À Bordeaux, une police trop zélée qu'il va falloir surveiller

Publié le par la Rédaction


Pour mesurer les abus policiers, des citoyens créent l’antenne bordelaise de la commission «Citoyens-Justice-Police».

Cyclistes, squatters, même combat ? Quand les premiers passent la nuit en garde à vue, les seconds se font passer à tabac… À Bordeaux, un dangereux durcissement des méthodes policières se fait sentir. Pour le mesurer dans les faits, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, et le Syndicat des avocats de France viennent de créer une antenne bordelaise de la commission «Citoyens-Justice-Police».

Marie est une bordelaise BCBG de 49 ans. Miryam est membre du collectif militant «Hacktivismes» et chanteuse du groupe alternatif OPA. Toutes les deux faisaient l
objet darticles dans Sud-Ouest mercredi 25 mars. Toutes les deux ont été victimes de lexcès de zèle et des méthodes contestables de la police bordelaise.


En culotte au commissariat

Interpellée à vélo à la sortie d
une réunion de travail tardive, Marie est contrôlée positive à léthylotest. Comme elle lexplique à Sud-Ouest : «Je leur ai avoué avoir bu deux ou trois verres de vin». Résultat : elle se retrouve en culotte dans une cellule du commissariat à se faire fouiller.

Elle y passera la nuit, tout comme dix autres cyclistes. Ces interpellations et gardes à vues de «délinquants» à bicyclette s
inscrivent dans une politique : depuis quelques semaines, les contraventions se multiplient à lexcès. La polémique a pris de lampleur jusquà faire lobjet dun article dans The Times.

Myriam, elle, vient de porter plainte pour violences policières. Elle a eu le malheur de soutenir des «squatteurs» militant pour le droit au logement. Jeudi 19 mars, jour de la grève générale, la police tente d
évacuer un squat réquisitionné par divers militants de gauche. Un rassemblement dune quarantaine de personnes sest formé pour les soutenir.

Myriam est présente. Une dizaine de voitures de police et un fourgon de CRS sont au rendez-vous. Ils ne sont pas venus les mains vides et chargent les manifestants. Myriam se retrouve à terre. Les coups de matraque qu
elle a reçus l’ont défigurée. En sang, elle est menottée et amenée au commissariat, tout comme la dizaine dautres interpellés. Ce nest que plus tard quelle sera conduite aux urgences, où elle pourra se faire poser sept points de suture. Une enquête judiciaire est en cours.


Un sentiment d’insécurité qui progresse

Ce type de faits divers se multiplient dans la presse locale, et le sentiment d
insécurité par rapport aux abus de la police semble progresser. Pour Brigitte Duraffourg, présidente de la Ligue des droits de lHomme en Gironde, cette inquiétude samplifie à Bordeaux :
«La police devrait être là pour assurer la sureté, et non pour nous agresser ou faire de la provocation. Il y a une exaspération et une violence qui monte chez les policiers, et je crains quils ne soient plus vraiment en mesure dassurer lordre public. Je commence à penser que cela se généralise : dans les quinze derniers jours, il y a eu les gardes à vues de cyclistes, laffaire de Myriam, et les violences contre les lycéens de Cenon. De plus en plus de cas remontent. On sent quà tout moment la situation peut basculer.»
Elle présente néanmoins le cas bordelais comme le symptôme particulièrement visible dun phénomène dampleur nationale, une «dégradation des libertés publiques». Elle cite, parmi les événements inquiétants, la fusion de la DST et des RG («qui va dans le sens de lassimilation des citoyens militants à des ennemis intérieurs») ; la création du fichier Edvige ; à Strasbourg, linterdiction dafficher des drapeaux «Peace» aux fenêtres ; le tout sur fond de durcissement de la police :
«Lépoque est difficile, ils sont moins nombreux en effectifs et nont pas de formation suffisante. On a limpression que cest le citoyen qui nest plus en sécurité, et ça cest problématique.»

Des instructions qui vont dans le sens d’une culture du résultat

Au syndicat UNSA-Police, on considère également qu
il y a là lexpression dun phénomène national et politique. Cest ce quexplique Philippe Rolland, secrétaire départemental :
«Ce sentiment provient avant tout de la volonté politique nationale, avec des instructions qui vont dans le sens dune culture du résultat. Nous sommes par ailleurs dans un contexte qui rend le maintien de lordre de plus en plus difficile. Les conditions de travail se dégradent, et les policiers ont de plus en plus de mal à rester sereins.»
Il reconnaît néanmoins lexpression particulièrement forte de cette politique à Bordeaux :
«Il est vrai quà Bordeaux, nous avons un directeur qui prend les instructions particulièrement au sérieux. Il applique tout à la lettre. Il est très ferme avec tout le monde, y compris avec les collègues policiers.»
Albert Doutre, directeur départemental de la Sécurité publique, un officier trop zélé ? Il déclarait dans Sud-Ouest du jeudi 2 avril, ne pas comprendre la «stigmatisation» dont ont fait lobjet ses services lors de la polémique des cyclistes, ajoutant que la garde à vue est «une mesure de sureté».

Ses services nient aujourd
hui tout dérapage. Le Commandant Pallas, chargé de la communication de la Direction Départementale de la Sécurité Publique de Bordeaux affirme ainsi :
«Nous refusons de communiquer au sujet dune hypothétique augmentation de la répression policière à Bordeaux, qui, pour nous, nexiste pas. Il ny a eu que des épiphénomènes, donc pas de raisons pour nous de nous exprimer à ce sujet.»

Un nouvel outil citoyen

Face à ce sentiment généralisé, la Ligue des droits de l
’Homme, le Syndicat de la magistrature, et le Syndicat des avocats de France sont en train de mettre en place une antenne girondine de la commission «Citoyens-Justice-Police». Ils entendent lannoncer publiquement dans les jours qui viennent.

Cette commission a été crée au niveau national en 2002, faisant le «constat d
une dégradation des rapports entre les citoyens et les forces de sécurité». Elle a pour objet de mener des enquêtes sur saisine des citoyens. Chaque enquête est menée par des juristes chargés de mission, qui rendent par la suite un rapport public. Lobjectif, explique Brigitte Duraffourg, de la LDH, est de créer une «force de dissuasion» :
«Mais personnellement, cela ma fait énormément de peine davoir à créer une telle antenne sur Bordeaux.»

Leur presse (Christophe Payet, Rue89), 7 avril 2009.
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