Stratégie de la tension (19 mars place de la Nation)
Les 49 inculpés suite à la manifestation du 19 mars passeront en jugement les 6 avril, 4 et 5 mai.
Il faut rappeler que, contrairement à ce qui a été dit et écrit dans la presse — les journalistes se sont contentés de recopier presque in extenso le communiqué de presse de la préfecture de police — que ces jeunes gens sont tombés dans un piège tendu par la police. Ils disent tous la même chose. À savoir qu’il était impossible de sortir de la place de la Nation lorsque la police décida d’arrêter la presque totalité des personnes encore présentes sur la place. Selon un scénario hélas devenu classique, la police avait donné l’ordre de dispersion tout en bloquant simultanément toutes les issues. Les CRS étaient dans le métro et, selon un plan parfaitement coordonné, dans le même temps la place était hermétiquement bouclée. Il était donc absolument impossible d’en sortir. Dans leur grande naïveté, certains manifestants paniqués sont restés auprès des journalistes en espérant être en sécurité. Puis, plus aucun journaliste et la police a chargé. Et pourtant, il régnait sur la place une ambiance bon enfant et plutôt festive. Ce qui n’empêcha pas des policiers en civils de créer une situation de tension. Ils faisaient mine de vouloir agresser les cordons de CRS, et soudain bondissaient sur un manifestant, au hasard, laissant s’exprimer librement, et en toute impunité, leur violence. Ainsi, en créant la confusion et la panique, ils instituèrent une situation d’insécurité. Le simple fait de résister aux coups vous condamnait à une inculpation. À l’évidence ces actions coordonnées obéissaient à un plan bien préparé et exécuté avec rigueur. On ne fait pas manœuvrer autant d’unités de police issues de corps différents (CRS, Gardes mobiles, BAC, RG…) en improvisant à la hâte la mise en place d’un dispositif aussi méthodique.
Les inculpés seront victimes ne l’oublions pas, d’une justice expéditive qui repose sur les témoignages à charge des seuls policiers. Il s’agit de faire des exemples et de faire peur. Dans cette affaire, l’idée de justice est comme exonérée de la recherche de la vérité à laquelle on aurait pu croire, à l’aune des déclarations politiciennes, qu’elle fut attachée. Il s’agit de justifier, aux yeux de l’opinion publique, une pratique de répression aveugle. Cette stratégie est d’autant plus redoutable que n’importe qui, dès lors qu’il sort de l’encadrement des organisations syndicales, est susceptible d’en subir les conséquences sans pouvoir se défendre et remettre en cause les témoignages douteux sur lesquels repose l’accusation.
Les interpellés risquent de payer le prix fort. Et pourtant, ils disent tous la même chose, à savoir que lorsque le piège s’est refermé il était impossible de quitter la place de la Nation. Il n’y avait aucun moyen de se défendre. Hors des quelques canettes, gestes dérisoires de désespoir, qui ont volé, les arrestations se sont déroulées dans un climat de panique, de reddition et d’incompréhension totale. Les policiers et les juges savent ce qu’il en est exactement, et pourtant. La manœuvre est grossière mais peu leur importe puisque ainsi chacun est dans son rôle. La répression politique dont il est ici question est arc-boutée sur une idéologie qui n’a que faire de toute idée de justice et de vérité.
La stratégie policière fabrique tactiquement l’ennemi tel qu’elle le veut, de toutes pièces. Il ne s’agit plus de punir le coupable d’un méfait, fut-il imaginaire ou en état de légitime défense, mais de créer le méfait et son coupable pour criminaliser, effaroucher, désolidariser, et donc prévenir la colère qui monte.
Courriel, 25 mars 2009.