Martinik levé
Chronique de Michel en direct de Martinique (suite).
Martinik, vendredi 6 mars :
30e jour de grève générale
L’affrontement
Dans la nuit de jeudi à vendredi plusieurs entrepôts ont été brûlés.
Dans la journée de ce vendredi, on a appris la venue d’un étrange cortège venant de la côte atlantique, composé de tracteurs, de camions et d’autres véhicules. C’étaient les planteurs de bananes qui protestaient contre le blocage du port par les grévistes, amenant la perte de leur récolte. S’y étaient joints d’autres petits et grands patrons qui entendaient, en fait, proclamer leur hostilité à la grève et leur volonté de faire respecter «la liberté du travail». Très vite on s’est aperçu que ce défilé «molocoye» était conduit par des békés, dont de Raynal — président du syndicat des planteurs de bananes — et des membres de sa famille.
La rumeur se répand alors comme une traînée de poudre et les tee-shirts rouges surgissent de toutes parts pour arrêter le cortège qui prétend défiler dans Fort-de-France devant la Maison des syndicats. Grossière provocation ! Bientôt le «caillassage» des tracteurs commence sur la rocade. Les gardes mobiles, qui déjà, à hauteur de Dillon, ont tiré des gaz lacrymogènes, visant, à tir tendu les fenêtres des logements HLM, tentent encore une fois de repousser les assaillants qui s’en prennent aux véhicules des patrons. Un tracteur, venant par la route des Religieuses, arrive cependant à l’angle de l’avenue du Général de Gaulle. Il doit stopper et manque de peu la crémation et se retrouve, pneus crevés, dans un triste état.
Les jets de pierres et de bouteilles atteignent les forces de l’ordre non loin de la Préfecture. Elles ripostent par un tir intense de gaz lacrymogènes. L’atmosphère devient irrespirable et l’odeur des gaz, le bruit des tirs, atteignent la salle des négociations où se tiennent les membres de la partie patronale et ceux du Collectif. Ceux-ci devant les tensions, les tirs des forces de l’ordre, décident de se retirer. Serge Letchimy, le député-maire de Fort-de-France, a quitté précipitamment la salle et se rend à pied jusqu’à la rocade où ont lieu des affrontements. Tentant de s’interposer il paraît profondément affecté et est difficilement accepté comme médiateur par les forces de l’ordre. Celles-ci ont fait une incursion dans Trénelle et tiré en tous sens, visant des domiciles. Le quartier est envahi par les gaz lacrymogènes. Un journaliste métro commente mais a du mal à se repérer.
Comment se fait-il que les médias français aient si peu de journalistes de couleur ? Pourquoi n’en envoient-ils ainsi aux Antilles ou ailleurs ? La réponse me parait évidente : ils en ont très peu embauché jusqu’à présent et il faut bien dire qu’il y a peu de journalistes noirs travaillant pour les chaînes métropolitaines.
Finalement les békés et leurs partisans font demi-tour, pare-brise éclatés, prenant à témoin le public, à travers leur média-croupion ATV, de cette «atteinte intolérable du Collectif à la démocratie».
Comme par hasard ces troubles ont lieu au moment où une issue semblait être trouvée dans les négociations. Et de Raynal qui siège avec la partie patronale depuis le 5 février, torpillant au dernier moment tout accord, se retrouve à présent à la tête des agriculteurs en ce vendredi 6 mars.
La foule reste massée boulevard du Général de Gaulle regrettant presque le retrait des patrons. C’est un coup de fouet qui remobilise de plus belle. Pour le lendemain samedi l’UMP appelé à une manifestation («en bleu») contre la grève. Déjà nombre de manifestants se déchaînent et leur prédisent un accueil de circonstances. Chantal Maignan, la responsable de l’UMP, instigatrice de cette manifestation est accusée de fomenter un affrontement physique.
Limites du mouvement
Au point où l’on en est, dans cette situation de pénurie, on aurait souhaité que les syndicats s’emparent au moins de la nourriture des supermarchés ou des entrepôts du port, avant que pour certains produits elle ne soit périmée. Ils n’ont pas osé le faire.
De même les salariés de la société Batir, tenu par le béké Despointes, ont demandé l’arrêt de la grève devant le dépôt de bilan et le lock-out du patron. Aucun n’a suggéré une expropriation et une reprise en main des stocks par les salariés eux-mêmes. On ne sent guère cette volonté de réquisition mais plutôt une attitude de quémandeur face aux riches, sans qu’on ose demander que TOUT soit restitué et géré par les travailleurs eux-mêmes.
Fort-de-France, samedi 8 mars :
31e jour de grève générale
À l’approche de la Maison des syndicats des femmes distribuent des tracts écrits en rouge de l’UFM (Union des femmes de la Martinique). Sur l’asphalte on distingue des traces de la crémation des véhicules des manifestants patronaux. La manifestation kamikaze appelée par Madame Maignan n’aura pas lieu. Une jeune femme habillée d’un tee-shirt bleu se fait néanmoins conspuer («assé profitasyon») par les tee-shirts rouges. Une partisane de l’UMP ?
J’apprends que la veille plusieurs gardes mobiles ont été blessés par balle au cours des échauffourées.
D’hélicoptères on a tiré des gaz lacrymogènes et des tirs visaient la cour de la Maison des syndicats.
Les forces de l’ordre se plaignent de l’attitude du Collectif qui n’aurait pas condamné clairement les contre-manifestants qui les avaient ainsi attaqués. Ce à quoi le Collectif a répondu que les causes de ces violences sont avant tout à rechercher vers la partie patronale qui a non seulement tergiversé dans les négociations, mais qui de plus, organise aujourd’hui des manifestations provocatrices.
De Raynal, à présent, il est vrai, conspué de toutes parts, passe — pour rester poli — pour quelqu’un de peu intelligent.
Il apparaît quand même le soir sur ATV, la chaîne complaisante, pour énoncer un mensonge éhonté : le Collectif était au courant de sa manifestation et aurait même donné son aval ! Et évidemment il faut savoir terminer une grève. Surtout que ce sont bien les bananes de Monsieur Frédéric de Raynal que l’on refuse d’expédier du port. Celles des petits planteurs ont fait l’objet d’un accord. Ghislaine Joachim-Arnaud rappelle donc les intérêts en jeu et les manœuvres dilatoires et provocatrices des békés qui cherchent à épuiser le mouvement social. Il leur suffirait de signer les derniers accords pour que la grève cesse. Et certains l’ont été après plusieurs semaines de négociations où la partie patronale n’a cessé de tergiverser, de faire au dernier moment des contre-propositions. Pourquoi ne pas aller plus vite ? Mais c’est bien la partie patronale qui préfère attendre lundi après-midi 10 mars pour les reprendre. Alors que le Collectif est prêt à négocier ce week-end. Quant au milliardaire Despointes qui avait fermé à ses employés son magasin de matériaux de construction pour «dépôt de bilan et lock-out» il l’a finalement réouvert.
J’apprends qu’Élie Domota fait l’objet d’une enquête ordonnée par la Justice pour violence et intimidation. Ce serait là une belle tribune pour s’adresser non seulement à l’opinion française, mais aussi à l’opinion internationale. L’État français colonialiste aura bonne mine et cela risque d’être encore une fois SON procès ! En attendant, en Guadeloupe, vigilant et mobilisé, le mouvement ne faiblit pas : 30.000 manifestants à Pointe-à-Pitre. À Fort-de-France, après les échauffourées de la veille, nous étions aussi plus de 10.000 en ce samedi malgré le chiffre de 4 à 5000 annoncé par ATV.
Courriel, 8 mars 2009.