Texte d'un prisonnier du mitard de Bois d'Arcy (78)
En prison, régulièrement, comme un réflexe de survie, ceux qu’on y enferme se révoltent.
Mais pour faire taire et soumettre les prisonniers, les moyens ne manquent pas.
Quand on arrive en prison, privé de tout, on peut penser qu’on n’a plus grand-chose à perdre. Mais l’Administration pénitentiaire s’est dégagée de larges marges de manœuvre pour faire craindre aux détenus une détérioration de leurs conditions de vie s’ils ouvrent un peu trop leur gueule, ou s’ils violent les règlements. Les chantages sont nombreux.
Le premier, et sans doute le plus efficace, c’est celui des remises de peine qui raccourcissent la durée de l’incarcération : celles qui sont automatiquement déduites au moment de la condamnation (RP) ; et celles données chaque année en échange de travail, études ou soins (RPS). Mais ces remises de peine peuvent aussi être supprimées en cas de mauvaise conduite. Et c’est la même chose pour les aménagements de peine que décide le juge d’application des peines après avis de la direction.
Ensuite, de manière non officielle, il y a tous les «privilèges» et les petites vengeances que la direction ou un simple maton peuvent proposer ou faire subir. Le détenu, s’il est en bons termes, pourra plus facilement avoir des douches supplémentaires, une cellule seul, l’accès aux activités, les parloirs prolongés, etc. Par contre, s’il refuse de jouer ce jeu-là, les difficultés peuvent rapidement s’accumuler pour obtenir quoi que ce soit. En prison, on est impuissant face à la machine, et pour chaque geste de la vie quotidienne, il faut passer par l’administration, qui a donc les moyens de faire chier : le courrier traîne ou disparaît, l’attente s’éternise pour avoir accès aux activités, toutes les démarches sont ralenties ou même bloquées.
Enfin, il y a aussi le recours le plus officiel, celui du passage en commission de discipline. Il existe un tableau des fautes et des sanctions recensées, mais qui reste suffisamment flou pour que ne soit pas gêné l’arbitraire du juge. Une même faute, selon l’interprétation, pourra être classée en 1er, 2e ou 3e degré de gravité.
En commission de discipline, même défendu par un avocat, on fait encore moins semblant de se vouloir équitable que lors d’un procès au tribunal, puisque la personne qui te juge est aussi celle avec laquelle tu es en conflit. Généralement, c’est le directeur de la prison.
Les peines qu’il peut prononcer sont l’avertissement, le mitard, le confinement, le sursis, la suspension d’un parloir, d’une activité, ou d’un service (cantine, télé, etc).
Le mitard, c’est la prison dans la prison. Les conditions sont proches de celles de la garde à vue. Le détenu est isolé dans une petite cellule (de préférence dégueulasse) dans un bâtiment isolé des autres. Le mobilier est restreint : une petite table, un banc, un lit, et un chiotte lavabo, le tout scellé au sol. Pas de cantine, pas de télé, et les seules affaires qu’on peut conserver sont le matériel de correspondance et la lecture (du moins en théorie). Le détenu n’a pas même le droit à des habits autres que ceux qu’il porte sur lui ; et un seul pull suffit parce que le froid fait parti du traitement. La fenêtre est suffisamment épaisse, ou sale, ou grillagée, ou tout à la fois, pour qu’il soit difficile de voir dehors. La lumière, c’est au choix de la prison : ou elle est insuffisante pour lire sans se fatiguer, ou elle est éblouissante, et empêche de dormir. Le détenu a le droit à une heure de promenade par jour, seul dans une minuscule cour grillagée, et à une seule visite par semaine. Il y a aussi les spécialités de chaque prison. Dans l’isolement total du mitard, les matons règnent en maîtres : il y a les tabassages de détenus, qui finissent parfois tragiquement comme on a vu à Villepinte le 6 janvier. Plus fréquemment, ce sont les petites brimades et humiliations : laisser la lumière allumée la nuit, mettre le paquetage en bordel, y déverser de l’huile, y voler des objets, etc.
Le transfert vient aussi parfois s’ajouter à la peine de mitard pour éloigner et isoler un détenu, et l’envoyer de préférence dans une prison encore plus stricte avec quelques consignes. Lors d’actions collectives par exemple, après avoir désigné des leaders et les avoir condamnés au mitard, on finit ensuite par les transférer pour stopper là le début de solidarité. Le transfert est aussi utilisé pour éviter que ne parlent entre eux les détenus, et ne s’ébruite une sale affaire comme un assassinat déguisé en suicide.
Le placement à l’isolement aussi n’est théoriquement pas une sanction, mais une manière de protéger (!) le prisonnier ou le reste de la détention. Dans les faits, c’est aussi un moyen de pression supplémentaire. Quand les preuves ne sont pas suffisantes pour envoyer quelqu’un au mitard, on peut toujours le mettre à l’isolement sous un quelconque prétexte.
Les perturbateurs doivent rapidement être isolés avant qu’ils ne contaminent le reste de la détention. Tout en espérant qu’ils ne se remettent pas de cette dure épreuve.
Ce texte n’a pas pour objectif de dénoncer des abus. Tant que certains hommes en enfermeront d’autres, il faudra qu’ils mettent au point des stratagèmes pour éviter que ça leur pète à la gueule.
Ce texte n’a pas non plus l’objectif de plomber l’ambiance, et de dire que plus rien n’est possible. Tant qu’il y aura des prisons, il y aura des prisonniers pour les détruire.
Même noyé dans la merde de la prison, notre situation est précaire et susceptible de s’aggraver. Mais quitte à prendre des coups, autant se défendre.
À se soumettre devant eux, on perd quelque chose de plus précieux que ce qu’on croit gagner.
C’est plus qu’une question de principe, c’est une question de survie.
Pas de martyrs, mais de l’organisation, de la solidarité, et de l’intelligence collective pour être plus forts.
Que vive la révolte !
Indymedia Nantes, 28 février 2009.