L'imposture des masques
Identité, diversité : la contre-révolution culturelle
La victoire de la droite au-delà des élections :
le réarmement idéologique
La victoire actuellement écrasante de la droite n’est pas seulement et essentiellement électoraliste — elle est avant tout affaire d’hégémonie politique et culturelle. Elle est due à la déstabilisation du salariat, mais aussi à un profond toilettage idéologique. C’est très largement en s’inspirant du travail de ce qu’on a appelé la Nouvelle droite, la vieille extrême droite française qui a fait peau neuve, que la droite décomplexée a opéré sa mue idéologique.
Après la guerre d’Algérie, l’extrême droite est défaite. C’est à une réflexion sur la façon de reconquérir les esprits qu’elle s’attelle dans les années 1970 avec la constitution de groupes comme le Club de l’Horloge ou le GRECE (Groupe de recherche sur la culture européenne) en n’hésitant pas à reprendre à son compte et en les détournant des idées de gauche voire d’extrême gauche. Le discours de Sarkozy sur l’identité nationale, sur la France qui doit en finir avec la repentance coloniale, ses citations de Jean Jaurès ou du philosophe marxiste italien Antonio Gramsci vont dans ce sens. La défense actuelle de la diversité culturelle, les analyses culturalistes, l’abandon de l’universalisme républicain abstrait au profit d’un relativisme culturel qui l’est tout autant et qui nourrit toutes les séparations sociales en même tant qu’il favorise les pires formes de clientélisme politique, est typique d’une nouvelle façon de masquer en France la question sociale qui, de fait, n’apparaît plus que comme question culturelle.
Le culturalisme différentialiste fige les individus dans des identités imposées par les pouvoirs politiques, inventées ou instrumentalisées par le capitalisme qui se sert de ces fantasmes identitaires pour segmenter le marché. N’a-t-on pas aujourd’hui des marchandises destinées aux Africains, aux homosexuels, aux Arabes, etc. ? Les replis communautaires auxquels nous assistons sont liés à l’effacement des autres formes d’appartenance sociale, l’appartenance de classe notamment. L’homme a en effet peur du vide, surtout à une époque où nous sommes confrontés à la survie au sens fort du terme : trouver un travail pour subsister, se loger et nourrir sa famille. Mais ceci n’enlève pas le sentiment de vacuité et de détresse face à l‘incertitude de la guerre de tous contre tous qui est bien la marque de l’état de terreur dans lequel nous plonge en permanence le capitalisme globalisé.
Cette façon typiquement droitière de penser s’est vite imposée à la gauche institutionnelle qui y a vu un moyen de contourner la question sociale. On se souvient qu’au début des années 1980, une partie de la jeunesse des quartiers populaires descendait dans la rue sur une base clairement politique : la fin du racisme et l’égalité sociale effective pour tous. La contestation monta pour déboucher sur la marche des «beurs». Très vite la gauche au pouvoir créa SOS racisme pour encadrer le mouvement et organisa des fêtes de «soutien». Le pouvoir de gauche avait en effet une stratégie claire reposant sur la dépolitisation de la question sociale par sa transformation en simple problème culturel. On reconnaît là l’indignation humanitaire paternaliste, moralisante et bien peu politique de la gauche qui n’est qu’une transposition dans un autre contexte historique de l’universalisme abstrait de l’époque de l’affaire Dreyfus. Car le penchant de la gauche parlementaire pour les discours abstraits coupés de la réalité sociale et qui visent à enfouir ce qui a réellement de l’importance, la question économique et le devenir social, ne date pas d’hier. Le ralliement à la république du centre, c’est-à-dire des propriétaires, la Troisième République, la «meilleure des républiques», celle qui divise le moins les Français comme le dira Adolphe Thiers, le boucher de la Commune, date de l’Affaire Dreyfus. À la fin du XIXe siècle, comme le fait remarquer justement Louis Janover, les socialistes de parti ont tendance à s’en tenir à la défense d’un universalisme très abstrait et à délaisser la question sociale. La mise en avant de la justice et les incantations sur la nécessaire amélioration de la condition de la classe laborieuse et autres «blablas» philanthropiques en sont un exemple [Louis Janover. La Démocratie comme science fiction de la politique, Arles : 2007, Éditions Sulliver. Cet universalisme abstrait comme évitement de la question sociale ou simplement du conflit peut encore servir. À la fin des grèves de 2003 à propos de la réforme des retraites, on a vu ressurgir fort opportunément l’affaire du voile dans un établissement scolaire de Seine-Saint-Denis. Cette «affaire» a fait aussitôt les gorges chaudes des médias. Ces derniers ont eu tôt fait d’évacuer la question sociale au profit de la défense de la laïcité, qui renvoie à ce même universalisme abstrait et constitue un élément déterminant de l’idéologie de la «république du centre». Cette question du voile en période de conflit social a divisé les enseignants engagés dans les luttes et aussi opposé des militants qui sont tombés dans le panneau, ou plutôt ont sauté à pieds joints dans ce qui aura été une sortie de crise honorable pour le pouvoir…].
La dépolitisation des questions sociales essentielles, à commencer par l’économie (que produit-on, comment, pourquoi et à quel coût écologique et humain), leur naturalisation en tant que principe de réalité incontournable contre lequel on ne peut rien, remarquable si on considère que la délinquance (les comportements déviants comme disent les experts autorisés de la chose) est en passe de devenir une maladie mentale, encore une façon très «nouvelle droite» de nier les conséquences sociales engendrées par le système, a accompagné des politiques de régression sociale menées de façon systématique par la gauche et par la droite depuis les années 1980.
Cette tendance à traiter la question sociale comme un problème culturel, sa gestion identitaire, s’impose maintenant sur la scène politique et joue un rôle intégrateur de plus en plus important dans l’espace politique dominant. L’instrumentalisation politique de l’identité sert toutes les séparations sociales ainsi que leur approfondissement.
Reconnaissance des identités ou égalité sociale ?
La constitution d’un groupe comme les Indigènes de la République est assez caractéristique de la pénétration politique des conceptions de type communautariste. Le livre de Sadri Khiari, Pour une politique de la racaille, analyse de façon systématique la question sociale comme fait culturel. Il écrit par exemple : «Ce n’est pas parce que le système est capitaliste que les indigènes sont plus exploités que d’autres, c’est parce qu’ils sont indigènes qu’ils sont surexploités.» [Pour une politique de la racaille (immigrés, indigènes et jeunes de banlieue), Textuel, 2006, p. 106]
Le terme «indigène» est en lui-même très critiquable parce que, contrairement à ce que l’auteur affirme, l’État républicain, dans sa logique dominatrice propre à notre époque, ne reconnaît que des individus qui sont des citoyens français et d’autres qui ne le sont pas. La forme que prend aujourd’hui la domination n’est pas réductible à l’oppression coloniale, pas seulement en tout cas. Ensuite, c’est une façon de reprendre les catégories du «champ politique des blancs» pour parler comme l’auteur, alors même qu’il appelle au développement d’un espace politique «non blanc». Cette façon de voir les immigrés en général est gênante parce qu’elle s’inscrit dans la même logique totalisante que ceux qui défendent une conception essentialiste et raciste dans les rapports à l’autre : les Noirs, les Arabes, les Européens. Par ailleurs, quoiqu’en disent les Indigènes de la République, les sans-papiers qui luttent pour leur régularisation ont plus en commun avec des lycéens luttant contre le Contrat de première embauche (CPE) qu’avec des flics «issus de la diversité» qui n’hésitent pas à les réprimer sans se soucier de la couleur de leur peau. Khiari ne semble pas voir que le racisme est une construction sociale qui est liée à la perception de soi et des autres. On pourrait par ailleurs répondre tout aussi bien à l’auteur que ce n’est pas une «culture indigène» qui est exploitée, mais une main d’œuvre immigrée bon marché. Le racisme s’inscrit bien dans le système de production et d’échange capitaliste qui hiérarchise et distribue le pouvoir et les places de façon inégalitaire : il est une composante du système. On ne pourra pas supprimer le racisme sans repenser les relations humaines en dehors du système actuel d’exploitation de l’homme par l’homme.
Sadri Khiari parle d’un «champ politique blanc» sans d’ailleurs être très explicite sur ce qu’il faut entendre par là. En tout cas il ne dit rien sur ce que pourrait être un «champ politique indigène» tout court parce qu’il est impossible de le concevoir sur une base identitaire. Toute communauté instituée à partir de l’identité est en même temps exclusive. Il y a le beau roman de Toni Morrison, Paradis, qui en dit plus là-dessus que beaucoup d’études ethnologiques ou sociologiques. Dans l’Oklahoma, au milieu de nulle part, une communauté de noirs affranchis crée une ville nouvelle, un paradis duquel les blancs ont été chassés. Mais bientôt la télévision, l’alcool et la musique sont exclus. Et puis on en vient à se méfier des métis et les hommes imposent leurs lois aux femmes. Cinq d’entre elles sont accusées de sorcellerie et exécutées. Incapables d’échapper au racisme et au sectarisme, comme si coupés du «monde des blancs» celui-ci finissait pourtant toujours par les rattraper, des hommes massacrent ces femmes parce qu’elles sont étrangères et, de ce fait, considérées comme ennemies de la communauté.
On pourrait concevoir une communauté d’Égaux comme espace public oppositionnel, mais elle serait alors une communauté vide de toute référence à une identité figée et donnée une fois pour toute, ouverte et en construction permanente. Plutôt qu’une communauté particulière, elle serait une communauté faite de singularités quelconques, réunissant des individus acquis à l’idée de la nécessité de renverser toutes les valeurs dominantes : le travail aliéné, le productivisme, la distribution inégalitaire du pouvoir, les rapports sociaux de domination d’ordre sexuel, racial ou autre. Ce qui nous manque c’est une reconnaissance réciproque à la base, y compris avec nos différences, et pas une reconnaissance de l’État.
Sadri Khiari a raison de souligner que les émeutes qui ont touché certaines banlieues françaises pendant l’automne 2005 ont donné lieu à une gestion communautaire, sinon post-coloniale, d’un problème politique et social. Mais en plaçant le combat politique sur le terrain où l’État l’attend, il prend le risque d’être récupéré par un système qui n’en finit pas de se nourrir des identités soit pour ouvrir de nouveaux espaces à la société spectaculaire marchande, soit pour entretenir ou renforcer les séparations sociales. Et quand il revendique le vieux nationalisme tiers-mondiste comme héritage, il fait comme si les luttes de libération nationale n’avaient pas débouché un peu partout sur de nouvelles formes d’oppression. Car pour avoir changé d’aspect, les tyrannies n’en restent pas moins répugnantes.
Mais il y a encore autre chose. Les garants du système capitaliste pourraient accepter totalement le respect de la diversité culturelle sans que cela ait la moindre conséquence sur la question sociale ou implique une remise en cause de l’édifice. En fait, la diversité concerne toujours les mêmes classes sociales, les classes moyennes supérieures et la bourgeoisie, les classes populaires étant tenues à l’écart. Et quand elles sont concernées, c’est pour faire des
exemples et entretenir l’illusion en élevant la représentation des «minorités visibles», pour parler comme le pouvoir, sinon tous les pouvoirs maintenant, au rang de véritable idéologie. Une croyance vient ici entretenir la confusion et la fausse conscience : l’idée que toutes les cultures se valent, qu’elles sont par essence égales. Une société qui serait «multiculturelle» ne saurait donc être hiérarchisée. De ce point de vue, un monde divisé en cultures ne pourrait pas se concevoir comme inégal si les cultures étaient équitablement représentées dans leur diversité. On voit bien ici le rôle idéologique que joue le culturalisme parce que si tel était le cas, le monde n’en continuerait pas moins d’être inégalitaire. Mieux : il le serait de plus en plus parce que la gestion capitaliste de l’identité viendrait légitimer les inégalités. C’est le principe ultraréactionnaire qui prétend que ceux qui restent pauvres n’ont rien fait pour sortir de la misère sociale et culturelle. Au fond, c’est ce qui se cache derrière le concept d’égalité des chances qui finit par effacer totalement l’idée d’égalité sociale ou d’égalitarisme, principe anticapitaliste s’il en est.
Sous la braise et sous la cendre :
le rêve de libération dans les consciences entrouvertes
En Patagonie, Benetton a racheté les terres des Indiens Mapuches pour y pratiquer l’élevage du mouton. On trouve en effet dans cette région la meilleure laine du monde. Les Indiens sont salariés par Benetton et travaillent pour une misère. Pourtant, pour bien montrer que Benetton respecte toutes les cultures, la multinationale n’a pas tardé à consacrer une partie de ses fonds à la création d’un musée de la Patagonie. On devine déjà sans trop d’efforts ce qui arriverait si les Indiens Mapuches, au nom de la justice sociale, venaient à brûler le musée et à s’emparer des terres pour se les approprier. Benetton qui respecte la diversité culturelle pour mieux continuer à exploiter les hommes ferait appel à l’armée au nom de la défense de la Loi sacrée de la propriété privée.
La grève générale qui a pris la forme d’un véritable soulèvement populaire en Guadeloupe et en Martinique vient nous rappeler la centralité de la question sociale dans les sociétés capitalistes avancées. Si l’on regarde la plateforme du LKP, le collectif qui a mené la lutte en Guadeloupe, on s’aperçoit qu’elle n’a rien de révolutionnaire. Il s’agit d’un programme de réformes qui ne met nullement en cause les principes du capitalisme, mais seulement sa logique actuelle, c’est-à-dire son caractère totalitaire, sa tendance à faire du monde entier sa
chasse gardée. Le collectif cherche à remettre l’économie à sa place, à encadrer la logique capitaliste.
La plateforme du LKP se décline en 10 points qui vont des conditions de vie à des revendications d’ordre culturel en passant par les services publics, le logement, l’éducation, des mesures visant à limiter la «pwofitasyon», autrement dit l’enrichissement. Mais les revendications de type culturel ne figurent qu’en neuvième position. On le sait, c’est sur l’augmentation de 200 euros sur les petits salaires que le bras de fer s’est engagé entre le patronat et l’État d’une part, le LKP d’autre part. C’est donc bien à un retour de la question sociale que nous avons assisté et non à la montée de demandes identitaires, même si elles existent bien tant la perpétuation de l’ordre colonial est évidente aux Antilles. Car la Guadeloupe est mise en coupe réglée par une poignée d’accapareurs qui sont souvent les descendants des propriétaires d’esclaves : 1% de la population possède 40% de l’économie. Mais le conflit n’oppose pas les Noirs ou les métis aux Blancs, mais bien ceux qui n’ont rien aux possédants.
Pour tenter d’éluder le fond du problème, l’État a mis en avant la question de l’autonomie, l’indépendance, en portant le débat sur le terrain de l’identité. Mais rien n’y a fait étant donné que l’enrichissement de quelques-uns par l’exploitation intégrale du peuple condamné à la survie la plus totale reste une réalité tenace, tangible et vérifiable. Ici la domination a un ou des visages facilement identifiables, ce qui n’a sans doute pas compté qu’un peu dans l’ampleur du mouvement de révolte. De ce point de vue, la lutte du peuple guadeloupéen est exemplaire parce qu’il a su s’organiser pour contester le système d’exploitation qui, avant d’être racial, n’en déplaise aux tenants du culturalisme, est bien capitaliste.
Les gangsters et autres spécialistes en razzias planétaires prétendent maintenant que les membres du LKP seraient racistes parce qu’ils entendent accorder la préférence à l’embauche aux Guadeloupéens. On pourrait faire remarquer que 30 à 40% des jeunes guadeloupéens sont au chômage. Et surtout, un État qui organise tous les jours de l’année la chasse aux immigrés et qui abrite un ministère de l’Identité nationale n’a pas de leçons à donner en matière de racisme. Le LKP demande en tous cas dans sa plateforme qu’il soit mis fin aux abominations à l’encontre des travailleurs étrangers, point qui pourrait être repris en métropole, comme bien des points d’ailleurs figurant dans ce programme tant l’exploitation et la domination nous condamnent à l’innommable.
Parmi les composantes du LKP figure l’UGTG. Créée en 1973, la centrale syndicale énonce dans ses conceptions et orientations :
Évidemment toute comparaison avec la situation en métropole ne pourrait être le fait que d’un cerveau malade tout juste bon pour l’internement. Il est vrai que pas une fois les bureaucraties syndicales n’ont failli contre l’État et les capitalistes. Une fois non, des centaines de fois plus sûrement. Et d’ailleurs leur silence sur la révolte aux Antilles en dit plus long que n’importe quel réquisitoire à l’heure où la seule arme à opposer au malheur permanent est la grève générale sans condition. Quand il se passe quelque chose plutôt que rien, les bureaucrates font la seule chose qu’ils sachent faire : les morts. Et quand il ne se passe rien, ils courent comme la volaille à qui on a coupé la tête pour faire croire qu’ils sont en vie.
Mais la plateforme du LKP s’en tient au réformisme, à une limitation des effets dévastateurs du capitalisme, comme si nos vies ne valaient pas plus qu’un aménagement de la misère, un peu de chaleur au fond du trou. L’égalité sociale ne suffit pas, il faut encore la dignité humaine. Or cette dignité, nous ne la conquerrons que si nous sortons de la société marchande qui rabaisse l’homme au rang de misérable objet.
C’est tout l’intérêt du texte signé par une dizaine d’écrivains et intellectuels antillais intitulé Manifeste pour les «produits» de haute nécessité. Dénonçant un système d’exploitation de l’homme par l’homme tendant vers la déshumanisation complète, le manifeste condamne un monde entièrement prosaïque où tout tient dans un code barre qui exclut ce qui ne saurait se réduire à la valeur marchande : la poésie et les créations authentiquement humaines. Ils appellent à rompre avec une religion, la marchandise, qui ne mine pas seulement notre propre humanité mais aussi notre avenir : la Terre, cette part extérieure de nous-mêmes qui nous est indispensable à moins d’être dénaturés complètement. Or le ressaisissement de notre humanité passe par la généralisation de la gratuité contre la croissance sans fin qui s’accompagne de la production d’une domination monstrueuse aux allures de Golem anonyme.
La seule vraie solution à la question sociale,
c’est la révolution. Mais laquelle ?
Plutôt que de courir après le pire des cauchemars possibles, celui de notre destruction, nous pouvons encore, la conscience entrouverte, renouer avec le rêve sans âge de libération dans le battement de l’instant, comme le prouve le soulèvement populaire aux Antilles.
Le manifeste antillais réactualise dans le présent l’idée de Révolution en lui redonnant une signification anthropologique. Il n’y aura en effet pas de rupture radicale avec l’ordre capitaliste sans révolution dans la façon de comprendre notre humanité, de concevoir nos relations entre nous les hommes et nos relations avec la Terre. Alors nous pourrons déposséder de leur pouvoir tous les maîtres et leurs stipendiés petits et grands qui prétendent faire tenir notre passé, notre présent et notre avenir entre leurs mains sales.
La victoire de la droite au-delà des élections :
le réarmement idéologique
La victoire actuellement écrasante de la droite n’est pas seulement et essentiellement électoraliste — elle est avant tout affaire d’hégémonie politique et culturelle. Elle est due à la déstabilisation du salariat, mais aussi à un profond toilettage idéologique. C’est très largement en s’inspirant du travail de ce qu’on a appelé la Nouvelle droite, la vieille extrême droite française qui a fait peau neuve, que la droite décomplexée a opéré sa mue idéologique.
Après la guerre d’Algérie, l’extrême droite est défaite. C’est à une réflexion sur la façon de reconquérir les esprits qu’elle s’attelle dans les années 1970 avec la constitution de groupes comme le Club de l’Horloge ou le GRECE (Groupe de recherche sur la culture européenne) en n’hésitant pas à reprendre à son compte et en les détournant des idées de gauche voire d’extrême gauche. Le discours de Sarkozy sur l’identité nationale, sur la France qui doit en finir avec la repentance coloniale, ses citations de Jean Jaurès ou du philosophe marxiste italien Antonio Gramsci vont dans ce sens. La défense actuelle de la diversité culturelle, les analyses culturalistes, l’abandon de l’universalisme républicain abstrait au profit d’un relativisme culturel qui l’est tout autant et qui nourrit toutes les séparations sociales en même tant qu’il favorise les pires formes de clientélisme politique, est typique d’une nouvelle façon de masquer en France la question sociale qui, de fait, n’apparaît plus que comme question culturelle.
Le culturalisme différentialiste fige les individus dans des identités imposées par les pouvoirs politiques, inventées ou instrumentalisées par le capitalisme qui se sert de ces fantasmes identitaires pour segmenter le marché. N’a-t-on pas aujourd’hui des marchandises destinées aux Africains, aux homosexuels, aux Arabes, etc. ? Les replis communautaires auxquels nous assistons sont liés à l’effacement des autres formes d’appartenance sociale, l’appartenance de classe notamment. L’homme a en effet peur du vide, surtout à une époque où nous sommes confrontés à la survie au sens fort du terme : trouver un travail pour subsister, se loger et nourrir sa famille. Mais ceci n’enlève pas le sentiment de vacuité et de détresse face à l‘incertitude de la guerre de tous contre tous qui est bien la marque de l’état de terreur dans lequel nous plonge en permanence le capitalisme globalisé.
Cette façon typiquement droitière de penser s’est vite imposée à la gauche institutionnelle qui y a vu un moyen de contourner la question sociale. On se souvient qu’au début des années 1980, une partie de la jeunesse des quartiers populaires descendait dans la rue sur une base clairement politique : la fin du racisme et l’égalité sociale effective pour tous. La contestation monta pour déboucher sur la marche des «beurs». Très vite la gauche au pouvoir créa SOS racisme pour encadrer le mouvement et organisa des fêtes de «soutien». Le pouvoir de gauche avait en effet une stratégie claire reposant sur la dépolitisation de la question sociale par sa transformation en simple problème culturel. On reconnaît là l’indignation humanitaire paternaliste, moralisante et bien peu politique de la gauche qui n’est qu’une transposition dans un autre contexte historique de l’universalisme abstrait de l’époque de l’affaire Dreyfus. Car le penchant de la gauche parlementaire pour les discours abstraits coupés de la réalité sociale et qui visent à enfouir ce qui a réellement de l’importance, la question économique et le devenir social, ne date pas d’hier. Le ralliement à la république du centre, c’est-à-dire des propriétaires, la Troisième République, la «meilleure des républiques», celle qui divise le moins les Français comme le dira Adolphe Thiers, le boucher de la Commune, date de l’Affaire Dreyfus. À la fin du XIXe siècle, comme le fait remarquer justement Louis Janover, les socialistes de parti ont tendance à s’en tenir à la défense d’un universalisme très abstrait et à délaisser la question sociale. La mise en avant de la justice et les incantations sur la nécessaire amélioration de la condition de la classe laborieuse et autres «blablas» philanthropiques en sont un exemple [Louis Janover. La Démocratie comme science fiction de la politique, Arles : 2007, Éditions Sulliver. Cet universalisme abstrait comme évitement de la question sociale ou simplement du conflit peut encore servir. À la fin des grèves de 2003 à propos de la réforme des retraites, on a vu ressurgir fort opportunément l’affaire du voile dans un établissement scolaire de Seine-Saint-Denis. Cette «affaire» a fait aussitôt les gorges chaudes des médias. Ces derniers ont eu tôt fait d’évacuer la question sociale au profit de la défense de la laïcité, qui renvoie à ce même universalisme abstrait et constitue un élément déterminant de l’idéologie de la «république du centre». Cette question du voile en période de conflit social a divisé les enseignants engagés dans les luttes et aussi opposé des militants qui sont tombés dans le panneau, ou plutôt ont sauté à pieds joints dans ce qui aura été une sortie de crise honorable pour le pouvoir…].
La dépolitisation des questions sociales essentielles, à commencer par l’économie (que produit-on, comment, pourquoi et à quel coût écologique et humain), leur naturalisation en tant que principe de réalité incontournable contre lequel on ne peut rien, remarquable si on considère que la délinquance (les comportements déviants comme disent les experts autorisés de la chose) est en passe de devenir une maladie mentale, encore une façon très «nouvelle droite» de nier les conséquences sociales engendrées par le système, a accompagné des politiques de régression sociale menées de façon systématique par la gauche et par la droite depuis les années 1980.
Cette tendance à traiter la question sociale comme un problème culturel, sa gestion identitaire, s’impose maintenant sur la scène politique et joue un rôle intégrateur de plus en plus important dans l’espace politique dominant. L’instrumentalisation politique de l’identité sert toutes les séparations sociales ainsi que leur approfondissement.
Reconnaissance des identités ou égalité sociale ?
La constitution d’un groupe comme les Indigènes de la République est assez caractéristique de la pénétration politique des conceptions de type communautariste. Le livre de Sadri Khiari, Pour une politique de la racaille, analyse de façon systématique la question sociale comme fait culturel. Il écrit par exemple : «Ce n’est pas parce que le système est capitaliste que les indigènes sont plus exploités que d’autres, c’est parce qu’ils sont indigènes qu’ils sont surexploités.» [Pour une politique de la racaille (immigrés, indigènes et jeunes de banlieue), Textuel, 2006, p. 106]
Le terme «indigène» est en lui-même très critiquable parce que, contrairement à ce que l’auteur affirme, l’État républicain, dans sa logique dominatrice propre à notre époque, ne reconnaît que des individus qui sont des citoyens français et d’autres qui ne le sont pas. La forme que prend aujourd’hui la domination n’est pas réductible à l’oppression coloniale, pas seulement en tout cas. Ensuite, c’est une façon de reprendre les catégories du «champ politique des blancs» pour parler comme l’auteur, alors même qu’il appelle au développement d’un espace politique «non blanc». Cette façon de voir les immigrés en général est gênante parce qu’elle s’inscrit dans la même logique totalisante que ceux qui défendent une conception essentialiste et raciste dans les rapports à l’autre : les Noirs, les Arabes, les Européens. Par ailleurs, quoiqu’en disent les Indigènes de la République, les sans-papiers qui luttent pour leur régularisation ont plus en commun avec des lycéens luttant contre le Contrat de première embauche (CPE) qu’avec des flics «issus de la diversité» qui n’hésitent pas à les réprimer sans se soucier de la couleur de leur peau. Khiari ne semble pas voir que le racisme est une construction sociale qui est liée à la perception de soi et des autres. On pourrait par ailleurs répondre tout aussi bien à l’auteur que ce n’est pas une «culture indigène» qui est exploitée, mais une main d’œuvre immigrée bon marché. Le racisme s’inscrit bien dans le système de production et d’échange capitaliste qui hiérarchise et distribue le pouvoir et les places de façon inégalitaire : il est une composante du système. On ne pourra pas supprimer le racisme sans repenser les relations humaines en dehors du système actuel d’exploitation de l’homme par l’homme.
Sadri Khiari parle d’un «champ politique blanc» sans d’ailleurs être très explicite sur ce qu’il faut entendre par là. En tout cas il ne dit rien sur ce que pourrait être un «champ politique indigène» tout court parce qu’il est impossible de le concevoir sur une base identitaire. Toute communauté instituée à partir de l’identité est en même temps exclusive. Il y a le beau roman de Toni Morrison, Paradis, qui en dit plus là-dessus que beaucoup d’études ethnologiques ou sociologiques. Dans l’Oklahoma, au milieu de nulle part, une communauté de noirs affranchis crée une ville nouvelle, un paradis duquel les blancs ont été chassés. Mais bientôt la télévision, l’alcool et la musique sont exclus. Et puis on en vient à se méfier des métis et les hommes imposent leurs lois aux femmes. Cinq d’entre elles sont accusées de sorcellerie et exécutées. Incapables d’échapper au racisme et au sectarisme, comme si coupés du «monde des blancs» celui-ci finissait pourtant toujours par les rattraper, des hommes massacrent ces femmes parce qu’elles sont étrangères et, de ce fait, considérées comme ennemies de la communauté.
On pourrait concevoir une communauté d’Égaux comme espace public oppositionnel, mais elle serait alors une communauté vide de toute référence à une identité figée et donnée une fois pour toute, ouverte et en construction permanente. Plutôt qu’une communauté particulière, elle serait une communauté faite de singularités quelconques, réunissant des individus acquis à l’idée de la nécessité de renverser toutes les valeurs dominantes : le travail aliéné, le productivisme, la distribution inégalitaire du pouvoir, les rapports sociaux de domination d’ordre sexuel, racial ou autre. Ce qui nous manque c’est une reconnaissance réciproque à la base, y compris avec nos différences, et pas une reconnaissance de l’État.
Sadri Khiari a raison de souligner que les émeutes qui ont touché certaines banlieues françaises pendant l’automne 2005 ont donné lieu à une gestion communautaire, sinon post-coloniale, d’un problème politique et social. Mais en plaçant le combat politique sur le terrain où l’État l’attend, il prend le risque d’être récupéré par un système qui n’en finit pas de se nourrir des identités soit pour ouvrir de nouveaux espaces à la société spectaculaire marchande, soit pour entretenir ou renforcer les séparations sociales. Et quand il revendique le vieux nationalisme tiers-mondiste comme héritage, il fait comme si les luttes de libération nationale n’avaient pas débouché un peu partout sur de nouvelles formes d’oppression. Car pour avoir changé d’aspect, les tyrannies n’en restent pas moins répugnantes.
Mais il y a encore autre chose. Les garants du système capitaliste pourraient accepter totalement le respect de la diversité culturelle sans que cela ait la moindre conséquence sur la question sociale ou implique une remise en cause de l’édifice. En fait, la diversité concerne toujours les mêmes classes sociales, les classes moyennes supérieures et la bourgeoisie, les classes populaires étant tenues à l’écart. Et quand elles sont concernées, c’est pour faire des
exemples et entretenir l’illusion en élevant la représentation des «minorités visibles», pour parler comme le pouvoir, sinon tous les pouvoirs maintenant, au rang de véritable idéologie. Une croyance vient ici entretenir la confusion et la fausse conscience : l’idée que toutes les cultures se valent, qu’elles sont par essence égales. Une société qui serait «multiculturelle» ne saurait donc être hiérarchisée. De ce point de vue, un monde divisé en cultures ne pourrait pas se concevoir comme inégal si les cultures étaient équitablement représentées dans leur diversité. On voit bien ici le rôle idéologique que joue le culturalisme parce que si tel était le cas, le monde n’en continuerait pas moins d’être inégalitaire. Mieux : il le serait de plus en plus parce que la gestion capitaliste de l’identité viendrait légitimer les inégalités. C’est le principe ultraréactionnaire qui prétend que ceux qui restent pauvres n’ont rien fait pour sortir de la misère sociale et culturelle. Au fond, c’est ce qui se cache derrière le concept d’égalité des chances qui finit par effacer totalement l’idée d’égalité sociale ou d’égalitarisme, principe anticapitaliste s’il en est.
Sous la braise et sous la cendre :
le rêve de libération dans les consciences entrouvertes
En Patagonie, Benetton a racheté les terres des Indiens Mapuches pour y pratiquer l’élevage du mouton. On trouve en effet dans cette région la meilleure laine du monde. Les Indiens sont salariés par Benetton et travaillent pour une misère. Pourtant, pour bien montrer que Benetton respecte toutes les cultures, la multinationale n’a pas tardé à consacrer une partie de ses fonds à la création d’un musée de la Patagonie. On devine déjà sans trop d’efforts ce qui arriverait si les Indiens Mapuches, au nom de la justice sociale, venaient à brûler le musée et à s’emparer des terres pour se les approprier. Benetton qui respecte la diversité culturelle pour mieux continuer à exploiter les hommes ferait appel à l’armée au nom de la défense de la Loi sacrée de la propriété privée.
La grève générale qui a pris la forme d’un véritable soulèvement populaire en Guadeloupe et en Martinique vient nous rappeler la centralité de la question sociale dans les sociétés capitalistes avancées. Si l’on regarde la plateforme du LKP, le collectif qui a mené la lutte en Guadeloupe, on s’aperçoit qu’elle n’a rien de révolutionnaire. Il s’agit d’un programme de réformes qui ne met nullement en cause les principes du capitalisme, mais seulement sa logique actuelle, c’est-à-dire son caractère totalitaire, sa tendance à faire du monde entier sa
chasse gardée. Le collectif cherche à remettre l’économie à sa place, à encadrer la logique capitaliste.
La plateforme du LKP se décline en 10 points qui vont des conditions de vie à des revendications d’ordre culturel en passant par les services publics, le logement, l’éducation, des mesures visant à limiter la «pwofitasyon», autrement dit l’enrichissement. Mais les revendications de type culturel ne figurent qu’en neuvième position. On le sait, c’est sur l’augmentation de 200 euros sur les petits salaires que le bras de fer s’est engagé entre le patronat et l’État d’une part, le LKP d’autre part. C’est donc bien à un retour de la question sociale que nous avons assisté et non à la montée de demandes identitaires, même si elles existent bien tant la perpétuation de l’ordre colonial est évidente aux Antilles. Car la Guadeloupe est mise en coupe réglée par une poignée d’accapareurs qui sont souvent les descendants des propriétaires d’esclaves : 1% de la population possède 40% de l’économie. Mais le conflit n’oppose pas les Noirs ou les métis aux Blancs, mais bien ceux qui n’ont rien aux possédants.
Pour tenter d’éluder le fond du problème, l’État a mis en avant la question de l’autonomie, l’indépendance, en portant le débat sur le terrain de l’identité. Mais rien n’y a fait étant donné que l’enrichissement de quelques-uns par l’exploitation intégrale du peuple condamné à la survie la plus totale reste une réalité tenace, tangible et vérifiable. Ici la domination a un ou des visages facilement identifiables, ce qui n’a sans doute pas compté qu’un peu dans l’ampleur du mouvement de révolte. De ce point de vue, la lutte du peuple guadeloupéen est exemplaire parce qu’il a su s’organiser pour contester le système d’exploitation qui, avant d’être racial, n’en déplaise aux tenants du culturalisme, est bien capitaliste.
Les gangsters et autres spécialistes en razzias planétaires prétendent maintenant que les membres du LKP seraient racistes parce qu’ils entendent accorder la préférence à l’embauche aux Guadeloupéens. On pourrait faire remarquer que 30 à 40% des jeunes guadeloupéens sont au chômage. Et surtout, un État qui organise tous les jours de l’année la chasse aux immigrés et qui abrite un ministère de l’Identité nationale n’a pas de leçons à donner en matière de racisme. Le LKP demande en tous cas dans sa plateforme qu’il soit mis fin aux abominations à l’encontre des travailleurs étrangers, point qui pourrait être repris en métropole, comme bien des points d’ailleurs figurant dans ce programme tant l’exploitation et la domination nous condamnent à l’innommable.
Parmi les composantes du LKP figure l’UGTG. Créée en 1973, la centrale syndicale énonce dans ses conceptions et orientations :
L’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe est une centrale syndicale regroupant les travailleurs de Guadeloupe, sans distinction de race, d’opinion publique, philosophique, religieuse, unis par la volonté de défendre leurs intérêts matériels et moraux.Et encore :
L’UGTG est une organisation de Classe et de masse convaincue de la nécessité de transformer les rapports sociaux aux fins d’une société plus juste, assurant à chaque homme son droit au Travail, à la santé, à l’éducation, à la culture, à la vie.Les analyses de l’UGTG pourraient être reprises presque mot pour mot pour qualifier notre quotidien. La centrale, à sa création, remarque que l’échec des tentatives des travailleurs pour la dignité «réside dans le fait que les travailleurs ont été trahis par les dirigeants des centrales syndicales. Les directions de ces centrales syndicales collaborent avec les capitalistes, les propriétaires fonciers et l’État capitaliste contre les travailleurs.»
Évidemment toute comparaison avec la situation en métropole ne pourrait être le fait que d’un cerveau malade tout juste bon pour l’internement. Il est vrai que pas une fois les bureaucraties syndicales n’ont failli contre l’État et les capitalistes. Une fois non, des centaines de fois plus sûrement. Et d’ailleurs leur silence sur la révolte aux Antilles en dit plus long que n’importe quel réquisitoire à l’heure où la seule arme à opposer au malheur permanent est la grève générale sans condition. Quand il se passe quelque chose plutôt que rien, les bureaucrates font la seule chose qu’ils sachent faire : les morts. Et quand il ne se passe rien, ils courent comme la volaille à qui on a coupé la tête pour faire croire qu’ils sont en vie.
Mais la plateforme du LKP s’en tient au réformisme, à une limitation des effets dévastateurs du capitalisme, comme si nos vies ne valaient pas plus qu’un aménagement de la misère, un peu de chaleur au fond du trou. L’égalité sociale ne suffit pas, il faut encore la dignité humaine. Or cette dignité, nous ne la conquerrons que si nous sortons de la société marchande qui rabaisse l’homme au rang de misérable objet.
C’est tout l’intérêt du texte signé par une dizaine d’écrivains et intellectuels antillais intitulé Manifeste pour les «produits» de haute nécessité. Dénonçant un système d’exploitation de l’homme par l’homme tendant vers la déshumanisation complète, le manifeste condamne un monde entièrement prosaïque où tout tient dans un code barre qui exclut ce qui ne saurait se réduire à la valeur marchande : la poésie et les créations authentiquement humaines. Ils appellent à rompre avec une religion, la marchandise, qui ne mine pas seulement notre propre humanité mais aussi notre avenir : la Terre, cette part extérieure de nous-mêmes qui nous est indispensable à moins d’être dénaturés complètement. Or le ressaisissement de notre humanité passe par la généralisation de la gratuité contre la croissance sans fin qui s’accompagne de la production d’une domination monstrueuse aux allures de Golem anonyme.
La seule vraie solution à la question sociale,
c’est la révolution. Mais laquelle ?
Plutôt que de courir après le pire des cauchemars possibles, celui de notre destruction, nous pouvons encore, la conscience entrouverte, renouer avec le rêve sans âge de libération dans le battement de l’instant, comme le prouve le soulèvement populaire aux Antilles.
Le manifeste antillais réactualise dans le présent l’idée de Révolution en lui redonnant une signification anthropologique. Il n’y aura en effet pas de rupture radicale avec l’ordre capitaliste sans révolution dans la façon de comprendre notre humanité, de concevoir nos relations entre nous les hommes et nos relations avec la Terre. Alors nous pourrons déposséder de leur pouvoir tous les maîtres et leurs stipendiés petits et grands qui prétendent faire tenir notre passé, notre présent et notre avenir entre leurs mains sales.
Les larmes amères du Saint-Capital devant une croyante en proie au doute
Négatif no 11, juin 2009.