À cause d'une serpillière et d'un peu d'alcool à brûler...
Le 22 juin, les trois tourangeaux arrêtés lors du contre-sommet de l’OTAN à Strasbourg, sont de nouveau convoqués devant le tribunal alsacien. Cela ne sera que la troisième fois, pour cette même affaire, qu’ils comparaîtront devant la justice. De là à penser acharnement, il n’y a qu’un pas ! Ils ont été relaxés le 5 mai, pour vice de procédure. Le tribunal à été obligé de reconnaître que ni les flics, ni les greffiers ne savaient correctement recopier le simple numéro d’un article de loi. Le procureur a donc annoncé par voie de presse son intention de les rejuger sur le fond. Sa volonté est de les embastiller. Ils risquent jusqu’à un an de prison ferme, comme l’a déjà requis le porte parole de Dati/Sarkozy.
Mais que font-ils pour mériter tant de zèle de la part de la voix du maître ? S’ils sont convoqués devant la cour, ce n’est pas simplement pour un procès d’intention, ou pour avoir acheter de l’alcool à brûler, des lunettes de protection, et une serpillière, mais bel et bien pour briser leur volonté à s’émanciper du contrôle social toujours plus intense, à construire de nouveaux rapports entre individus, basés sur des solidarités actives, l’entraide et l’égalité sociale. Ce qui est directement mis en cause, c’est leur mode de vie, leurs désirs d’échapper aux formes astreignantes du productivisme, du salariat et à son cortège de misère, dans lequel nous nous sentons tous de plus en plus enfermés.
Le parti de l’ordre, dans l’incapacité de pourvoir à nos besoins et aspirations, tente de limiter, voire d’écraser nos volontés individuelles et collectives. Toutefois l’État en tant qu’architecture froide et sécuritaire, fait face à l’éventualité d’une crise majeure ; celle de la forme actuelle de son outil de contrôle social en passe d’être rendu obsolète par le délabrement de l’économie capitaliste et de l’idéal de vie «petit bourgeois» devenu inaccessible et peu enviable. Le recours aux traditionnelles techniques d’enfermement disciplinaire, à la mise en compétition des individus par le biais du jeu concurrentiel de leurs ambitions, offre une marge de manœuvre de plus en plus limitée. Prisons surchargées, émeutes régulières, discrédit de l’entreprise et de son modèle managerial.
Le véritable risque pour les gouvernants, est que cette crise matérielle s’étende et déborde en une crise institutionnelle et sociale. Les politiques de gestion de la misère (dites politiques sociales…) rencontrent de plus en plus de difficultés à rester crédibles et ce n’est certainement pas «l’armée» des travailleurs sociaux qui y changera quelque chose. Pour l’instant, les organes «représentatifs», tels que les syndicats ou partis, assurent leur fonction d’instrument de la machine «Contrôle», en régulant l’expression politique des frustrations par des manifs spectacles, assurant ainsi la reproduction du présent. Combien de temps tiendront-ils ? Quand serons-nous capables d’initier des ruptures à la hauteur de nos utopies ? Si ces organismes n’arrivent plus à remplir leurs rôles, l’État en sera d’autant plus policier, et certainement même assisté par l’armée. «Le risque inhérent à une telle orientation est que cette société purement fonctionnelle se convertisse à une sorte de totalitarisme de l’efficace» (G. Sainati, U. Schalchli, La décadence sécuritaire, La Fabrique 2007) conduisant à l’instauration progressive d’un nouveau régime de domination et de fascisme.
La construction fantasmagorique d’un «ennemi intérieur», comme action psychologique et stratégie politique permet de justifier la nécessité des mesures prises, l’ingérence sans cesse croissante des autorités dans nos vies et la permanence d’une législation anti-terroriste, dite exceptionnelle. La recherche de peines de «substitution» et le recours au collier électronique, participent tout autant à ce processus de transformation de nos sociétés de contrôle et de maintien de l’ordre. Rien que pour l’année 2008, l’État a procédé à plus de 600.000 gardes à vue. Combien de perquisitions ? De personnes mises sous écoute, sous surveillance ? La répression a pour but de marginaliser et d’éradiquer toutes organisations informelles et surtout de prévenir tous désirs ingouvernables, en imposant le respect du monopole et de l’omniprésence du pouvoir dans toutes les sphères de notre existence.
Les enjeux des logiques contre-insurrectionnelles actuelles sont le contrôle de la population (de leur déplacement, de leur velléité…) et le maintien des cloisons entre les différentes colères et luttes. Les gouvernants agissent en médecins, prodiguant tantôt le médicament police, tantôt le vaccin justice. Dans cette perspective endémique, la «nation» est un corps dont il faut localiser et prémunir de tous les foyers infectieux que nous sommes. Ainsi, ce «corps» resterait «sain» si aucune contestation de l’ordre économique, politique et social n’avait la possibilité de voir le jour. L’un des antivirus qu’est l’enfermement, avec ses possibilités limitées, ne peut être qu’un mode de gestion de crise et de gouvernance à court terme, (du moins nous l’espérons). Celui-ci sclérose «l’imaginaire» des décideurs dans les limites du capitalisme, n’ayant pas d’autres univers à proposer, elle les conduit à nous enfermer toujours plus nombreux et enragés, à l’intérieur des murs carcéraux.
Mais au final n’est-ce pas en leur sein, dans l’œil du cyclone que pourront enfin se briser les barrières sociales ? La rencontre tant attendue de différents milieux sociaux qui, à terme, pourront se radicaliser et laisser libre court à leurs volontés d’émancipation. Nous l’avons notamment vu à Strasbourg, suite aux affrontements et à la convergence festive qui a eu lieu dans le quartier du Neuhoff. Les liens créés au dehors ont pu se développer à l’intérieur.
Serpillières Offensives en Lutte
Tours, le 30 mai 2009.