De Villiers-le-Bel à Tarnac, nouvelles d'un front...
Souvenez-vous Villiers-le-Bel, la mort des deux adolescents fauchés par une voiture de police, deux jours d’émeutes d’une rare intensité et le déploiement d’une véritable force militaire et de toutes les dernières technologies de la contre insurrection (hélicoptères, drones…). C’était fin novembre 2007.
Février 2008, tout le monde s’en souvient, nous sommes bombardés d’images d’une opération massive d’encerclement du quartier et de perquisitions en série menées par un dispositif policier complètement surdimensionné avec journalistes «embarqués». Arrestations en série, interrogatoires, garde à vues, relaxe pour la plupart, rien, aucun élément trouvé. Alors on monte encore d’un cran, appels à la délation contre rémunération, et protection spéciale du statut de «témoin sous X». Nouvelles arrestations, cinq personnes sont mises en examen, sur cette seule base, la délation rémunérée.
Qu’en est-il aujourd’hui, qui se préoccupe de leur sort sinon leurs amis et les habitants du quartier ?
Ils ont tous fait un an de «prison préventive», ponctué d’auditions d’un juge d’instruction, mais rien, de l’avis de tous et principalement de la défense, le dossier est entièrement vide. Mais quand il faut des coupables, surtout quand en partie civile on a une soixantaine d’agents des forces de l’ordre, mises à mal, ces forces-là, sur le terrain autant que dans le procès pour la mort des jeunes qui piétine toujours, on ne s’attarde pas sur ce genre de détails.
Fin février de cette année, comme c’est prévu par la loi qui régit la détention préventive, ces cinq personnes ont été représentées devant un juge des libertés pour juger de l’éventualité de leur mise en liberté ou de la prolongation de la détention. Par ce qui semble être un pur hasard ou un dérapage conscient du juge, la première des personnes présentées est libérée … puis par un étrange phénomène qu’on pourra supposer «de couloir», les quatre autres qui ne présentaient rien de plus «à charge» dans leur dossier, voient leur mandat de dépôt prolongé pour six nouveaux mois. Sans perspective de procès. En silence. Personne n’en parle, jamais.
Alors on pourra comprendre que certains s’étonnent de la pourtant déjà minime agitation autour du maintien en détention de Julien Coupat. Qui est finalement loin d’être une exception, un cas isolé…
Il faudrait pouvoir ne pas toujours prendre les choses par le petit bout de la lorgnette, ne pas «réagir» à chaque fois comme si c’était la première fois, ne pas faire mine de découvrir toujours, les rouages de la raison d’État, les comportements politiques dictés par la rente électorale, le journalisme toujours plus ramené à un simple rôle d’échos des dépêches du parti de l’ordre, pas tant du fait d’une quelconque tutelle officieuse sinon du fait d’une incompétence chronique, d’un défaut de sens historique, d’une amnésie crasse, d’un manque d’exigence patent. Les exceptions à cette règle sont beaucoup trop rares pour prétendre sauver la profession, désolé pour eux.
À leur décharge toutefois, c’est vrai qu’on imagine mal comment il pourraient porter à eux seuls la tâche qui devrait revenir à chacun. Nous sommes jusqu’au cou dans une époque ou dire et «parler de» ne suffit plus depuis longtemps, et contribue même peut-être à renforcer le sentiment d’impuissance généralisé. Alors comment faire?
Comment ne plus juste «parler de», mais répondre, pied à pied, chacun à sa manière, à la guerre qui nous est faite.
Benjamin, épicier terroriste - Mediapart, 15 mars 2009.