Sors sur le perron !
«Il faut absolument mettre fin à cette sensation déprimante de gibier poursuivi, lui substituer l’allant du combattant sur des coups qu’il doit porter.»
Regarde la plume noire du corbeau sur les plaines de Montpellier.
Observe les piqués des grues de Saint-Nazaire.
Tends l'oreille, écoute les cris plombés des cailles au fond des bois bétonnés des Mureaux.
Et devine, devine un peu ce que nous porteront les cigognes alsaciennes !
Lève la tête, et si tu aperçois de drôles d’oiseaux, suis le rythme de leurs battements d’ailes. Tu migreras vers ces lignes de fracture toujours mouvantes que creusent les vrais conflits ; entamant du haut des falaises, une étrange lutte avec le vide. Nous jouerons dans les courants ascendants, étudiant chaque itinéraire, chaque anfractuosité, pour en esquisser la cartographie.
À toucher le monde par ces lignes de front nous en percevons les faiblesses, les failles, comme autant d’avantages tactiques dans cette guerre qui se livre chaque jour. Mais cette étude ne saurait suffire. Il nous faut toucher au temps, aux rythmes, et nous avons besoin de chants.
Les cadences ennemies nous étouffent, ces vacances et ces rentrées, ces tristes commémorations et ces fausses fêtes. Dans sa lente suffocation, cette civilisation est prise de hoquets, de spasmes. À chaque sursaut, nous sursautons aussi, les sommets nous appellent aux rassemblements internationaux, les procès à l’agitation, les crimes policiers à l’émeute. Ce monde est en nous et nos existences sont scandées par son actualité. Pourtant nous vivons dans des ellipses, et depuis celles-ci nous pouvons déployer nos propres rythmes. À l’intérieur de chaque mesure, de chaque point d’orgue, les notes, les pensées et les silences se concentrent pour composer une musique commune qui, au sommet du crescendo, déploie toute sa puissance.
Ce journal, comme une improvisation collective dans cette polyphonie.
Rebetiko no 1, printemps 2009
Chants de la plèbe.