Strasbourg, Londres, partout portons la lutte aux sommets
OTAN en emporte la guerre
Un sommet de l’OTAN à Strasbourg c’est une réunion pour consolider la logique de guerre, la surveillance et le contrôle des populations, la défense des intérêts impériaux du capitalisme occidental. L’OTAN est une pièce maîtresse dans le réseau militaro-policier, étatique ou privé, dont le dispositif s’étend au monde entier. Ces forces attaquent les peuples, les exploités, les dominés, déployant partout la guerre sociale.
L’OTAN relève des États ; c’est une avant-garde militaire de la réaction. Mais il y a aussi ces appareils militaires et policiers privés, directement liés aux groupes capitalistes.
Ce déploiement de guerre civile planétaire est une des dimensions de la destruction systématique de ce qu’on appelle État de droit, c’est-à-dire l’agencement des quelques espaces démocratiques et des quelques droits fondamentaux individuels et collectifs arrachés par les luttes sociales. Ils sont aujourd’hui menacés par les stratégies capitalistes et étatiques.
Les 20 gangs de Londres
Un sommet du G20 à Londres, c’est une assemblée d’États pour réformer et consolider le capitalisme. Les décisions qui y seront prises n’auront d’autre but que de permettre la poursuite de l’accumulation de pouvoir et de profit dans un cadre un peu rénové. Les rivalités entre la bourgeoisie étasunienne et les autres classes dominantes n’offrent aucun point d’appui pour notre action.
La crise qui envahit la planète entière n’est pas nouvelle. Avant les désastres du capital financier, il y avait une crise écologique, alimentaire, énergétique. Une crise sociale aussi relevant d’une répartition des richesses chaque jour plus injuste, exprimant un mouvement général du système vers la barbarie. Il n’y a pas de crise essentiellement financière, il y a une crise systémique qui atteint tous les aspects de la vie.
Un des facteurs de cette crise c’est la dérive d’un système étranglé par une répartition de plus en plus injuste et inégalitaire de la richesse, fragilisé par les conséquences économiques et financières d’une exploitation sans limites. L’action des gouvernements et des institutions supra-nationales contre la crise consiste en une gigantesque opération d’expropriation des classes populaires, en un énorme vol. On paie les bourgeois en faillite en attendant que les affaires repartent et la facture est honorée par celles et ceux d’en bas : chômage, précarité, misère, baisse du niveau de vie, destruction des services publics, mise en faillite délibérée des assurances sociales en vue de leur liquidation.
Les ministres de l’économie et des finances des pays membres du G20 veulent renforcer les pouvoirs et les moyens du FMI, une des institutions décisives dans l’expropriation des peuples, directement responsable de la crise économique qui affecte le système. Le FMI est un centre de conception et de commandement pour toutes les stratégies néo-libérales.
Combattre l’action de l’OTAN et du G20 implique de lutter contre le système dans son ensemble, contre ses méthodes, ses démarches, son imaginaire, sa logique et ses objectifs. C’est mener contre lui une alternative révolutionnaire. Il faut que progressivement les revendications, les luttes partielles et les pratiques d’émancipation construisent une politique de libération, soient portées par une volonté de révolution. Les offres électorales sont toutes des produits avariés.
Au fond, les choses sont simples. Les politiques qui ont conduit à la crise ont été voulues et menées par les classes dominantes et par tous les gouvernements, bourgeois ou socio-libéraux. L’immense majorité du personnel politique a promu et organisé cette catastrophe.
Et les mêmes aujourd’hui veulent «réformer» le capitalisme en subventionnant les capitaines de l’industrie et de la finance. Cette «réforme» revient, au mieux, à recadrer un peu et pour un court moment les excès spéculatifs du capital financier, sans toucher aux fondamentaux de l’exploitation et de la domination que nous subissons. Permettre à l’argent de circuler et au crédit de se rétablir n’implique en rien plus de justice, plus d’égalité, une répartition de la richesse moins défavorable aux classes populaires, davantage de pouvoir pour celles et ceux d’en bas.
Aucun appareil d’État, aucun gouvernement, aucun parlement, aucune faction politicienne, ne défendra nos intérêts à notre place. Aucune élection, aucune votation ne remplacera notre lutte et notre mobilisation pour construire du pouvoir populaire. Aucune conquête du gouvernement ou de postes de décision dans l’appareil étatique ne nous donnera le rapport de forces qu’il faut pour imposer à ce système la satisfaction de nos besoins et de nos aspirations.
Sauf dans quelques conjonctures instables et fragiles, la conquête de parcelles du pouvoir étatique ne peut satisfaire les demandes des majorités sociales exploitées et dominées. Il n’y a aucun réformisme digne de nom qui puisse se construire en tablant sur la logique électorale et institutionnelle. L’État peut certes enregistrer un rapport de forces et plier devant lui mais la conquête du gouvernement ne vaudra jamais une avancée de l’action directe populaire. Bien au contraire, la politique de représentation et de délégation cherche toujours à réduire et à domestiquer les luttes quand elle ne les réprime pas purement et simplement.
Et ce qui vaut pour des objectifs limités vaut plus fondamentalement encore quand il s’agit de transformation sociale, de projet radical d’émancipation.
Chantage au pire ou révolution ?
Ou les classes populaires ont la force, l’organisation, la capacité d’invention et de résistance, par elles-mêmes, en autonomie, ou elles demeureront subordonnées à des bureaucraties qui paient par le contrôle du mouvement populaire leur ticket d’entrée dans la bourgeoisie.
Déléguer la réalisation de quelque revendication que ce soit à des politicien-ne-s ne nous fera pas avancer d’un seul pas. Dans la période historique que nous traversons, la logique de l’État et le possible de l’action gouvernementale consistent, dans l’immense majorité des cas à nous prendre du pouvoir, de la liberté, du salaire, du service public et même une part croissante de dignité. Le système de domination veut l’asservissement, la soumission et l’avilissement de chacun-e par l’allégeance publique à cette domination, par l’acceptation proclamée de la servitude, par le renoncement à pouvoir changer quoi que ce soit dans le cours de l’histoire et de notre histoire.
Dans la rivalité qui oppose les offres électorales de la droite institutionnelle et de la gauche du système, il y a toujours le chantage d’une dérive vers le pire. Sur ces bases, le seul choix que nous offre la gauche du système c’est de réduire en vitesse et en qualité cette marche vers le pire néo-libéral. Ce sursis, il faudrait le payer par une délégation inconditionnelle aux bureaucraties partidaires, associatives et syndicales, par un sort de piétaille servant au social-libéralisme pour la conquête des places de représentation et de gouvernement. C’est le choix entre un pire monstrueux et un pire un peu moins pire. D’élection en élection, de passage au pouvoir en parenthèse d’opposition, les tenant-e-s du pire moins pire détruisent irrémédiablement les acquis qu’ils/elles prétendaient, sur l’estrade électorale, garantir, conserver et parfois élargir.
Qui ne veut voir cela s’aveugle ! La politique de représentation et de délégation, vivant par et pour la conquête du gouvernement, nous mène droit à une liquidation des émancipations possibles, à la destruction de tout ce que la gauche dans la société a porté d’exigence d’égalité, de liberté et d’émancipation. Qui se prétend d’une gauche authentique et veut aller aux affaires avec le social-libéralisme se coupe les mains !
La plèbe et ses ennemis
L’action politique-étatique dans la société capitaliste, sans une énorme pression de l’autonomie populaire, revient toujours à la mise en œuvre d’une des variantes d’un commandement capitaliste qui se veut total et illimité, à la consolidation du pouvoir séparé de l’État, à la promotion de l’exploitation et de la domination, partout.
La vérité, c’est que chaque jour nous perdons en salaire, en libertés et en droits, en autonomie, en égalité, en sécurité sociale, en condition de vie, en service public. Chaque jour une nouvelle attaque nous est portée. Le système proclame chaque jour une nouvelle humiliation contre les salarié-e-s, les exploité-e-s, les sans-pouvoir, les précaires, les sans-rien.
Femmes, immigrés, prolétaires, enfants, jeunes, vieux, non normés-es, non-conformes, nous sommes une immense cohorte qui fait une majorité là où la domination ne laisse voir que des conditions particulières. C’est la plèbe. L’exigence de l’émancipation de chacun-e vaut révolution pour tous/tes.
Rien ne sert de pérorer pour savoir si les 68 milliards donnés par l’État à l’UBS doivent trouver leur contrepartie dans une misérable participation au Conseil d’administration ou dans une nationalisation formelle qui changerait quelque chose pour que rien ne change. Ce qui est à l’œuvre, c’est une gigantesque expropriation. Ce gouvernement paie avec nos salaires, avec nos retraites, avec notre sécurité sociale les titres pourris de la rente bourgeoise.
Depuis des années, la seule perspective pour l’assurance-chômage, l’assurance-invalidité, l’AVS et le régime des retraites, l’assurance-maladie aussi, c’est une dégradation systématique. Toujours moins, toujours pire. Pour notre sécurité sociale, il n’y a pas d’argent. Pour les salaires et les revenus des classes populaires pas davantage. Mais pour chacun-e, il y a sans cesse plus de contrôle, plus de mise à nu, plus de contrainte.
De plus en plus souvent, l’accès à un travail salarié se paie d’un travail gratuit. Stages et périodes d’essai non rémunérées fleurissent. La précarité devient la norme pour des fractions croissantes de salariés-es. La précarité s’étend. La pauvreté se multiplie. La fragilité sociale devient l’horizon des majorités.
Mettre à nu la vie des pauvres est dans la raison d’État
Ce système de domination ne cesse d’inventer des abus et des droits d’exception, des délinquances et des polices, des politiques de contre-insurgence pour maîtriser territoires et populations. Pour les classes dominantes et l’État, toute liberté populaire est de trop. Toute sécurité sociale excessive. Il faut limiter, brider ou détruire. Au nom de la lutte contre le terrorisme, la délinquance ou la crise, tout est accepté, légitimé, revendiqué. Chaque État y a sa part : la torture pour les uns, les camps pour les autres, le contrôle partout et toujours, la surveillance, le Taser, l’interdiction d’ouvrir sa gueule, de circuler, d’être là. Cela commence toujours par une mesure ciblée contre un groupe particulier ou classé comme tel pour l’occasion. Cela finit toujours par un dispositif et une technologie de contrainte, généralisés, universels.
Les seules consolations offertes au peuple consistent à pouvoir élire de temps en temps une faction ou l’autre du personnel politique et à trouver dans les boucs émissaires que l’État et les médias désignent une illusoire consolation de sa condition. Les médias et les penseurs à solde font office d’architectes d’une caricature d’espace public où tout ce qui parle a le langage et les tics de la soumission.
Nous sommes dans un pays où la vérité nue est celle-ci. Une vendeuse qui parle des conditions de travail dans son entreprise est licenciée. C’est la mesure du pouvoir discrétionnaire des patrons. Manor n’est pas une exception mais la règle.
Cette travailleuse n’a aucun droit légal à la réintégration. Le message est clair et sans cesse rappelé. S’il n’y a pas de lutte et de rapport de forces, le patron prive d’emploi et de salaire qui il veut.
Dans le pays du secret bancaire, il y a le secret pour les riches. Pour les pauvres il y a la mise à nu : tout laisser connaître d’eux-elles au pouvoir, accepter la fouille permanente et illimitée de leur vie. L’État de Vaud a décidé d’imposer une procuration généralisée aux personnes à l’aide sociale donnant accès à toutes les informations sur elles. C’est un département dirigé par un socialiste qui a mis au point cette politique et qui la mène.
Tandis qu’on débat sur les minarets, le silence est retombé sur la condition des sans-papiers. Il leur sera bientôt interdit de se marier en Suisse. Des centaines de milliers de personnes que l’État veut mettre au silence, des sans-pouvoir absolus qui ne restent ici qu’au prix de leur exclusion du droit commun.
Le capitalisme saccage nos vies
Tout ceci était là bien avant la crise économique. C’est l’ordinaire depuis longtemps. Avec la crise économique et financière, tout s’accélère. Avant, les riches encaissaient les bénéfices et accumulaient les profits, maintenant ils-elles encaissent également les dons en argent public pour éponger leurs pertes. Le cynisme est la règle du discours officiel. Ce n’est plus la sanction du marché, le jeu du marché, la justesse et l’efficacité du marché. C’est désormais l’aide publique, les indemnités pour recul des profits et la préparation des nouvelles conditions pour que vive le profit, à tout prix.
L’assurance AIG reçoit 180 milliards de l’État nord-américain pour faire face à ses pertes et prétend de voir honorer les contrats avec ses dirigeants-es en leur versant 450 millions de dollars de bonus alors que Continental licencie 1200 ouvriers dans son usine française après avoir extorqué de ces travailleurs cinq heures de travail gratuit par semaine en échange d’une garantie de l’emploi jusqu’en 2010. Quand il s’agit de travailleurs il n’y a pas de contrat à honorer, ni pour la bourgeoisie ni pour l’État.
Et rebelote, le progressiste Obama offre 1000 milliards de dollars supplémentaires aux banquiers en faillite !
Pour les autres, pour les sans-pouvoir, pour les exploité-e-s, pour les salarié-e-s c’est l’accélération brutale de tout ce que nous connaissons. Moins de salaire, plus de travail. Plus de flexibilité, plus d’asservissement, plus de silence, plus de contrôle, plus de contrainte. Celles et ceux qui veulent aller au gouvernement, nous parlent de relance, de politiques économiques, d’actions publiques, de réformes du capitalisme, de contenir la spéculation et les abus du secteur financier. La question fondamentale est de savoir si nous allons tolérer que pas à pas ce système de domination détruise nos vies. La question est de savoir si nous allons accepter sans lutter ou si nous allons lutter et créer. Aucune résistance ne peut dépendre du possible prescrit par l’État et le système. Dans sa rationalité, le système dira toujours que toute revendication est de trop, que tous [les] refus de se soumettre à ses injonctions compromettent l’économie, l’équilibre social et l’ordre public.
Marcher séparément, frapper ensemble
mais aussi marcher et frapper ensemble
Nous avons contre nous un système à l’offensive. Il nous attaque de toute la force de ses pouvoirs et de ses institutions. Pour nous défendre, nous ne pouvons compter que sur la puissance accumulée hors de ce système, loin de l’État et des gouvernements, à distance de la politique de représentation qui veut saisir les résistances pour les affaiblit et les liquider.
Face à une offensive généralisée, seules des milliers de luttes différentes dans leurs modalités, leur démarches et leurs objectifs peuvent l’emporter. Elles seules ont la possibilité de gripper la machine, de l’arrêter, de la renverser. Chaque lutte est une alternative, un coup porté contre le système qui l’ébranle tout entier. Chaque lutte, dans sa démarche, dans son être au monde, ouvre des possibilités qui vont bien au-delà d’elle-même. Chaque lutte donne un sens à ce monde et nous permet, à toutes et à tous, de nous y repérer, d’en saisir le sens et d’y faire sens.
L’essentiel est que soit explicité cet élément évident : la résistance populaire est hors de l’État. L’État et le gouvernement ne servent pas pour fonder notre puissance. Nous avons ce que nous luttons et rien d’autre.
Naturellement, la résistance populaire est plurielle, diverse. Innombrables sont les expériences qui tentent de combiner l’action de base et la conquête des parcelles de pouvoir étatique, argumentant que le pouvoir contenu dans l’État peut aussi nous servir pour changer les choses. La tension ente activité institutionnelle et action directe populaire se poursuivra immanquablement. Mais il faut déterminer ce qui sera au centre de la lutte : délégation ou autonomie, politique institutionnelle ou politique de libération et donc quels sont les principes et les moyens qui permettent à la résistance populaire d’avancer effectivement, de conquérir son autonomie.
Se perdre au gouvernement
On peut unir et il faut unir. Tout ce que la gauche sociale suppose, entraîne, fait vivre, doit être fédéré, mis en communication, joué comme un immense multiplicateur d’une lutte à l’autre, dans une tension toujours fragile, mais indispensable vers la fédération des résistances, vers leur alliage. La politique institutionnelle habite aussi les luttes et les mobilisations, tente de limiter et de domestiquer la résistance populaire, de la rendre gouvernable pour les institutions du capitalo-parlementarisme. Chaque possibilité d’action conjointe, unitaire, à la base, doit être exploitée. Mais, comme nous l’a appris le syndicalisme révolutionnaire il y a plus d’un siècle, seule l’action directe de masse peut, dans une construction stratégique, unifier et fédérer. C’est en rendant subalterne la politique institutionnelle, en faisant converger tout ce qui dans la résistance se fait à distance de l’État et construit inconditionnellement sa propre puissance que nous pouvons avancer efficacement.
Même si cela heurte le sens commun de beaucoup, le problème n’est pas de savoir si une gauche plus dure peut gouverner avec le social-libéralisme en étant minoritaire par rapport à celui-ci ou si elle doit devenir majoritaire avant d’aller gouverner avec lui. L’État est certes la matérialisation complexe d’un rapport de force mais son «noyau dur» de répression et de contrainte demeure le facteur déterminant. De surcroît, l’accès au gouvernement ne signifie pas la maîtrise de la puissance étatique.
Le service public peut être en quelque sorte détaché de l’État, socialisé, démocratisé par l’accumulation des luttes et l’intervention populaire. Mais le noyau irréductible de l’État n’est pas un matériau qu’on puisse s’approprier et recycler en instrument d’émancipation. Si nous nous laissons enfermer dans la politique institutionnelle, dans le capitalo-parlementarisme, nous laissons l’État retourner contre nous nos efforts, nos convictions, notre parole. En permanence, il tente de nous les rendre irréductiblement étrangers. Il s’efforce d’en faire des machineries hostiles qui nous exproprient et nous enchaînent, jusqu’à l’impuissance.
Nous sommes déjà une image du futur
La question est, bien sûr, d’opposer à la crise systémique une issue radicale de transformation sociale, donc une révolution et d’en parier la stratégie. Longue marche. Beaucoup de gens ont l’intuition que dans ce monde tout devient insécure, fragile, dangereux, hostile, que rien n’est acquis à l’être humain, que la catastrophe menace. Ce terreau est sans doute fertile pour y propager l’idée révolutionnaire. Cela est possible à trois conditions.
La première c’est que les mouvements de résistance en communiquant, en mettant en communauté et en égalité les exigences d’émancipation qu’ils portent, fassent surgir une revendication générale infiniment plus ample et plus forte que leurs objectifs particuliers.
La deuxième est que se construisent et se renforcent des organisations faites pour lutter, pour résister, pour agréger, pour socialiser. Si ne se constitue pas sur des objectifs plus ou moins importants des organisations populaires indépendantes du capitalo-parlementarisme, comptant sur elles-mêmes pour aboutir, il nous manquera l’essentiel. L’essentiel, y compris pour défendre les acquis démocratiques et sociaux. Seule la résistance populaire peut enrayer la barbarie rampante de l’État et des appareils de commandement du système. Seule la lutte peut empêcher que soient liquidés les éléments de progrès que nous ont légués les révolutions démocratiques et les mouvements d’émancipation du passé. Seule la lutte nous permet d’avancer et d’espérer autre chose que la consolation d’un moins pire.
Le troisième élément consiste dans la nécessité de faire entrer en dialectique les revendications immédiates et les objectifs à moyen terme avec des propositions politiques, culturelles et symboliques porteuses d’une alternative générale. Ce n’est pas la mission particulière d’un parti ou même de plusieurs mais le travail de tous les collectifs qui luttent.
Il n’est pas question de parler et d’agir au nom de quelque chose de supérieur au mouvement social, d’une instance de la totalité qui serait au-dessus des luttes partielles, donc considérées comme moindres en conscience et en qualité des objectifs et des pratiques. Les collectifs politiques sont égaux aux autres structures de lutte, ni plus ni moins. Il s’agit d’agir de partout pour la constitution d’un mécanisme multiplicateur des luttes. La politique de libération est une sorte de laboratoire du pari et du possible. Elle explore les voies que les résistances désignent, les entraîne et grandit par elles, dans une communauté sans cesse plus puissante et ouverte.
La Guadeloupe est proche
Il y a aujourd’hui de par le monde de multiples résistances qui tendent vers l’auto-émancipation, vers la liberté, l’égalité et la solidarité. C’est un mouvement général qui se décline dès maintenant dans les luttes, dans leur accumulation, dans leur communauté, dans les possibilités de rupture dont elles sont porteuses. C’est une orientation politique écrite de manière contrastée et variée, mais immense. Le mouvement de grève générale en Guadeloupe vient encore de nous donner là-dessus une leçon magistrale : actions directes de masse, mise à distance de l’État, indépendance face aux mécanismes et aux démarches du capitalo-parlementarisme, pari sur l’unité et donc capacité de peser effectivement sur la pratique de l’État et des pouvoirs capitalistes. Le mouvement de la Guadeloupe nous dit aussi comment s’opère la jonction des émancipations passées avec l’exigence de l’émancipation présente, dans tous ses sujets, dans ses objectifs particuliers et dans ses revendications communes.
Bien d’autres mouvements que nous avons connus nous disent la même chose, des plus modestes, aux plus connus. À chaque fois, la confrontation a été gagnée par la capacité d’autonomie de la résistance populaire par la mise à distance des démarches, des temps et des possibles de la politique institutionnelle. Car la question n’est pas de savoir s’il faut peser sur l’institution étatique, c’est d’une nette évidence. Nous devons être contre-pouvoir face à tous les pouvoirs du système, donc être capables de peser, de tordre, de conditionner…
La vraie question est celle de savoir s’il faut se plier aux institutions, y compris à leur imaginaire (ce qui est irrémédiable quand on décide d’y demeurer un certain temps) pour changer quelque chose ou si nous allons prendre nos affaires en main.
La crise systémique que nous vivons nous rappelle crûment quel est le rôle et la nature de l’État et en quoi il matérialise une aliénation politique qui se définit toujours comme une expropriation de la liberté du peuple.
Les acquis sociaux, les libertés démocratiques, les droits fondamentaux, la traduction sur le terrain légal et institutionnel des avancées portées par les luttes ont fait reculer la contrainte et la violence du système. La tension vers la construction d’une société auto-instituée n’implique pas simplement une socialisation du politique et cela va sans dire de l’économie. Elle porte aussi une conception autre de l’ensemble de l’activité humaine qui met au premier plan la communauté et l’exigence d’émancipation, c’est-à-dire l’exigence d’égalité. Il s’agit certes de collectiviser et de partager entre toutes et tous le pouvoir, la richesse et la production, mais tout cela ne sert qu’à rendre possible l’égalité entre les être humains. Sans elle, il ne saurait y avoir de liberté, d’autodétermination, d’autonomie.
Les luttes d’aujourd’hui appellent l’objectif révolutionnaire. Il y a à la fois le projet explicite, déclaré et critique d’une transformation sociale radicale et l’utopie concrète présente dans les luttes en cours. La résistance tisse un monde nouveau dont il s’agit de solliciter sans cesse la tension et le possible.
Il n’y a pas de grande ou de petite revendication. Il y a la tension possible vers l’avant ou le renoncement à cette tension qui signifie toujours, à terme, le sacrifice des objectifs et des combats aussi partiels soient-ils.
Il y a toujours des objectifs intermédiaires à proclamer et des propositions pour les traduire en politiques gouvernementales dites alternatives. Mais, franchement, à quoi cela sert-il d’invoquer un gouvernement qui nationaliserait une grande banque, quitterait l’OTAN ou respecterait la neutralité si nous n’avons pas la force de refuser de payer cette crise, de collaborer à la logique de guerre ou de couper court au vol de notre revenu ? Et si nous avons la force d’empêcher toutes ces choses, quelle sera l’utilité d’un gouvernement sinon de mettre en musique sur une chiche partition la partie la plus pauvre de ce que nous sommes en train d’avancer ? Aucun gouvernement ne mérite que nous arrêtions notre effort.
Les luttes définissent un pouvoir constituant qu’aucune gestion gouvernementale ne saurait contenir. Quand nous luttons, c’est du pouvoir populaire que nous construisons, c’est l’enracinement de notre force, c’est notre capacité d’être au monde et d’y peser. Aucun gouvernement, aucun-e député-e, aucun appareil ne saurait impulser à notre place une politique de libération.
Un sommet de l’OTAN à Strasbourg c’est une réunion pour consolider la logique de guerre, la surveillance et le contrôle des populations, la défense des intérêts impériaux du capitalisme occidental. L’OTAN est une pièce maîtresse dans le réseau militaro-policier, étatique ou privé, dont le dispositif s’étend au monde entier. Ces forces attaquent les peuples, les exploités, les dominés, déployant partout la guerre sociale.
L’OTAN relève des États ; c’est une avant-garde militaire de la réaction. Mais il y a aussi ces appareils militaires et policiers privés, directement liés aux groupes capitalistes.
Ce déploiement de guerre civile planétaire est une des dimensions de la destruction systématique de ce qu’on appelle État de droit, c’est-à-dire l’agencement des quelques espaces démocratiques et des quelques droits fondamentaux individuels et collectifs arrachés par les luttes sociales. Ils sont aujourd’hui menacés par les stratégies capitalistes et étatiques.
Les 20 gangs de Londres
Un sommet du G20 à Londres, c’est une assemblée d’États pour réformer et consolider le capitalisme. Les décisions qui y seront prises n’auront d’autre but que de permettre la poursuite de l’accumulation de pouvoir et de profit dans un cadre un peu rénové. Les rivalités entre la bourgeoisie étasunienne et les autres classes dominantes n’offrent aucun point d’appui pour notre action.
La crise qui envahit la planète entière n’est pas nouvelle. Avant les désastres du capital financier, il y avait une crise écologique, alimentaire, énergétique. Une crise sociale aussi relevant d’une répartition des richesses chaque jour plus injuste, exprimant un mouvement général du système vers la barbarie. Il n’y a pas de crise essentiellement financière, il y a une crise systémique qui atteint tous les aspects de la vie.
Un des facteurs de cette crise c’est la dérive d’un système étranglé par une répartition de plus en plus injuste et inégalitaire de la richesse, fragilisé par les conséquences économiques et financières d’une exploitation sans limites. L’action des gouvernements et des institutions supra-nationales contre la crise consiste en une gigantesque opération d’expropriation des classes populaires, en un énorme vol. On paie les bourgeois en faillite en attendant que les affaires repartent et la facture est honorée par celles et ceux d’en bas : chômage, précarité, misère, baisse du niveau de vie, destruction des services publics, mise en faillite délibérée des assurances sociales en vue de leur liquidation.
Les ministres de l’économie et des finances des pays membres du G20 veulent renforcer les pouvoirs et les moyens du FMI, une des institutions décisives dans l’expropriation des peuples, directement responsable de la crise économique qui affecte le système. Le FMI est un centre de conception et de commandement pour toutes les stratégies néo-libérales.
Combattre l’action de l’OTAN et du G20 implique de lutter contre le système dans son ensemble, contre ses méthodes, ses démarches, son imaginaire, sa logique et ses objectifs. C’est mener contre lui une alternative révolutionnaire. Il faut que progressivement les revendications, les luttes partielles et les pratiques d’émancipation construisent une politique de libération, soient portées par une volonté de révolution. Les offres électorales sont toutes des produits avariés.
Au fond, les choses sont simples. Les politiques qui ont conduit à la crise ont été voulues et menées par les classes dominantes et par tous les gouvernements, bourgeois ou socio-libéraux. L’immense majorité du personnel politique a promu et organisé cette catastrophe.
Et les mêmes aujourd’hui veulent «réformer» le capitalisme en subventionnant les capitaines de l’industrie et de la finance. Cette «réforme» revient, au mieux, à recadrer un peu et pour un court moment les excès spéculatifs du capital financier, sans toucher aux fondamentaux de l’exploitation et de la domination que nous subissons. Permettre à l’argent de circuler et au crédit de se rétablir n’implique en rien plus de justice, plus d’égalité, une répartition de la richesse moins défavorable aux classes populaires, davantage de pouvoir pour celles et ceux d’en bas.
Aucun appareil d’État, aucun gouvernement, aucun parlement, aucune faction politicienne, ne défendra nos intérêts à notre place. Aucune élection, aucune votation ne remplacera notre lutte et notre mobilisation pour construire du pouvoir populaire. Aucune conquête du gouvernement ou de postes de décision dans l’appareil étatique ne nous donnera le rapport de forces qu’il faut pour imposer à ce système la satisfaction de nos besoins et de nos aspirations.
Sauf dans quelques conjonctures instables et fragiles, la conquête de parcelles du pouvoir étatique ne peut satisfaire les demandes des majorités sociales exploitées et dominées. Il n’y a aucun réformisme digne de nom qui puisse se construire en tablant sur la logique électorale et institutionnelle. L’État peut certes enregistrer un rapport de forces et plier devant lui mais la conquête du gouvernement ne vaudra jamais une avancée de l’action directe populaire. Bien au contraire, la politique de représentation et de délégation cherche toujours à réduire et à domestiquer les luttes quand elle ne les réprime pas purement et simplement.
Et ce qui vaut pour des objectifs limités vaut plus fondamentalement encore quand il s’agit de transformation sociale, de projet radical d’émancipation.
Chantage au pire ou révolution ?
Ou les classes populaires ont la force, l’organisation, la capacité d’invention et de résistance, par elles-mêmes, en autonomie, ou elles demeureront subordonnées à des bureaucraties qui paient par le contrôle du mouvement populaire leur ticket d’entrée dans la bourgeoisie.
Déléguer la réalisation de quelque revendication que ce soit à des politicien-ne-s ne nous fera pas avancer d’un seul pas. Dans la période historique que nous traversons, la logique de l’État et le possible de l’action gouvernementale consistent, dans l’immense majorité des cas à nous prendre du pouvoir, de la liberté, du salaire, du service public et même une part croissante de dignité. Le système de domination veut l’asservissement, la soumission et l’avilissement de chacun-e par l’allégeance publique à cette domination, par l’acceptation proclamée de la servitude, par le renoncement à pouvoir changer quoi que ce soit dans le cours de l’histoire et de notre histoire.
Dans la rivalité qui oppose les offres électorales de la droite institutionnelle et de la gauche du système, il y a toujours le chantage d’une dérive vers le pire. Sur ces bases, le seul choix que nous offre la gauche du système c’est de réduire en vitesse et en qualité cette marche vers le pire néo-libéral. Ce sursis, il faudrait le payer par une délégation inconditionnelle aux bureaucraties partidaires, associatives et syndicales, par un sort de piétaille servant au social-libéralisme pour la conquête des places de représentation et de gouvernement. C’est le choix entre un pire monstrueux et un pire un peu moins pire. D’élection en élection, de passage au pouvoir en parenthèse d’opposition, les tenant-e-s du pire moins pire détruisent irrémédiablement les acquis qu’ils/elles prétendaient, sur l’estrade électorale, garantir, conserver et parfois élargir.
Qui ne veut voir cela s’aveugle ! La politique de représentation et de délégation, vivant par et pour la conquête du gouvernement, nous mène droit à une liquidation des émancipations possibles, à la destruction de tout ce que la gauche dans la société a porté d’exigence d’égalité, de liberté et d’émancipation. Qui se prétend d’une gauche authentique et veut aller aux affaires avec le social-libéralisme se coupe les mains !
La plèbe et ses ennemis
L’action politique-étatique dans la société capitaliste, sans une énorme pression de l’autonomie populaire, revient toujours à la mise en œuvre d’une des variantes d’un commandement capitaliste qui se veut total et illimité, à la consolidation du pouvoir séparé de l’État, à la promotion de l’exploitation et de la domination, partout.
La vérité, c’est que chaque jour nous perdons en salaire, en libertés et en droits, en autonomie, en égalité, en sécurité sociale, en condition de vie, en service public. Chaque jour une nouvelle attaque nous est portée. Le système proclame chaque jour une nouvelle humiliation contre les salarié-e-s, les exploité-e-s, les sans-pouvoir, les précaires, les sans-rien.
Femmes, immigrés, prolétaires, enfants, jeunes, vieux, non normés-es, non-conformes, nous sommes une immense cohorte qui fait une majorité là où la domination ne laisse voir que des conditions particulières. C’est la plèbe. L’exigence de l’émancipation de chacun-e vaut révolution pour tous/tes.
Rien ne sert de pérorer pour savoir si les 68 milliards donnés par l’État à l’UBS doivent trouver leur contrepartie dans une misérable participation au Conseil d’administration ou dans une nationalisation formelle qui changerait quelque chose pour que rien ne change. Ce qui est à l’œuvre, c’est une gigantesque expropriation. Ce gouvernement paie avec nos salaires, avec nos retraites, avec notre sécurité sociale les titres pourris de la rente bourgeoise.
Depuis des années, la seule perspective pour l’assurance-chômage, l’assurance-invalidité, l’AVS et le régime des retraites, l’assurance-maladie aussi, c’est une dégradation systématique. Toujours moins, toujours pire. Pour notre sécurité sociale, il n’y a pas d’argent. Pour les salaires et les revenus des classes populaires pas davantage. Mais pour chacun-e, il y a sans cesse plus de contrôle, plus de mise à nu, plus de contrainte.
De plus en plus souvent, l’accès à un travail salarié se paie d’un travail gratuit. Stages et périodes d’essai non rémunérées fleurissent. La précarité devient la norme pour des fractions croissantes de salariés-es. La précarité s’étend. La pauvreté se multiplie. La fragilité sociale devient l’horizon des majorités.
Mettre à nu la vie des pauvres est dans la raison d’État
Ce système de domination ne cesse d’inventer des abus et des droits d’exception, des délinquances et des polices, des politiques de contre-insurgence pour maîtriser territoires et populations. Pour les classes dominantes et l’État, toute liberté populaire est de trop. Toute sécurité sociale excessive. Il faut limiter, brider ou détruire. Au nom de la lutte contre le terrorisme, la délinquance ou la crise, tout est accepté, légitimé, revendiqué. Chaque État y a sa part : la torture pour les uns, les camps pour les autres, le contrôle partout et toujours, la surveillance, le Taser, l’interdiction d’ouvrir sa gueule, de circuler, d’être là. Cela commence toujours par une mesure ciblée contre un groupe particulier ou classé comme tel pour l’occasion. Cela finit toujours par un dispositif et une technologie de contrainte, généralisés, universels.
Les seules consolations offertes au peuple consistent à pouvoir élire de temps en temps une faction ou l’autre du personnel politique et à trouver dans les boucs émissaires que l’État et les médias désignent une illusoire consolation de sa condition. Les médias et les penseurs à solde font office d’architectes d’une caricature d’espace public où tout ce qui parle a le langage et les tics de la soumission.
Nous sommes dans un pays où la vérité nue est celle-ci. Une vendeuse qui parle des conditions de travail dans son entreprise est licenciée. C’est la mesure du pouvoir discrétionnaire des patrons. Manor n’est pas une exception mais la règle.
Cette travailleuse n’a aucun droit légal à la réintégration. Le message est clair et sans cesse rappelé. S’il n’y a pas de lutte et de rapport de forces, le patron prive d’emploi et de salaire qui il veut.
Dans le pays du secret bancaire, il y a le secret pour les riches. Pour les pauvres il y a la mise à nu : tout laisser connaître d’eux-elles au pouvoir, accepter la fouille permanente et illimitée de leur vie. L’État de Vaud a décidé d’imposer une procuration généralisée aux personnes à l’aide sociale donnant accès à toutes les informations sur elles. C’est un département dirigé par un socialiste qui a mis au point cette politique et qui la mène.
Tandis qu’on débat sur les minarets, le silence est retombé sur la condition des sans-papiers. Il leur sera bientôt interdit de se marier en Suisse. Des centaines de milliers de personnes que l’État veut mettre au silence, des sans-pouvoir absolus qui ne restent ici qu’au prix de leur exclusion du droit commun.
Le capitalisme saccage nos vies
Tout ceci était là bien avant la crise économique. C’est l’ordinaire depuis longtemps. Avec la crise économique et financière, tout s’accélère. Avant, les riches encaissaient les bénéfices et accumulaient les profits, maintenant ils-elles encaissent également les dons en argent public pour éponger leurs pertes. Le cynisme est la règle du discours officiel. Ce n’est plus la sanction du marché, le jeu du marché, la justesse et l’efficacité du marché. C’est désormais l’aide publique, les indemnités pour recul des profits et la préparation des nouvelles conditions pour que vive le profit, à tout prix.
L’assurance AIG reçoit 180 milliards de l’État nord-américain pour faire face à ses pertes et prétend de voir honorer les contrats avec ses dirigeants-es en leur versant 450 millions de dollars de bonus alors que Continental licencie 1200 ouvriers dans son usine française après avoir extorqué de ces travailleurs cinq heures de travail gratuit par semaine en échange d’une garantie de l’emploi jusqu’en 2010. Quand il s’agit de travailleurs il n’y a pas de contrat à honorer, ni pour la bourgeoisie ni pour l’État.
Et rebelote, le progressiste Obama offre 1000 milliards de dollars supplémentaires aux banquiers en faillite !
Pour les autres, pour les sans-pouvoir, pour les exploité-e-s, pour les salarié-e-s c’est l’accélération brutale de tout ce que nous connaissons. Moins de salaire, plus de travail. Plus de flexibilité, plus d’asservissement, plus de silence, plus de contrôle, plus de contrainte. Celles et ceux qui veulent aller au gouvernement, nous parlent de relance, de politiques économiques, d’actions publiques, de réformes du capitalisme, de contenir la spéculation et les abus du secteur financier. La question fondamentale est de savoir si nous allons tolérer que pas à pas ce système de domination détruise nos vies. La question est de savoir si nous allons accepter sans lutter ou si nous allons lutter et créer. Aucune résistance ne peut dépendre du possible prescrit par l’État et le système. Dans sa rationalité, le système dira toujours que toute revendication est de trop, que tous [les] refus de se soumettre à ses injonctions compromettent l’économie, l’équilibre social et l’ordre public.
Marcher séparément, frapper ensemble
mais aussi marcher et frapper ensemble
Nous avons contre nous un système à l’offensive. Il nous attaque de toute la force de ses pouvoirs et de ses institutions. Pour nous défendre, nous ne pouvons compter que sur la puissance accumulée hors de ce système, loin de l’État et des gouvernements, à distance de la politique de représentation qui veut saisir les résistances pour les affaiblit et les liquider.
Face à une offensive généralisée, seules des milliers de luttes différentes dans leurs modalités, leur démarches et leurs objectifs peuvent l’emporter. Elles seules ont la possibilité de gripper la machine, de l’arrêter, de la renverser. Chaque lutte est une alternative, un coup porté contre le système qui l’ébranle tout entier. Chaque lutte, dans sa démarche, dans son être au monde, ouvre des possibilités qui vont bien au-delà d’elle-même. Chaque lutte donne un sens à ce monde et nous permet, à toutes et à tous, de nous y repérer, d’en saisir le sens et d’y faire sens.
L’essentiel est que soit explicité cet élément évident : la résistance populaire est hors de l’État. L’État et le gouvernement ne servent pas pour fonder notre puissance. Nous avons ce que nous luttons et rien d’autre.
Naturellement, la résistance populaire est plurielle, diverse. Innombrables sont les expériences qui tentent de combiner l’action de base et la conquête des parcelles de pouvoir étatique, argumentant que le pouvoir contenu dans l’État peut aussi nous servir pour changer les choses. La tension ente activité institutionnelle et action directe populaire se poursuivra immanquablement. Mais il faut déterminer ce qui sera au centre de la lutte : délégation ou autonomie, politique institutionnelle ou politique de libération et donc quels sont les principes et les moyens qui permettent à la résistance populaire d’avancer effectivement, de conquérir son autonomie.
Se perdre au gouvernement
On peut unir et il faut unir. Tout ce que la gauche sociale suppose, entraîne, fait vivre, doit être fédéré, mis en communication, joué comme un immense multiplicateur d’une lutte à l’autre, dans une tension toujours fragile, mais indispensable vers la fédération des résistances, vers leur alliage. La politique institutionnelle habite aussi les luttes et les mobilisations, tente de limiter et de domestiquer la résistance populaire, de la rendre gouvernable pour les institutions du capitalo-parlementarisme. Chaque possibilité d’action conjointe, unitaire, à la base, doit être exploitée. Mais, comme nous l’a appris le syndicalisme révolutionnaire il y a plus d’un siècle, seule l’action directe de masse peut, dans une construction stratégique, unifier et fédérer. C’est en rendant subalterne la politique institutionnelle, en faisant converger tout ce qui dans la résistance se fait à distance de l’État et construit inconditionnellement sa propre puissance que nous pouvons avancer efficacement.
Même si cela heurte le sens commun de beaucoup, le problème n’est pas de savoir si une gauche plus dure peut gouverner avec le social-libéralisme en étant minoritaire par rapport à celui-ci ou si elle doit devenir majoritaire avant d’aller gouverner avec lui. L’État est certes la matérialisation complexe d’un rapport de force mais son «noyau dur» de répression et de contrainte demeure le facteur déterminant. De surcroît, l’accès au gouvernement ne signifie pas la maîtrise de la puissance étatique.
Le service public peut être en quelque sorte détaché de l’État, socialisé, démocratisé par l’accumulation des luttes et l’intervention populaire. Mais le noyau irréductible de l’État n’est pas un matériau qu’on puisse s’approprier et recycler en instrument d’émancipation. Si nous nous laissons enfermer dans la politique institutionnelle, dans le capitalo-parlementarisme, nous laissons l’État retourner contre nous nos efforts, nos convictions, notre parole. En permanence, il tente de nous les rendre irréductiblement étrangers. Il s’efforce d’en faire des machineries hostiles qui nous exproprient et nous enchaînent, jusqu’à l’impuissance.
Nous sommes déjà une image du futur
La question est, bien sûr, d’opposer à la crise systémique une issue radicale de transformation sociale, donc une révolution et d’en parier la stratégie. Longue marche. Beaucoup de gens ont l’intuition que dans ce monde tout devient insécure, fragile, dangereux, hostile, que rien n’est acquis à l’être humain, que la catastrophe menace. Ce terreau est sans doute fertile pour y propager l’idée révolutionnaire. Cela est possible à trois conditions.
La première c’est que les mouvements de résistance en communiquant, en mettant en communauté et en égalité les exigences d’émancipation qu’ils portent, fassent surgir une revendication générale infiniment plus ample et plus forte que leurs objectifs particuliers.
La deuxième est que se construisent et se renforcent des organisations faites pour lutter, pour résister, pour agréger, pour socialiser. Si ne se constitue pas sur des objectifs plus ou moins importants des organisations populaires indépendantes du capitalo-parlementarisme, comptant sur elles-mêmes pour aboutir, il nous manquera l’essentiel. L’essentiel, y compris pour défendre les acquis démocratiques et sociaux. Seule la résistance populaire peut enrayer la barbarie rampante de l’État et des appareils de commandement du système. Seule la lutte peut empêcher que soient liquidés les éléments de progrès que nous ont légués les révolutions démocratiques et les mouvements d’émancipation du passé. Seule la lutte nous permet d’avancer et d’espérer autre chose que la consolation d’un moins pire.
Le troisième élément consiste dans la nécessité de faire entrer en dialectique les revendications immédiates et les objectifs à moyen terme avec des propositions politiques, culturelles et symboliques porteuses d’une alternative générale. Ce n’est pas la mission particulière d’un parti ou même de plusieurs mais le travail de tous les collectifs qui luttent.
Il n’est pas question de parler et d’agir au nom de quelque chose de supérieur au mouvement social, d’une instance de la totalité qui serait au-dessus des luttes partielles, donc considérées comme moindres en conscience et en qualité des objectifs et des pratiques. Les collectifs politiques sont égaux aux autres structures de lutte, ni plus ni moins. Il s’agit d’agir de partout pour la constitution d’un mécanisme multiplicateur des luttes. La politique de libération est une sorte de laboratoire du pari et du possible. Elle explore les voies que les résistances désignent, les entraîne et grandit par elles, dans une communauté sans cesse plus puissante et ouverte.
La Guadeloupe est proche
Il y a aujourd’hui de par le monde de multiples résistances qui tendent vers l’auto-émancipation, vers la liberté, l’égalité et la solidarité. C’est un mouvement général qui se décline dès maintenant dans les luttes, dans leur accumulation, dans leur communauté, dans les possibilités de rupture dont elles sont porteuses. C’est une orientation politique écrite de manière contrastée et variée, mais immense. Le mouvement de grève générale en Guadeloupe vient encore de nous donner là-dessus une leçon magistrale : actions directes de masse, mise à distance de l’État, indépendance face aux mécanismes et aux démarches du capitalo-parlementarisme, pari sur l’unité et donc capacité de peser effectivement sur la pratique de l’État et des pouvoirs capitalistes. Le mouvement de la Guadeloupe nous dit aussi comment s’opère la jonction des émancipations passées avec l’exigence de l’émancipation présente, dans tous ses sujets, dans ses objectifs particuliers et dans ses revendications communes.
Bien d’autres mouvements que nous avons connus nous disent la même chose, des plus modestes, aux plus connus. À chaque fois, la confrontation a été gagnée par la capacité d’autonomie de la résistance populaire par la mise à distance des démarches, des temps et des possibles de la politique institutionnelle. Car la question n’est pas de savoir s’il faut peser sur l’institution étatique, c’est d’une nette évidence. Nous devons être contre-pouvoir face à tous les pouvoirs du système, donc être capables de peser, de tordre, de conditionner…
La vraie question est celle de savoir s’il faut se plier aux institutions, y compris à leur imaginaire (ce qui est irrémédiable quand on décide d’y demeurer un certain temps) pour changer quelque chose ou si nous allons prendre nos affaires en main.
La crise systémique que nous vivons nous rappelle crûment quel est le rôle et la nature de l’État et en quoi il matérialise une aliénation politique qui se définit toujours comme une expropriation de la liberté du peuple.
Les acquis sociaux, les libertés démocratiques, les droits fondamentaux, la traduction sur le terrain légal et institutionnel des avancées portées par les luttes ont fait reculer la contrainte et la violence du système. La tension vers la construction d’une société auto-instituée n’implique pas simplement une socialisation du politique et cela va sans dire de l’économie. Elle porte aussi une conception autre de l’ensemble de l’activité humaine qui met au premier plan la communauté et l’exigence d’émancipation, c’est-à-dire l’exigence d’égalité. Il s’agit certes de collectiviser et de partager entre toutes et tous le pouvoir, la richesse et la production, mais tout cela ne sert qu’à rendre possible l’égalité entre les être humains. Sans elle, il ne saurait y avoir de liberté, d’autodétermination, d’autonomie.
Les luttes d’aujourd’hui appellent l’objectif révolutionnaire. Il y a à la fois le projet explicite, déclaré et critique d’une transformation sociale radicale et l’utopie concrète présente dans les luttes en cours. La résistance tisse un monde nouveau dont il s’agit de solliciter sans cesse la tension et le possible.
Il n’y a pas de grande ou de petite revendication. Il y a la tension possible vers l’avant ou le renoncement à cette tension qui signifie toujours, à terme, le sacrifice des objectifs et des combats aussi partiels soient-ils.
Il y a toujours des objectifs intermédiaires à proclamer et des propositions pour les traduire en politiques gouvernementales dites alternatives. Mais, franchement, à quoi cela sert-il d’invoquer un gouvernement qui nationaliserait une grande banque, quitterait l’OTAN ou respecterait la neutralité si nous n’avons pas la force de refuser de payer cette crise, de collaborer à la logique de guerre ou de couper court au vol de notre revenu ? Et si nous avons la force d’empêcher toutes ces choses, quelle sera l’utilité d’un gouvernement sinon de mettre en musique sur une chiche partition la partie la plus pauvre de ce que nous sommes en train d’avancer ? Aucun gouvernement ne mérite que nous arrêtions notre effort.
Les luttes définissent un pouvoir constituant qu’aucune gestion gouvernementale ne saurait contenir. Quand nous luttons, c’est du pouvoir populaire que nous construisons, c’est l’enracinement de notre force, c’est notre capacité d’être au monde et d’y peser. Aucun gouvernement, aucun-e député-e, aucun appareil ne saurait impulser à notre place une politique de libération.
Organisation socialiste libertaire
Tract distribué à Genève lors de la manifestation
anti-OTAN et anti-G20 du 28 mars 2009.