Bruxelles : La loi de la rue contre la rue de la Loi
Blocage de la rue de la Loi à hauteur du cabinet Turtelboom
La loi de la rue contre la rue de la Loi
Fatigués de laisser l’initiative à l’État, aux syndicats et associations qui constituent le corps classique et partidaire du «politique», affaiblis de toujours nous retrouver là où nous sommes attendus, nous avons décidé de partir de nos propres forces. Nous n’attendrons plus le soulèvement en masse d’une population apathique, ni une opinion publique favorable, ni même le bon moment. Être présents, même à trente, pour bloquer la rue de la Loi c’est cesser d’attendre.
Nous luttons avec ceux que l’on nomme les «sans-papiers» d’abord parce que les politiques racistes et ségrégatives dont ils vivent quotidiennement la violence, leur est faite en notre nom, au nom de notre sécurité, de notre avenir, du travail que l’on veut nous sauvegarder, de notre économie, de notre peur de l’autre. Nous refusons de continuer à nous identifier à cette part de nous-mêmes comptée dans cet ensemble informe qu’est la population et au nom de laquelle on exclut, enferme et expulse les indésirables. Nous luttons avec les sans-papiers parce que la violence qui leur est faite nous rappelle ce qui nous est le plus intolérable dans ce monde de normalisation et de pacification.
Nous avons éprouvé maintes fois la nécessité des complicités réelles qui nous rendent égaux, qui nous donnent le courage d’agir, de dépasser la peur de la répression et qui renforcent les liens. Ce qu’ont montré à tous les révolutionnaires les exemples grec, guadeloupéen, martiniquais c’est qu’à l’heure où tous les militants du monde admettent qu’il faut stopper aujourd’hui la course infernale du capitalisme, il fallait bien commencer quelque part : il fallait bien quelques jeunes déterminés à Exarkhia (quartier d’Athènes) pour affronter la police, il fallait bien commencer par obliger les commerces à fermer pour mettre la Guadeloupe en grève générale.
Nous n’accepterons plus sans mots dire les lois scélérates et les mesures politiques infâmes promulguées contre les nouveaux boucs émissaires, ces juifs du temps présent que sont les sans-papiers, les sans-emploi, les sans-voix, les sans-argent et autres sans-droits qui font tache dans la grande aventure du libéralisme. Jamais un gouvernement ne régularisera tous les sans-papiers, jamais le PS n’aura la volonté de fermer les camps pour étrangers, jamais la police ne cessera de rafler les personnes qui n’ont pas leurs papiers. Les gouvernements peuvent faire toutes les lois, toutes les circulaires qu’ils veulent, les migrants continueront malgré tout à passer les frontières. La question des flux migratoires est probablement la question la plus insistante de notre présent politique. C’est pourquoi lui donner une solution gestionnaire, surtout à l’heure d’un affaiblissement durable et substantiel de la machine économique et d’un durcissement proportionnel de la gestion policière des conflits est une inconsistance stratégique. Dans cette logique il est claire que le ministère de la Politique d’asile et de la migration (dépendant lui-même du ministère de l’Intérieur) a comme seule et unique fonction une fonction de «basse police» : organiser des rafles, légaliser l’enfermement, construire de nouveaux centres fermés, criminaliser les «sans-papiers» ou ceux qui les soutiennent. Il n’y a rien à en attendre, il y a seulement à le rendre inopérant.
À l’heure où tant de partis, d’associations ou de citoyens demandent la fermeture des camps pour étrangers ; à l’heure où même le Parti socialiste demande un moratoire sur les expulsions, il fallait passer à l’offensive, c’est ce que nous faisons. Il ne sert à rien de s’indigner lorsque des sans-papiers se font rafler ou expulser, il ne sert à rien d’invoquer les droits de l’homme si nous ne sommes pas capables de résistances, de prendre parti, en acte, de faire pencher de notre côté le rapport de forces.
Le plus grand malheur qui puisse nous arriver c’est qu’il n’y ait plus ni discussions publiques dans les rues, ni effervescence, ni prise de parti. Tout est perdu quand le peuple qui peine toujours à se constituer, accepte de sang-froid la peur et la sécurité à crédit, lorsqu’il se confond avec les enquêtes d’opinion, les sondages, bref avec la présentation manipulée de l’opinion. Le peuple n’est pas un public que l’on domestique ou que l’on excite comme on le fait dans les Talk Show médiatiques et politiques. Il est toujours en excès, en supplément à ce que le droit et la pastoralité contemporaine identifient de nous en tant que population. C’est pour cela que les élites en ont une telle peur et préfèrent mille fois parler avec des sondages que de se rendre sur un piquet de grève. La liberté est toujours sortie des feux de la sédition et jamais d’un parlement.
Nous n’irons plus sagement suivre nos cours à l’université alors que tant de frères croupissent dans les prisons ou dans les camps pour étrangers, que tant d’amis subissent d’infâmes procédures judiciaires parce qu’ils trouvent plus logique de se solidariser avec les «sans-papiers» en lutte ou les travailleurs en grève qu’avec les banquiers et leurs gouvernements. Nous préférons être dans la rue quand nos camarades se font violemment expulser ou ne trouvent d’autres moyens que de retourner cette violence contre eux-mêmes en faisant la grève de la faim. La plupart du temps nous sommes gouvernés presque malgré nous, c’est pourquoi le pouvoir ne peut fonctionner sans notre consentement quotidien. Mais lorsque l’on tire l’expérience du fait que nous sommes bien pris dans l’espace sécuritaire ou comptés comme «citoyens» parce que nos comportements correspondent aux usages prescrits (aller à l’université, prendre la rue de la Loi pour aller travailler, pointer son ticket dans le bus, aller voter) nous devons répondre de la médiocrité et de la vulgarité des formes de vie que la publicité ou la sécurité nous incite à épouser. En bloquant la rue de la Loi à la hauteur du cabinet de Mme Turtelboom, nous entendons perturber le cours normal des choses. Interrompre la communication, l’information, la consommation permet alors d’ignorer le modèle majoritaire afin d’y ouvrir un espace à la création. Une communauté irruptive peut alors se constituer sur un autre partage du sensible. Un autre rapport au commun peut être éprouvé qui n’a plus besoin ni de gouvernement, ni de police. Interrompre les petites machines sociales qui nous font nous lever tôt et quitter dans la grisaille du petit matin femmes, hommes, enfants et amis, ces petites machines qui constituent le quotidien de l’exploitation et des hiérarchies permet l’affirmation de la présentation collective, l’association libre des hommes dégagée du principe de souveraineté de l’État et du Capital. Dans un monde où chacun est gouverné par la logique de l’intérêt, un moment d’égalité n’est possible que pour autant que soit suspendu, pour un temps plus ou moins long, l’ensemble des dispositifs de pouvoir dans lesquels les individus, les singularités circulent et se constituent.
Les mondes dans lesquels nous sommes ensemble avec les sans-papiers se constituent depuis cet axiome déraisonnable et inaudible pour tous les gestionnaires de ce monde : considérer que tout le monde compte, que tout le monde a son mot à dire, et qu’il convient de rejeter farouchement une société qui aurait besoin, pour fonctionner, d’exclure du champ politique une partie (plus ou moins grande) de sa population. Depuis cette idée, toute une série d’actes peuvent être produits qui valent itération d’une telle déclaration entraînant avec eux toute une série de ruptures : rupture avec le pluralisme parlementaire, rupture avec l’idée de réaliser un ordre social enfin libéré de la misère et de l’exploitation, rupture avec le consensus démocratique, rupture enfin avec les dispositions à envisager ce monde comme le seul monde possible et à se résoudre à ce qu’il comporte d’évidentes injustices. Dans les mondes que nous constituons nous rejetons les affirmations identitaires et profondément réactionnaires qui consistent à défendre avec acharnement que je ne suis pas l’autre, qu’il faut frontières, polices, statuts et hiérarchies pour nous en tenir à distance. Pour ceux-là, sont d’ici ceux qui prêtent allégeance à une règle identitaire qui repose sur un principe d’escamotage violent : l’identité nationale n’est pas déduite a posteriori par la somme ou la synthèse des individus (et de leurs cultures) présents de fait sur le territoire — elle est au contraire la culture qu’une partie de la population, mystérieusement propriétaire du pays, impose de droit à tous les autres habitants. Pour nous, ceux qui nous sont présentés comme les «étrangers», et toute la mythologie qui leur est associée, incarne un puissant et réel potentiel de transformation politique qu’il s’agit pour ceux qui tiennent à leurs privilèges d’exorciser par tous les moyens — y compris la traque, les rafles, la menace constante d’une arrestation, d’une rétention, qui constituent aussi un châtiment spectaculaire à l’impardonnable puissance politique qu’il représente. Les mondes qu’une telle politique est à même de produire, en lieu de ce monde unique, ont absolument besoin, pour leurs possibilités même, de ceux qui viennent d’ailleurs.
Une trentaine d’indigènes surdéterminés ont pris d’assaut la ville pour se retrouver rue de la Loi, à hauteur du cabinet Turtelboom, pour bloquer un flux de navetteurs ce jeudi 26 février aux environs de 16h00. Malgré une présence insistante de flics et l’arrivée d’une quinzaine de «CRS», nous avons pris le bouchon créé à contre-sens pour s’enfuir joyeusement par le réseau STIB.
La loi de la rue contre la rue de la Loi
Fatigués de laisser l’initiative à l’État, aux syndicats et associations qui constituent le corps classique et partidaire du «politique», affaiblis de toujours nous retrouver là où nous sommes attendus, nous avons décidé de partir de nos propres forces. Nous n’attendrons plus le soulèvement en masse d’une population apathique, ni une opinion publique favorable, ni même le bon moment. Être présents, même à trente, pour bloquer la rue de la Loi c’est cesser d’attendre.
Nous luttons avec ceux que l’on nomme les «sans-papiers» d’abord parce que les politiques racistes et ségrégatives dont ils vivent quotidiennement la violence, leur est faite en notre nom, au nom de notre sécurité, de notre avenir, du travail que l’on veut nous sauvegarder, de notre économie, de notre peur de l’autre. Nous refusons de continuer à nous identifier à cette part de nous-mêmes comptée dans cet ensemble informe qu’est la population et au nom de laquelle on exclut, enferme et expulse les indésirables. Nous luttons avec les sans-papiers parce que la violence qui leur est faite nous rappelle ce qui nous est le plus intolérable dans ce monde de normalisation et de pacification.
Nous avons éprouvé maintes fois la nécessité des complicités réelles qui nous rendent égaux, qui nous donnent le courage d’agir, de dépasser la peur de la répression et qui renforcent les liens. Ce qu’ont montré à tous les révolutionnaires les exemples grec, guadeloupéen, martiniquais c’est qu’à l’heure où tous les militants du monde admettent qu’il faut stopper aujourd’hui la course infernale du capitalisme, il fallait bien commencer quelque part : il fallait bien quelques jeunes déterminés à Exarkhia (quartier d’Athènes) pour affronter la police, il fallait bien commencer par obliger les commerces à fermer pour mettre la Guadeloupe en grève générale.
Nous n’accepterons plus sans mots dire les lois scélérates et les mesures politiques infâmes promulguées contre les nouveaux boucs émissaires, ces juifs du temps présent que sont les sans-papiers, les sans-emploi, les sans-voix, les sans-argent et autres sans-droits qui font tache dans la grande aventure du libéralisme. Jamais un gouvernement ne régularisera tous les sans-papiers, jamais le PS n’aura la volonté de fermer les camps pour étrangers, jamais la police ne cessera de rafler les personnes qui n’ont pas leurs papiers. Les gouvernements peuvent faire toutes les lois, toutes les circulaires qu’ils veulent, les migrants continueront malgré tout à passer les frontières. La question des flux migratoires est probablement la question la plus insistante de notre présent politique. C’est pourquoi lui donner une solution gestionnaire, surtout à l’heure d’un affaiblissement durable et substantiel de la machine économique et d’un durcissement proportionnel de la gestion policière des conflits est une inconsistance stratégique. Dans cette logique il est claire que le ministère de la Politique d’asile et de la migration (dépendant lui-même du ministère de l’Intérieur) a comme seule et unique fonction une fonction de «basse police» : organiser des rafles, légaliser l’enfermement, construire de nouveaux centres fermés, criminaliser les «sans-papiers» ou ceux qui les soutiennent. Il n’y a rien à en attendre, il y a seulement à le rendre inopérant.
À l’heure où tant de partis, d’associations ou de citoyens demandent la fermeture des camps pour étrangers ; à l’heure où même le Parti socialiste demande un moratoire sur les expulsions, il fallait passer à l’offensive, c’est ce que nous faisons. Il ne sert à rien de s’indigner lorsque des sans-papiers se font rafler ou expulser, il ne sert à rien d’invoquer les droits de l’homme si nous ne sommes pas capables de résistances, de prendre parti, en acte, de faire pencher de notre côté le rapport de forces.
Le plus grand malheur qui puisse nous arriver c’est qu’il n’y ait plus ni discussions publiques dans les rues, ni effervescence, ni prise de parti. Tout est perdu quand le peuple qui peine toujours à se constituer, accepte de sang-froid la peur et la sécurité à crédit, lorsqu’il se confond avec les enquêtes d’opinion, les sondages, bref avec la présentation manipulée de l’opinion. Le peuple n’est pas un public que l’on domestique ou que l’on excite comme on le fait dans les Talk Show médiatiques et politiques. Il est toujours en excès, en supplément à ce que le droit et la pastoralité contemporaine identifient de nous en tant que population. C’est pour cela que les élites en ont une telle peur et préfèrent mille fois parler avec des sondages que de se rendre sur un piquet de grève. La liberté est toujours sortie des feux de la sédition et jamais d’un parlement.
Nous n’irons plus sagement suivre nos cours à l’université alors que tant de frères croupissent dans les prisons ou dans les camps pour étrangers, que tant d’amis subissent d’infâmes procédures judiciaires parce qu’ils trouvent plus logique de se solidariser avec les «sans-papiers» en lutte ou les travailleurs en grève qu’avec les banquiers et leurs gouvernements. Nous préférons être dans la rue quand nos camarades se font violemment expulser ou ne trouvent d’autres moyens que de retourner cette violence contre eux-mêmes en faisant la grève de la faim. La plupart du temps nous sommes gouvernés presque malgré nous, c’est pourquoi le pouvoir ne peut fonctionner sans notre consentement quotidien. Mais lorsque l’on tire l’expérience du fait que nous sommes bien pris dans l’espace sécuritaire ou comptés comme «citoyens» parce que nos comportements correspondent aux usages prescrits (aller à l’université, prendre la rue de la Loi pour aller travailler, pointer son ticket dans le bus, aller voter) nous devons répondre de la médiocrité et de la vulgarité des formes de vie que la publicité ou la sécurité nous incite à épouser. En bloquant la rue de la Loi à la hauteur du cabinet de Mme Turtelboom, nous entendons perturber le cours normal des choses. Interrompre la communication, l’information, la consommation permet alors d’ignorer le modèle majoritaire afin d’y ouvrir un espace à la création. Une communauté irruptive peut alors se constituer sur un autre partage du sensible. Un autre rapport au commun peut être éprouvé qui n’a plus besoin ni de gouvernement, ni de police. Interrompre les petites machines sociales qui nous font nous lever tôt et quitter dans la grisaille du petit matin femmes, hommes, enfants et amis, ces petites machines qui constituent le quotidien de l’exploitation et des hiérarchies permet l’affirmation de la présentation collective, l’association libre des hommes dégagée du principe de souveraineté de l’État et du Capital. Dans un monde où chacun est gouverné par la logique de l’intérêt, un moment d’égalité n’est possible que pour autant que soit suspendu, pour un temps plus ou moins long, l’ensemble des dispositifs de pouvoir dans lesquels les individus, les singularités circulent et se constituent.
Les mondes dans lesquels nous sommes ensemble avec les sans-papiers se constituent depuis cet axiome déraisonnable et inaudible pour tous les gestionnaires de ce monde : considérer que tout le monde compte, que tout le monde a son mot à dire, et qu’il convient de rejeter farouchement une société qui aurait besoin, pour fonctionner, d’exclure du champ politique une partie (plus ou moins grande) de sa population. Depuis cette idée, toute une série d’actes peuvent être produits qui valent itération d’une telle déclaration entraînant avec eux toute une série de ruptures : rupture avec le pluralisme parlementaire, rupture avec l’idée de réaliser un ordre social enfin libéré de la misère et de l’exploitation, rupture avec le consensus démocratique, rupture enfin avec les dispositions à envisager ce monde comme le seul monde possible et à se résoudre à ce qu’il comporte d’évidentes injustices. Dans les mondes que nous constituons nous rejetons les affirmations identitaires et profondément réactionnaires qui consistent à défendre avec acharnement que je ne suis pas l’autre, qu’il faut frontières, polices, statuts et hiérarchies pour nous en tenir à distance. Pour ceux-là, sont d’ici ceux qui prêtent allégeance à une règle identitaire qui repose sur un principe d’escamotage violent : l’identité nationale n’est pas déduite a posteriori par la somme ou la synthèse des individus (et de leurs cultures) présents de fait sur le territoire — elle est au contraire la culture qu’une partie de la population, mystérieusement propriétaire du pays, impose de droit à tous les autres habitants. Pour nous, ceux qui nous sont présentés comme les «étrangers», et toute la mythologie qui leur est associée, incarne un puissant et réel potentiel de transformation politique qu’il s’agit pour ceux qui tiennent à leurs privilèges d’exorciser par tous les moyens — y compris la traque, les rafles, la menace constante d’une arrestation, d’une rétention, qui constituent aussi un châtiment spectaculaire à l’impardonnable puissance politique qu’il représente. Les mondes qu’une telle politique est à même de produire, en lieu de ce monde unique, ont absolument besoin, pour leurs possibilités même, de ceux qui viennent d’ailleurs.
Centre de médias alternatifs de Bruxelles, 27 février 2009.