Entretien avec Benjamin Rosoux
Sabotages SNCF : Pour Benjamin Rosoux,
Julien Coupat est bien victime d’«une vengeance»
Dans une tribune publiée lundi dans Le Monde, Julien Coupat écrit que la prolongation de sa détention est «une petite vengeance». Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ? Autrement dit, pourquoi Julien Coupat est-il toujours incarcéré ?
Ce qui semble s’avérer chaque jour un peu plus c’est que la focalisation sur la personne de Julien Coupat tient à une déformation à la source même de l’enquête préliminaire, qui prend comme hypothèse, dès le départ, son supposé rôle central et le fait suivre en conséquence… Suivez n’importe qui pendant plusieurs mois, et uniquement lui, et vous n’aurez aucun mal à le faire figurer au centre d’une cartographie imaginaire.
Alors oui, je pense que, depuis le 11 novembre, l’acharnement qui se resserre de nouveau toujours plus sur sa personne relève d’une vengeance des services et du parquet qui refusent obstinément d’avouer l’ampleur de leur échec. Outre le postulat invérifiable qu’il serait le chef d’une entité jamais vérifiée, rien ne justifie son maintien en détention.
Dans cette tribune, Julien Coupat assume ses idées et attaque nommément le criminologue et président de l’Observatoire national de la Délinquance Alain Bauer, le directeur de la DCRI Bernard Squarcini, et la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie. Êtes-vous en accord avec cette stratégie de défense ?
De quelle stratégie parlez-vous ? Les enjeux sont différents selon que l’on parle dans la sphère judiciaire ou dans la sphère publique, à la presse par exemple.
Pour ce qui est de la seconde, depuis le début, nous avons pointé du doigt l’offensive politique et judiciaire dont nous faisions l’objet. Sur ce point, je trouve que Julien est plus lucide que violent dans sa tribune. S’il s’agit du simple fait de savoir reconnaître les intérêts de ceux qui cherchent ouvertement à ruiner vos existences au profit de leur petits appétits carriéristes. Alors oui, je suis d’accord avec lui.
Soupçonné par la police d’être l’auteur de L’insurrection qui vient, Julien Coupat apporte une réponse claire : c’est non. Pourquoi a-t-il tant tardé à répondre sur ce point ?
D’une part cette réponse a été donnée au juge depuis bien longtemps. D’autre part, la tribune de Julien est sa première intervention publique.
Comment expliquez-vous alors que les services de police aient continué à évoquer Julien Coupat comme le possible auteur de ce livre ?
Cela fait déjà longtemps qu’ils s’obstinent à vouloir mettre un nom sur ce livre. Il avait déjà servi de pièce à charge dans trois précédentes affaires remontant à 2007, dans lesquelles des personnes avaient été également mises en examen pour «terrorisme». Et, à défaut d’autres charges, il faut bien justifier son maintien en détention…
Comment expliquez-vous que les autres pistes — à commencer par le communiqué posté en Allemagne revendiquant les sabotages — aient été si vite écartées par les enquêteurs ?
Je ne suis pas dans la tête des flics et des magistrats… J’imagine que, comme pour beaucoup d’autres choses dans cette affaire, tout ce qui ne colle pas avec le synopsis des services a été soigneusement écarté, c’est ce qu’on appelle une «instruction à charge».
Ces dernières semaines, les interpellations de personnes présentées comme des «proches» de Julien Coupat se sont multipliées. Elles ont toutes été relâchées sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre elles…
Il y a des opérations de deux types à mon avis. D’un côté, il y a ce qui se présente comme des manœuvres d’intimidation, à peine voilées, sur des gens qui ont publiquement manifesté leur solidarité face à cette opération d’intoxication politique, et qui adressent, par-là même, un message à tous ceux qui le font. De l’autre, il y a l’attaque directe, sur nos proches, pour étayer la thèse fumeuse d’une cellule clandestine. Le mode même sur lequel sont conduites les interpellations participe de la construction de la figure de l’ennemi : «Si on les arrête de cette manière, c’est bien qu’il y a une raison…»
Vous êtes présenté par la police comme le «bras droit» de Julien Coupat. Pourquoi ? Comment expliquez-vous que vous n’ayez pas été gardé en détention comme lui ?
Tout cela reste un mystère pour moi. D’autant que je n’ai pas été interrogé depuis ma sortie de prison en décembre, contrairement à d’autres mis en examen. La police n’a aucun argument pour étayer son affirmation selon laquelle je serais «le bras droit» d’un «chef». Et moi, je ne peux pas prouver ce qui ne peut pas se prouver, à savoir que je ne suis pas le numéro 2 d’un numéro 1 qui n’existe pas. Ce que je sais, c’est que Julien et moi-même étions surveillés depuis longtemps. Comme la plupart des personnes un tant soit peu «militantes» en France, qui s’engagent dans des campagnes contre les expulsions de sans-papiers, les luttes étudiantes, les actions contre les lois sécuritaires…
On vous a interdit de quitter le département de la Manche. Pourquoi cette restriction ? Comment la vivez-vous ?
Mon contrôle judiciaire a été durci récemment parce qu’on a jugé que je recommençais à prendre un peu trop de liberté. Je dois maintenant signer tous les jours à la gendarmerie. Et j’imagine que me couper de toute vie sociale et de la possibilité de penser avec mes camarades la situation qui nous est faite fait partie de leurs motivations. Six mois, ça commence à faire long.
Vous aviez refusé en mars, comme les autres mis en cause dans cette affaire, de répondre aux questions des juges d’instruction tant que Julien Coupat serait considéré comme le «chef» de votre groupe. Qu’en est-il de vos rapports aujourd’hui avec la justice ?
Nous nous tenons toujours à cette décision, rien dans l’attitude des juges ne laissant présager qu’ils reviennent sur les constructions littéraires du parquet anti-terroriste.
Mathieu Burnel, l’un des neuf mis en examen, a indiqué qu’il renforçait sa défense sur le plan juridique et politique. Julien Coupat va être, lui, défendu par plus d’avocats. Et vous ?
Mathieu parlait, je crois, de façon plus générale. C’est la défense dans son ensemble qui devrait être renforcée. Nous refusons jusqu’à présent, dans la mesure de ce qui nous est accessible, l’individualisation de traitement qui est à l’œuvre du côté de la justice. Cette procédure est absurde d’un bout à l’autre, elle ne tient la route pour aucun d’entre nous.
Pour ce qui est de notre défense, les récentes informations selon lesquelles Julien aurait deux nouveaux avocats et qu’il aurait été en rapport avec les ex-inculpés de l’Arche de Zoé sont incorrectes.
Vous avez des contacts avec Julien Coupat ? Croyez-vous qu’il pourrait être remis en liberté bientôt ?
Je n’ai de nouvelles que très indirectes, et j’ai abandonné depuis longtemps l’astrologie judiciaire !
Des comités vous soutiennent. Qu’en est-il de la classe politique ?
Laissons la classe politique tenter de se soutenir elle-même, elle en a plus besoin que nous. La seule issue pour nous est de participer à une articulation entre les luttes et les fractions de la population aux prises avec l’appareil répressif dans son ensemble. Pour le faire reculer en défaisant ses opérations de division, qui ciblent des groupes repoussoirs en les surdéterminant, les «anarcho-autonomes», les «bandes de cités», les «casseurs»…
Julien Coupat est bien victime d’«une vengeance»
Exclusif. Présenté par les services de police comme «le bras droit» de Julien Coupat, Benjamin Rosoux revient pour nouvelobs.com sur l’affaire des sabotages SNCF. Il accuse «l’appareil répressif» d’«intoxiquer» avec une «thèse fumeuse».
Dans une tribune publiée lundi dans Le Monde, Julien Coupat écrit que la prolongation de sa détention est «une petite vengeance». Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ? Autrement dit, pourquoi Julien Coupat est-il toujours incarcéré ?
Ce qui semble s’avérer chaque jour un peu plus c’est que la focalisation sur la personne de Julien Coupat tient à une déformation à la source même de l’enquête préliminaire, qui prend comme hypothèse, dès le départ, son supposé rôle central et le fait suivre en conséquence… Suivez n’importe qui pendant plusieurs mois, et uniquement lui, et vous n’aurez aucun mal à le faire figurer au centre d’une cartographie imaginaire.
Alors oui, je pense que, depuis le 11 novembre, l’acharnement qui se resserre de nouveau toujours plus sur sa personne relève d’une vengeance des services et du parquet qui refusent obstinément d’avouer l’ampleur de leur échec. Outre le postulat invérifiable qu’il serait le chef d’une entité jamais vérifiée, rien ne justifie son maintien en détention.
Dans cette tribune, Julien Coupat assume ses idées et attaque nommément le criminologue et président de l’Observatoire national de la Délinquance Alain Bauer, le directeur de la DCRI Bernard Squarcini, et la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie. Êtes-vous en accord avec cette stratégie de défense ?
De quelle stratégie parlez-vous ? Les enjeux sont différents selon que l’on parle dans la sphère judiciaire ou dans la sphère publique, à la presse par exemple.
Pour ce qui est de la seconde, depuis le début, nous avons pointé du doigt l’offensive politique et judiciaire dont nous faisions l’objet. Sur ce point, je trouve que Julien est plus lucide que violent dans sa tribune. S’il s’agit du simple fait de savoir reconnaître les intérêts de ceux qui cherchent ouvertement à ruiner vos existences au profit de leur petits appétits carriéristes. Alors oui, je suis d’accord avec lui.
Soupçonné par la police d’être l’auteur de L’insurrection qui vient, Julien Coupat apporte une réponse claire : c’est non. Pourquoi a-t-il tant tardé à répondre sur ce point ?
D’une part cette réponse a été donnée au juge depuis bien longtemps. D’autre part, la tribune de Julien est sa première intervention publique.
Comment expliquez-vous alors que les services de police aient continué à évoquer Julien Coupat comme le possible auteur de ce livre ?
Cela fait déjà longtemps qu’ils s’obstinent à vouloir mettre un nom sur ce livre. Il avait déjà servi de pièce à charge dans trois précédentes affaires remontant à 2007, dans lesquelles des personnes avaient été également mises en examen pour «terrorisme». Et, à défaut d’autres charges, il faut bien justifier son maintien en détention…
Comment expliquez-vous que les autres pistes — à commencer par le communiqué posté en Allemagne revendiquant les sabotages — aient été si vite écartées par les enquêteurs ?
Je ne suis pas dans la tête des flics et des magistrats… J’imagine que, comme pour beaucoup d’autres choses dans cette affaire, tout ce qui ne colle pas avec le synopsis des services a été soigneusement écarté, c’est ce qu’on appelle une «instruction à charge».
Ces dernières semaines, les interpellations de personnes présentées comme des «proches» de Julien Coupat se sont multipliées. Elles ont toutes été relâchées sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre elles…
Il y a des opérations de deux types à mon avis. D’un côté, il y a ce qui se présente comme des manœuvres d’intimidation, à peine voilées, sur des gens qui ont publiquement manifesté leur solidarité face à cette opération d’intoxication politique, et qui adressent, par-là même, un message à tous ceux qui le font. De l’autre, il y a l’attaque directe, sur nos proches, pour étayer la thèse fumeuse d’une cellule clandestine. Le mode même sur lequel sont conduites les interpellations participe de la construction de la figure de l’ennemi : «Si on les arrête de cette manière, c’est bien qu’il y a une raison…»
Vous êtes présenté par la police comme le «bras droit» de Julien Coupat. Pourquoi ? Comment expliquez-vous que vous n’ayez pas été gardé en détention comme lui ?
Tout cela reste un mystère pour moi. D’autant que je n’ai pas été interrogé depuis ma sortie de prison en décembre, contrairement à d’autres mis en examen. La police n’a aucun argument pour étayer son affirmation selon laquelle je serais «le bras droit» d’un «chef». Et moi, je ne peux pas prouver ce qui ne peut pas se prouver, à savoir que je ne suis pas le numéro 2 d’un numéro 1 qui n’existe pas. Ce que je sais, c’est que Julien et moi-même étions surveillés depuis longtemps. Comme la plupart des personnes un tant soit peu «militantes» en France, qui s’engagent dans des campagnes contre les expulsions de sans-papiers, les luttes étudiantes, les actions contre les lois sécuritaires…
On vous a interdit de quitter le département de la Manche. Pourquoi cette restriction ? Comment la vivez-vous ?
Mon contrôle judiciaire a été durci récemment parce qu’on a jugé que je recommençais à prendre un peu trop de liberté. Je dois maintenant signer tous les jours à la gendarmerie. Et j’imagine que me couper de toute vie sociale et de la possibilité de penser avec mes camarades la situation qui nous est faite fait partie de leurs motivations. Six mois, ça commence à faire long.
Vous aviez refusé en mars, comme les autres mis en cause dans cette affaire, de répondre aux questions des juges d’instruction tant que Julien Coupat serait considéré comme le «chef» de votre groupe. Qu’en est-il de vos rapports aujourd’hui avec la justice ?
Nous nous tenons toujours à cette décision, rien dans l’attitude des juges ne laissant présager qu’ils reviennent sur les constructions littéraires du parquet anti-terroriste.
Mathieu Burnel, l’un des neuf mis en examen, a indiqué qu’il renforçait sa défense sur le plan juridique et politique. Julien Coupat va être, lui, défendu par plus d’avocats. Et vous ?
Mathieu parlait, je crois, de façon plus générale. C’est la défense dans son ensemble qui devrait être renforcée. Nous refusons jusqu’à présent, dans la mesure de ce qui nous est accessible, l’individualisation de traitement qui est à l’œuvre du côté de la justice. Cette procédure est absurde d’un bout à l’autre, elle ne tient la route pour aucun d’entre nous.
Pour ce qui est de notre défense, les récentes informations selon lesquelles Julien aurait deux nouveaux avocats et qu’il aurait été en rapport avec les ex-inculpés de l’Arche de Zoé sont incorrectes.
Vous avez des contacts avec Julien Coupat ? Croyez-vous qu’il pourrait être remis en liberté bientôt ?
Je n’ai de nouvelles que très indirectes, et j’ai abandonné depuis longtemps l’astrologie judiciaire !
Des comités vous soutiennent. Qu’en est-il de la classe politique ?
Laissons la classe politique tenter de se soutenir elle-même, elle en a plus besoin que nous. La seule issue pour nous est de participer à une articulation entre les luttes et les fractions de la population aux prises avec l’appareil répressif dans son ensemble. Pour le faire reculer en défaisant ses opérations de division, qui ciblent des groupes repoussoirs en les surdéterminant, les «anarcho-autonomes», les «bandes de cités», les «casseurs»…
Interview de Benjamin Rosoux par Sarah Halifa-Legrand
Le Nouvel Observateur, 27 mai 2009.