Val-d’Oise, avait pour objet le droit à travailler le dimanche. Pas de quoi «impacter», comme disent les barbares néologisant, le moral du Medef… Et plus encore, si l’on prend en compte le ferme encadrement syndical ayant présidé aux «séquestrations», dont aucune, sur les sept ou huit recensées depuis la mi-mars jusqu’au funèbre 1er-Mai, ne se prolongea au-delà de trente-six heures. Et quoi qu’il se dise de l’influence volontiers fantasmée de «l’ultra-gauche»…
Chroniques tarnaciennes
À propos… On festoiera dimanche 17 mai en soutien à Julien Coupat et avec la compagnie Annibal, à l’épicerie de Tarnac, QG de la «cellule invisible» chère à Alliot-Marie. Tandis que le Courrier picard relatait les vingt-trois heures de garde à vue d’un citoyen victime d’un SMS rigolard où il était question de déraillement (Libération du 6 mai), le Canard enchaîné rapportait les cadences infernales des agents provocateurs de la ministre butée. Parmi ses entreprises d’intimidation, l’arrestation, le 28 avril, en pleine rue et pistolet sur la tempe, de Tessa Polak, photographe de 36 ans militant pour la libération de Coupat.
Après 48 heures de garde à vue (elle en fera 76), la jeune femme, nous dit le Monde, jure avoir entendu le juge d’instruction Thierry Fragnoli lui dire : «Ce n’est pas ma faute, mais vous allez payer pour les autres.»
Pierre Marcelle - Libération, 15 mai 2009.