Guadeloupe partout !
Pouvait-il en être autrement ? Ce monde croyait pouvoir se régler sur une seule mesure, l’argent, celle-là même qui ne tient aucun compte des qualités concrètes des êtres et des choses : ni de la fatigue des individus, ni de la teneur en humus des sols, ni de l’épuisement des océans… Comment ne pouvait-il pas aboutir au bord de l’abîme, puisque l’enrichissement abstrait, hors de toute prise en compte des conséquences, provoque un immense dérèglement cumulatif — qui a trouvé dans le tsunami financier son apothéose de logique folle déconnectée du réel ?
N’appelons pas «ça» la crise : n’employons surtout pas le même mot que le personnel étatique et les managers qui voudraient tirer parti de cette purge pour restructurer au maximum — encore et toujours en licenciant, nous démontrant que même si le travail vivant ne vaut plus rien, il leur coûte encore trop cher ! — et essayer ainsi de sortir de l’ouragan en position dominante face à leurs concurrents. Quant à nous, nous appellerons «ça» une fin de civilisation et nous nous emploierons à la rendre effective pour faire émerger une autre vie sociale.
À la dislocation progressive du capitalisme vont répondre des soulèvements populaires incessants, comme depuis le début de l’année, la Grèce, les Antilles, la Réunion : qu’on ne cherche pas à opposer aux émeutes de banlieue les «honnêtes» défilés syndicaux, ou les pratiques diffuses de sabotage dans les pays développés aux émeutes de la faim dans le Tiers Monde, alors qu’à tous se pose la privation cruelle de moyens pour une existence digne. À la fièvre de ces convulsions, on ne répondra pas par du repos en se taisant ou en regardant à la télé la suite du film catastrophe : car de deux chose l’une, ou bien, ceux qui travaillent — et ceux qui sont peut-être en attente de le faire un jour — se perçoivent comme de pures victimes du «système» et le comble serait qu’ils en redemandent en réclamant la relance de cette machine économique qui broie le vivant ; ou bien, participant au binz, on sent bien qu’on ne fait pas face au «système», et que s’il ne tient que grâce à nous — à l’énergie que nous lui insufflons, à notre passivité qui le rend incontrôlable —, on peut tout aussi bien le défaire. La conclusion dans les deux cas est la même : il n’y a aucune raison de continuer à collaborer au désastre, et il nous faut ouvrir des voies de sécession.
Gardons en tête ce refrain guadeloupéen : arracher des augmentations de salaire n’est pas une fin en soi, c’est aussi un des moyens pour retrouver dignité, confiance en soi et en autrui, conscience collective ; parce qu’à l’inverse, si on reste dans la demande aux puissants, ceux-ci joueront sur du velours. C’est en nous remettant en question nous-mêmes dans notre habitude à la résignation et aux pauvres compensations de la consommation que nous échapperons au contrôle des dirigeants.
La privation de moyens d’existence autonome c’est LA violence qui permet toutes les autres. Admettre l’économie moderne, c’est admettre d’être pris en otage et d’être rançonné. Pour se sortir de ce piège il faut revenir aux sources du lien humain et en faire une arme collective : la confiance réciproque, ce qui justement disparaît des relations capitalistes pourries jusqu’à la moelle par le mensonge et l’escroquerie.
Pour desserrer l’étau économique qui emprisonne nos existences, on va s’appuyer sur ce sentiment de confiance préservé, resté imperméable au calcul économique. Expérimentons directement des sorties de l’économie : non pas basculer d’un seul coup dans l’inconnu, mais élargir de plus en plus, à l’échelle d’une rue, d’un village d’un quartier, ce qu’on sait faire déjà sans l’État et sans l’argent, par exemple dans l’entraide entre voisins, le don de légumes, la retape de baraque entre copains, une partie de mécanique gratos… Une nouvelle société ne se formera certes pas tout de suite dans la foulée, mais nos bases arrière s’en trouveront renforcées. C’est grâce à cette force positive nous permettant de revivre immédiatement que nous pourrons substituer plus complètement une vie en société digne à la place de la désorganisation ambiante. Cet acquis constituera l’atout décisif dans la confrontation avec les partisans du chaos économique prolongé que sont État et capitalistes.
C’est à titre humain que par la suite nous fermerons les sites de production de mort ou d’abrutissement (armements, chimie, banques, publicité, etc.), mais ce seront nos réseaux d’approvisionnement et d’entraide qui accueilleront tous leurs anciens salariés — à la différence du système qui les balance dans l’isolement du chômage et de l’assistanat. Réquisition des maisons vides, répartition des terres agricoles et mise en cultures des parcelles délaissées ouvriront des perspectives aux emmurés des mégalopoles…
Il y a tant à faire qui redonnera le goût de vivre… C’est un nouvel âge de l’humanité qui va commencer !
«Ce système a confiné nos existences dans des individuations égoïstes qui vous suppriment tout horizon et vous condamnent à deux misères profondes : être “consommateur” ou bien être “producteur”.»
Manifeste pour les produits de haute nécessité
Pointe-à-Pitre, février 2009 (paru dans le Monde du 16/02/09)
Collectif du 19 mars
Mende (Lozère), le 13 mars 2009.