Quand la Croix-Rouge part en croisade...
À l’attention des passants
Dimanche 24 mai 2009 à Paris, en ce dernier jour de la semaine rituelle de quête nationale, un petit groupe est allé rappeler dans la rue aux passants et à la Croix-Rouge, le rôle de cette dernière en matière d’expulsions et d’enfermement. À Bastille, les bénévoles harcelés ont du faire appel à leur chef de secteur, qui à son tour a appelé les keufs. Leur travail permanent avec l’État, une fois de plus effectif, n’a pas empêché le petit groupe de les harceler aussi à République puis Nation. Voici le tract distribué à l’occasion.
Quand la Croix-Rouge part en croisade…
Tout au long de la semaine, vous avez peut-être croisé de louches individus en gilet jaune estampillé d’une croix qui vous tendaient une fausse urne. Déjà que les élections ne peuvent rien changer d’autre que le personnel qui nous dirige, alors quand il faut glisser un bifton dans l’urne… Entre un racket et un autre, celui du mannequin milliardaire Adriana et celui de Robert le mannequin de pacotille qui «sauve des vies», ces maniaques en uniforme nous ont harcelé des feux rouges aux terrasses des bars, et des places aux entrées de métro.
Quand on était petit, on nous a appris que la Croix-Rouge faisait partie, comme ses consœurs, de ces institutions au grand cœur. Et que même si elles ne changeaient fondamentalement rien au fonctionnement de ce monde dominé par l’exploitation, la guerre, la misère et l’oppression, elles essayaient au moins d’en soigner les blessures et d’en atténuer les souffrances, comme ils disent dans leur langage profondément religieux. Pourtant le secours neutre n’existe pas. Et dans le cas de la Croix-Rouge, ce n’est pas bien compliqué à voir…
Tandis que la faim, les désastres, la guerre et l’oppression font fuir chaque année des millions de gens dans l’espoir de pouvoir reconstruire ailleurs une vie un peu meilleure, ce qui les attend ici en Europe c’est le racisme, les rafles, une exploitation sans limites et, au bout de compte, les centres de rétention et les déportations. Quand les réfugiés débarquent en Europe et font une demande d’asile, ils sont souvent parqués dans des centres dits ouverts (des dizaines de ces centres sont gérés intégralement par la Croix-Rouge). Comme les centres de rétention, ils sont entourés de barbelés, des gardiens y tournent les clés des portes tous les soirs. On y apprend aussi aux demandeurs d’asile à obéir aux lois du capitalisme et de sa démocratie (des vêtements collectés par la Croix-Rouge y sont par exemple vendus, les «habitants» y sont forcés d’une main douce à effectuer des travaux pratiquement non-rémunérés dans le centre ou pour la commune où ils se trouvent — question de les habituer au sort d’exploités qui les attend ici aussi). Ces centres servent également à fixer les demandeurs d’asile et à les rendre dépendants pour qu’ils ne s’aventurent pas dans une vie de débrouille hors de l’enceinte. Sous prétexte de souci humanitaire, l’État organise ainsi un contrôle permanent sur tous ces indésirables. Quand la demande d’asile est refusée, c’est la police qui vient arrêter les réfugiés refusés dans ces centres neutres et ouverts pour les déporter vers la misère et la mort. La Croix-Rouge n’offre donc jamais un secours neutre, puisque ses activités font partie intégrante de la politique de contrôle de la gestion de l’immigration.
La Croix-Rouge entretient également des liens étroits avec l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), cet organisme qui cherche à soumettre les flux migratoires aux besoins du capitalisme et du contrôle social. Ce même organisme se sert d’une multitude d’organisations humanitaires et d’ONG pour réaliser son chantage avec ses primes de retour. Des réfugiés à qui ce système a enlevé toute perspective, se voient offrir une pauvre indemnité pour retourner volontairement vers leur pays d’origine. Alors c’est simple : d’abord on leur enlève tout avenir, on les enferme dans des centres d’accueil, on leur fait comprendre qu’ici aussi c’est la pauvreté qui les attend, et finalement on les fait chanter avec quelques centaines d’euros pour qu’ils oublient les raisons pour lesquelles ils avaient fui…
Dans d’autres pays européens, comme en Italie ou en Espagne, la Croix-Rouge Internationale gère directement les centres de rétention d’où l’État déporte les réfugiés en fin de procédure. Des centres de rétention avec leurs gardiens, leurs cellules d’isolement, leurs passages à tabac, leurs abus et tout simplement la privation de liberté. C’est là que la Croix-Rouge montre encore plus clairement ce qu’elle est vraiment : l’aile humanitaire de la domination.
En Belgique, ce sont les infirmiers de la Croix-Rouge qui, quand les indésirables se mutinent dans ces centres, soignent les blessures sans faire entendre la moindre critique et les bourrent de tranquillisants.
À Roissy, la Croix-Rouge cogère avec la police la zone d’attente pour sans-papiers qui débarquent à l’aéroport, et sert aussi de caution aux méthodes de la police des frontières (menottes, coups, bâillon, drogues) lors des expulsions forcées par avion qui s’en suivent.
Le 17 août 2006 lors d’une gigantesque rafle, 508 personnes d’Afrique et d’Europe de l’Est sont chassées du domicile qu’elles occupaient à Cachan depuis 2003. Chaque bus préfectoral qui repartait avec les expulsés pour aller les recracher toujours plus loin en banlieue était escorté d’uniformes bleus à l’extérieur et deux membres de la Croix-Rouge à l’intérieur.
De septembre 1999 à 2002, ce sous-traitant de tous les États s’est aussi vu confier la gestion du hangar de Sangatte, près de Calais. Là, elle va isoler près de 1800 réfugiés avec la complicité des CRS qui surveillent le camp, pour laisser à l’État le temps de construire un centre de rétention juste à côté, à Coquelles. À partir de novembre 2002, elle va ainsi ficher tous les réfugiés, préparant le démantèlement du camp et la chasse à l’homme qui suivront peu après.
Et tout celà, ça s’appelle choisir son camp.
Mais il n’y a pas que les sans-papiers qui débarquent sur les plages espagnoles ou qui, épuisés, mettent pied à terre dans les ports et aéroports européens. Il y a aussi ces millions de réfugiés au Moyen-Orient et en Afrique qui ont été chassés de chez eux par les guerres, la misère ou les désastres écologiques pour ensuite être accueillis dans d’énormes camps de concentration (dans le sens strict du terme : enfermer administrativement dans un endroit circonscrit et contrôlable des catégories de gens pour des raisons raciales et de contrôle ou pour des fins d’exploitation). Ces camps sont souvent gérés par la Croix-Rouge et pas seulement avec ses médecins, mais aussi avec ses agents de sécurité. Ainsi la Croix-Rouge ne fait que renforcer l’ordre actuel composé d’oppresseurs et d’opprimés — et tandis qu’elle soigne ces derniers, elle tente aussi de calmer la révolte qui, elle seule, pourrait réellement changer quelque chose.
Quand les armées de la démocratie ont envahi l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan et l’Irak, ils amenaient derrière eux l’armée humanitaire de la Croix-Rouge. Sous prétexte de protection contre une politique d’épuration ethnique, la Croix-Rouge s’est chargée de la gestion d’une série de camps de concentration et de prisonniers en ex-Yougoslavie. En réalité, elle cherche à intégrer la politique européenne de contrôle des flux migratoires dans les manœuvres militaires des forces de l’ONU. Chacun sait (et pas mal d’employés dissidents de la Croix-Rouge l’ont quitté parce qu’ils ne supportaient plus cette neutralité odieuse) qu’il est impossible de rester neutre en temps de guerre. Rester neutre signifie choisir le camp du plus fort — même quand on soigne le plus faible. La conduite des guerres actuelles serait «humanitaire», mais quel être sensé pourrait jamais croire qu’il y a quelque chose d’humanitaire dans les bombardements, les corps déchirés, les blessés, les viols ? En prétendant rester neutre, la Croix-Rouge ne fait que renforcer le pouvoir en place. En Irak, en Afghanistan, comme ailleurs.
L’histoire en apparence sans fin de l’exploitation et de l’oppression a toujours eu besoin d’un corps de collaborateurs qui se cachent volontiers derrière un «je ne savais pas». La gestion démocratique du capitalisme et de l’oppression a tout intérêt à étendre le plus possible ce que quelqu’un a appelé à l’époque des camps d’extermination nazis «la zone grise de la collaboration». Refuser de collaborer avec un système qui organise la déportation systématique pour préserver les profits économiques et le pouvoir de quelques-uns, c’est ouvrir la possibilité d’une critique réelle du monde dans lequel on est forcé de vivre.
Grattons le vernis humanitaire de ce système mortifère de déportation, d’incarcération et d’exploitation !
La Croix-Rouge collabore aux saloperies des États : en un moment où elle quête pour continuer ses activités, qu’elle reçoive donc un peu de la monnaie de sa pièce !
Quelques ennemis de toutes les frontières, 24 mai 2009
Non fides.