Guillotinons les anarcho-libertaires !

Publié le par la Rédaction

Lettre ouverte aux journalistes du Dauphiné Libéré et de Grenews à propos du terme «anarcho-libertaire»

Bonjour Stéphane, Agnès, Benjamin et les autres.

Comme vous le savez, un paquet de gens lisent attentivement vos canards, Le Dauphiné Libéré et son petit frère presque turbulent Grenews. Les lisent, les commentent, en discutent. Sont souvent énervés. Aujourd’hui, vous avez droit à un retour critique sur une partie de vos écrits. C’est bien le moins qu’on vous doit, vu le monopole quasi soviétique dont vous disposez sur l’actualité grenobloise.

Depuis deux ans, le terme «anarcho-libertaire» fait de ponctuelles apparitions dans le Dauphiné et Grenews. Employé en 2007 pour désigner sans le nommer le site grenoble.indymedia.org, son usage est maintenant régulier, marquant certains manifestants, certaines manifestations, certaines actions ; en particulier lors de la parade anti-olympique du 5 décembre 2008, du rassemblement pour le droit à l’avortement du 7 février, de la manifestation étudiants-Caterpillar du 24 mars et dans les «très longues interviews» de Stéphane Échinard [
Le Dauphiné Libéré, 8/2/2009 et 25/3/2009, Grenews.com, Stéphane Échinard, interview de Jérôme Safar, 9/2/2009, interview d’Olivier Bertrand, 24/2/2009, interview de Olivier Noblecourt, 10/3/2009.]. Le présent texte serait inutile si un groupe de gens avait choisi de se désigner comme «anarcho-libertaire». Mais ce n’est pas le cas : c’est vous qui avez décidé de cette appellation, ce qui mérite bien un petit décorticage.

Anarcho-libertaire ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Qui a inventé ce mot ? À Grenoble ou ailleurs, il semble qu’il n’existe aucune association, collectif, mouvement ou mouvance revendiquant cette étiquette. Des anarchistes, y’en a pas un sur cent mais pourtant ils existent, des libertaires idem. Mais d’
«anarcho-libertaires» nulle trace, sauf dans les articles du Dauphiné. Alors, pourquoi employer ce terme ? Il serait plus précis de parler, en fonction des circonstances, de manifestants, d’ouvriers, d’étudiants ou de chômeurs, ou bien des interventions de tel ou tel groupe politique, plutôt que d’utiliser une catégorie vague, non définie et non revendiquée.

Si quelqu’un profite de l’usage de ce mot, c’est bien la police. Lorsque les manifestants s’énervent, il est bien plus facile de filmer, ficher, mettre en cage des anarcho-libertaires que de filmer, ficher, mettre en cage des étudiants ou des ouvriers, même si ce sont les mêmes personnes. Est-ce consciemment que les journalistes du Dauphiné jouent le jeu policier ? Etes-vous crédules quand le chef de la police Jean-Claude Borel-Garin dénonce sur Grenews.com  «un certain nombre de désœuvrés, qui sous couvert de mots d’ordre politiques un peu confus sont ici pour “semer le bordel” —ils le disent—, “détruire la société”… Donc ces gens là arrivent à entraîner derrière eux, très souvent, les jeunes» [
Grenews.com, Benjamin Métral, WebJT du 3/3/2009].

Dans la cuvette on parle d’«anarcho-libertaires», à Paris d’«anarcho-autonomes», à Washington de «terroristes», comme au Chili on parlait de «subversifs», et à Rome de «barbares». Mots-valises, mots-magiques sans définition précise avec une même fonction : rejeter hors de la communauté sociale ceux que le pouvoir aura choisi comme boucs émissaires. Ils ne méritent rien, rien que la police. La preuve c’est qu’on ne leur envoie que ça : la police. Diviser pour mieux régner, c’est la doctrine de tous les pouvoirs. Face à un état de tension, on distingue les gentils —citoyens raisonnables prêts au dialogue— des méchants —radicaux violents terroristes jusqu’au-boutistes. Et le plus beau : ceux qui s’indignent du sort fait aux boucs émissaires, l’auteur de ces lignes par exemple, seront stigmatisés de la même manière et hériteront de la même étiquette.

Un peu de sérieux ! En ces temps où les plans de licenciements se multiplient, où Grenoble connaît ses plus grosses manifestations des quarante dernières années, où le Souverain ne peut plus se déplacer qu’entouré de ses cohortes de légionnaires, où quatre-vingt-dix voitures crâment chaque nuit en France, le rôle des journalistes ne devrait-il pas être de nous éclairer sur les causes économiques, sociales et politiques des révoltes, plutôt que de désigner à la vindicte policière les méchants manifestants ? Quand la ficelle est trop grosse, elle finit par se voir. Comme dans le Dauphiné du 25 avril relatant la rencontre entre les manifs de Caterpillar et des étudiants. Un article pour Caterpillar, un article pour les étudiants, et un article pour … les anarcho-libertaires, infiltrés parmi les gentils ouvriers, qui auraient tenté de profiter de l’occasion pour piller Monoprix [
Le Dauphiné Libéré, article non signé, 25/3/2009].

On nous répète donc qu’il existe une minorité radicale, antidémocratique, violente voire «nihiliste» [
Michel Destot, «Grenoble, symbole du débat public et de la confiance dans le progrès Scientifique», Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, 1/6/2006], qui manipule la jeunesse pour semer le Chaos. Le premier adjoint au maire nous explique dans Grenews, que «ce sont des petits bourgeois qui se font peur et qui vivent leur vie aventureuse le plus à l’abri possible pour la plupart d’entre eux» [Grenews.com, Stéphane Échinard, interview de Jérôme Safar, 9/2/2009]. La main de Moscou ! Des sbires d’Al-Qaida ! Le retour de l’Anti-France ! Quelle sera la suite prévisible de cette stigmatisation médiatico-policière ? Descentes de police contre l’Organisation Subversive Grenobloise. Perquisitions. Montages. Identification des leaders. Procès. Guillotinons les anarcho-libertaires ! Ils viennent jusque dans nos campagnes semer le bordel. Rappelez-vous, en 2009 déjà c’étaient eux qui avaient bloqué la fac, pillé Monoprix, etc., etc.

L’inculpation pour terrorisme, la désignation non choisie comme «anarcho-libertaire», c’est la forme moderne du procès en sorcellerie. Disons-le clairement une bonne fois pour toutes : pas besoin d’«anarcho-libertaires» pour que la tension sociale explose. Si les réquisitions collectives réapparaissent dans les grandes surfaces ce n’est pas par fascination pour l’Italie des années 70 mais parce que les prix de l’alimentation ont augmenté de 5,7% en 18 mois [
UFC Que Choisir, 19/2/2009] alors que le temps s’achète au supermarché et que la jeunesse meurt de temps perdu. Si les manifestants ont pris l’habitude de se masquer et de renvoyer les grenades lacrymogènes, c’est parce que l’attitude de la police et en particulier de la BAC de Grenoble est de plus en plus révoltante et répressive. Si les manifestations non déclarées se multiplient, ce n’est pas sous l’impulsion de «meneurs» mais parce que syndicats et partis sont de plus en plus décrédibilisés et que leur «pouvoir d’achat» est bien loin de nos préoccupations. Et si de nombreux contestataires refusent de répondre aux journalistes, préférant rester anonymes ou donnant de faux prénoms, ce n’est pas l’effet d’une décision centrale d’un Comité Invisible mais bien les conséquences d’un traitement indigent de l’actualité et d’une répression policière accrue.

Parfois on sent que vous, les journalistes du Dauphiné, n’êtes pas dupes de ces catégories, comme lorsque Agnès Gosa s’inquiète au détour d’un article de l’usage extensif du terme [
Grenews, Agnès Gosa, 28/2/2009 : ces militants «trop souvent et un peu vite désignés sous le vocable d’anarcho-libertaires»]. Mais il reste que cette expression est de plus en plus fréquente dans le Dauphiné Libéré et dans Grenews. Ces catégories ne sont que celles de la police. Il ne sert à rien de les utiliser, même avec des guillemets. À moins que vous ne pensiez réellement que se cache quelque part à Grenoble une dizaine de complotistes à capuche, préparant des cocktails Molotov et entraînant la jeunesse innocente à les lancer. Donnerez-vous raison à ceux qui tiennent le Daubé pour l’organe de propagande officieux de la Préfecture et de la Ville ? Continuerez-vous à faire une partie du travail de la police ?

En espérant que vous considérerez cette lettre comme un droit de réponse aux articles cités, et que vous la publierez dans vos prochaines éditions.

Grenoble, le 29 mars 2009
Indymedia Grenoble
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