Pour ouvrir les esprits, Espace Noir débat sur les genres
Saint-Imier — La coopérative Espace Noir consacre ce week-end à la thématique des genres. Au menu : débats, films, performances, concert et disco.
«Je suis garçon plus que fille.» Grib Bormann, un transboy, animera l’atelier débat sur les queer qu’organise vendredi la coopérative Espace Noir, à Saint-Imier. Durant deux jours, ce haut lieu de culture alternative propose réflexions et festivités autour de la thématique des genres. Né biologiquement fille, alors qu’il se sent un garçon, Grib Bormans a «une sexualité de gouine et une culture de pédé». Une façon militante de se réapproprier des mots devenus des injures. «En tant que queer, je refuse la définition binaire du sexe humain. Zéro, un, zéro … Nous ne sommes pas des ordinateurs ! Quel carcan socio-moral, alors qu’entre le masculin et le féminin existent des milliers de possibilités et donc de sexualités différentes !» affirme Grib Bormans.
Bipolarité trop rigide
Dans une région où nombre de fondamentalistes protestants se montrent aussi puritains que les catholiques conservateurs, est-ce une provocation que d’organiser un week-end thématique sur les genres ? Coopérateur à Espace Noir, Michel Némitz souhaite simplement que les esprits s’ouvrent à la complexité du monde. «La nature est vaste et variée. C’est une richesse qui semble échapper à la morale traditionnelle.»
Très active au sein du groupe Support Transgenre Strasbourg (STS), Cornelia Schneider participe également à l’événement. Au cours du débat sur la «transidentité» dont elle est responsable, Mme Schneider se propose de «déconstruire le modèle bipolaire des genres et les rôles sociaux qui en découlent. Je montrerai comment les genres sont porteurs de schémas politiques destinés à nous classer.»
Femme transgenre (dont le sexe et le genre ne coïncident pas) Cornelia Schneider expérimente depuis des années l’exclusion liée à son statut : «Je ne rentre dans aucune case et je suis, de ce fait, punie par la marginalisation.» Une situation qui conduit moult personnes transgenres à se demander «de quoi elles sont coupables, alors qu’elles n’ont commis aucun délit».
«Le sexe est politique», appuie Grib Bormans. «Parce que les queer et les transgenres mettent en question toute l’organisation binaire de la société. Et puis, nous nous battons contre le patriarcat et sommes anticapitalistes.» Tout en soulignant les affinités des queer avec l’esprit punk, le transboy insiste sur l’importance de sa militance : «Je suis une personne engagée. La bataille pour l’obtention de nos droits est rude. Le totalitarisme qui sévit en France ne nous aide pas.»
Dénonciation festive
Michel Némitz se réjouit de cette «relecture du monde». Afin d’élargir les deux débats, divers médias ont été utilisés. La galerie d’Espace Noir accueille cinq artistes et divers films seront projetés dans le cinéma de la coopérative.
Le collectif Nos corps sont des scandales se lancera dans un cabaret composé de trois performances subversives. Tandis que les King’s queer, dont Grib fait partie, donneront un concert-performance électro-clash transpédégouine. Abordée de la sorte, la thématique des genres devrait ouvrir le public à de nouvelles manières de réfléchir. En tous les cas, c’est ce que souhaite Michel Némitz.
«À Espace Noir, nous combattons toute forme de discrimination. Durant ce week-end, j’aimerais bien que l’on démasque le terrorisme intellectuel dont nous sommes victimes, le plus souvent à notre insu.»
Mais le combat mené par queer et transgenres ne se réduit pas aux seules dimensions de la pensée et de la politique. «La fête fait partie de nos instruments de lutte», soutient Grib Bormans qui sera aux platines samedi soir pour une «disco débile». Avant de conclure : «Et nous avons une arme fatale, celle dont sont empreintes toutes nos actions : la subversion.»
La performance : une vraie force de frappe
«Chaque fois que nous montons sur scène, nous ne savons pas comment cela va se terminer. Nous sommes très souvent insultés.» Avec son amoureuse Laetitia, Grib Bormans a formé le groupe King’s queer. «Nous jouons une musique électro-clash transpédégouine mordante dont les paroles n’ont rien d’innocent», signale le transboy.
«Nous traversons une perturbation hormonale. Veuillez ne pas troubler l’ordre moral», chantent les King’s queer dans Paragraph 175. Dans sa musique dansante, qui fait penser à celle des DJ berlinois les plus avant-gardistes, King’s queer glisse quelques clins d’œil à Lou Reed, John Cage ou au Velvet Underground. Et fait passer un arc-en-ciel de messages subversifs. Le collectif Nos corps sont des scandales ne pratique pas autrement.
«Nous venons de Mulhouse, Strasbourg et Besançon. Ensemble, nous proposons un cabaret performatif plutôt réaliste, trash, mais souvent poétique, comme le travail de Julien Cadoret», annonce Grib Bormans. Dans son spectacle Didascalies and some glasses, cet artiste provoque l’interactivité avec le public. Il donne à redécouvrir le corps par des projections lumineuses splendides, impressionnantes de beauté.
«Avec Marguerite Bobey, je présente Ukraina mon Amour», relève Cornelia Schneider. Elle précise : «Cette performance féministe plonge ses racines dans le BDSM. C’est-à-dire le bondage, discipline, sado-masochisme. Nous explorons les rapports de domination et de soumission dans un pamphlet amoureux qui va de l’auto-attachement à la libération des femmes.»
«Pour Joute…, notre projectionniste enverra des images depuis le Japon où il se trouve actuellement», se réjouis Grib Bormans. Cette performance que M. Bormans considère comme un moment «d’art contemporain» est tissée sur la toile d’une improvisation sonore. Textes et gestes viennent surprendre militante et militant qui se cherchent de façon aléatoire, sans savoir ce que l’autre fera.
En empoignant diverses formes d’art, le collectif Nos corps sont des scandales cherche à toucher les sens de chacune et de chacun. Issu de la scène punk, Grib Bormans ne se gêne pas de choquer, mais avec élégance. «Nous ne pratiquons pas la performance exclusivement pour frapper les esprits. Ce que nous disons par notre travail, c’est simplement la vérité à laquelle nous sommes confrontés. Et cette dernière, l’art permet de l’exprimer et, heureusement, de la transcender.»
Isabelle Stucki - Le Courrier, 26 février 2009
Quotidien suisse & indépendant.