Antilles en lutte
Interview d’un militant de la CNT
Quelle est la situation sociale dans les Antilles «françaises» ?
Le taux de chômage officiel est de 22% en Martinique. 8% de la population est au RMI. Le secteur industriel est très limité dans les Antilles à cause des habitudes venues de la politique coloniale. Il s’est agi — et il s’agit encore — d’acheter tous les produits «finis» à la Métropole et de ne produire sur place que des matières premières, en l’occurrence la canne à sucre et quelques cultures fruitières.
Le seul secteur industriel accepté est la fabrication du rhum. Après avoir été longtemps propriétaires terriens, et véritables propriétaires des Antilles, les Békés — descendants des planteurs français blancs arrivés au XVIIe et XVIIIe siècle — se sont aujourd’hui reconvertis essentiellement dans la grande distribution (supermarchés et ventes d’automobiles). Une remarque cependant : le travail industriel et son organisation, néanmoins, sont nés aux Antilles avant de voir le jour en Grande-Bretagne. En effet, le sucre, dont le royaume de France se trouvait le premier producteur du monde au XVIIIe siècle, avait entraîné des investissements considérables pour l’époque aux Antilles mêmes. Lesquels ? Les meules et rouages, la mécanique la plus moderne de l’époque étaient ainsi exportés, avec du personnel qualifié venant d’abord d’Europe — jamais suffisant en nombre : il fallut faire former des esclaves en métropole.
L’organisation du travail était basée sur une division qui rappelle le travail en atelier du XIXe et du XXe siècle en Europe. Mais, comme d’ailleurs en Angleterre, il n’était pas facile de recruter le personnel nombreux nécessaire, la solution la plus efficace et la plus cynique revenait donc à aller capturer des esclaves et à les transporter jusque dans les Caraïbes. Dans l’exploitation, le sang et l’horreur, s’est formé là un creuset, un carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.
Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ?
Il y a naturellement une accumulation de ressentiment contre les Blancs, même si on sait faire la part des choses. Le racisme anti-Blanc est peu de chose à côté de ce que doivent supporter les Noirs en métropole.
Ce qui est vrai, par exemple, c’est qu’une entreprise, à qualification égale, entre un Noir et un Blanc — souvent même si le Blanc a moins de qualifications — choisit généralement le Blanc. Même chose pour l’avancement de carrière ; comme par hasard le Blanc grimpera plus vite les échelons que son collègue noir.
Mais actuellement ce qui a mis le feu aux poudres c’est simplement le coût de la vie dans un pays où la moyenne des salaires est bien inférieure à ce qu’elle est en France et où les prix des denrées essentielles sont souvent trois fois plus chers qu’en métropole.
Quels sont les précédents en termes de luttes aux Antilles ?
Avant guerre le grand évènement social survient avec l’assassinat d’André Aliker, le rédacteur du journal communiste Justice qui dénonçait la corruption et les exactions des Békés. Ses funérailles, en 1935, amèneront une foule immense tout le long du cortège. Quelques mois plus tard, à la faveur du Front populaire, le premier syndicat est créé, la CGTM.
C’est de cette époque là que date les premières lois du Travail en Martinique, pas souvent appliquées.
On se bornera ici — la liste serait longue ! —, évoquant les cinquante dernières années en Martinique, à rappeler, les grèves et les émeutes de 1959, où les forces de l’ordre feront acte d’une violence inouïe ouvrant le feu sur les manifestants. Ce qui amènera le conseil municipal de Fort-de-France — dont le maire était Aimé Césaire depuis 1945 — à évoquer la sécession d’avec la métropole. Enfin on évoquera ici la répression de la grève des ouvriers de la banane de février 1974, où, d’hélicoptères, les CRS tirèrent sans sommation à la mitrailleuse sur les manifestants. Il y eut plusieurs morts et blessés. Le chanteur Kolo Barst évoque aujourd’hui avec talent ce dramatique évènement dont on vient de commémorer les 25 ans.
Quel est le panorama syndical à la Martinique ?
Il y a, comme en métropole, une multitude de confédérations. Mais elles sont en général spécifiques à la Martinique. En Guadeloupe c’est un peu différent.
Quel est en particulier le poids du syndicalisme indépendantiste ? La spécificité de ses revendications ?
Il a tendance à s’affirmer de plus en plus. Surtout à la Guadeloupe où l’UGTG a recueilli 51% des suffrages aux élections prudhommales. Ses méthodes sont radicales, rappelant celles du syndicalisme nord-américain. Il ne fait pas bon s’opposer à la grève quand ils l’ont déclenché. Les commerçants et les patrons qui n’obéissent pas à ses consignes le paient cher. Et en général on obtempère toujours aux consignes de l’UGTG. À chaque grève ils incitent fermement les salariés qui ne sont pas encore affiliés à prendre la carte.
L’UGTG, comme l’UGTM, mettent la culture et l’identité créole en avant, la lutte contre le colonialisme et les Békés. Ils veulent développer une polyculture permettant d’atteindre l’auto-suffisance. Même chose pour l’industrie : créer sur place ce qu’il nous manque.
Michel réside à la Martinique et est militant de la CNT. Il revient sur le mouvement actuel aux Antilles et sur les raisons de la colère des populations de la Martinique et de la Guadeloupe.
Quelle est la situation sociale dans les Antilles «françaises» ?
Le taux de chômage officiel est de 22% en Martinique. 8% de la population est au RMI. Le secteur industriel est très limité dans les Antilles à cause des habitudes venues de la politique coloniale. Il s’est agi — et il s’agit encore — d’acheter tous les produits «finis» à la Métropole et de ne produire sur place que des matières premières, en l’occurrence la canne à sucre et quelques cultures fruitières.
Le seul secteur industriel accepté est la fabrication du rhum. Après avoir été longtemps propriétaires terriens, et véritables propriétaires des Antilles, les Békés — descendants des planteurs français blancs arrivés au XVIIe et XVIIIe siècle — se sont aujourd’hui reconvertis essentiellement dans la grande distribution (supermarchés et ventes d’automobiles). Une remarque cependant : le travail industriel et son organisation, néanmoins, sont nés aux Antilles avant de voir le jour en Grande-Bretagne. En effet, le sucre, dont le royaume de France se trouvait le premier producteur du monde au XVIIIe siècle, avait entraîné des investissements considérables pour l’époque aux Antilles mêmes. Lesquels ? Les meules et rouages, la mécanique la plus moderne de l’époque étaient ainsi exportés, avec du personnel qualifié venant d’abord d’Europe — jamais suffisant en nombre : il fallut faire former des esclaves en métropole.
L’organisation du travail était basée sur une division qui rappelle le travail en atelier du XIXe et du XXe siècle en Europe. Mais, comme d’ailleurs en Angleterre, il n’était pas facile de recruter le personnel nombreux nécessaire, la solution la plus efficace et la plus cynique revenait donc à aller capturer des esclaves et à les transporter jusque dans les Caraïbes. Dans l’exploitation, le sang et l’horreur, s’est formé là un creuset, un carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.
Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ?
Il y a naturellement une accumulation de ressentiment contre les Blancs, même si on sait faire la part des choses. Le racisme anti-Blanc est peu de chose à côté de ce que doivent supporter les Noirs en métropole.
Ce qui est vrai, par exemple, c’est qu’une entreprise, à qualification égale, entre un Noir et un Blanc — souvent même si le Blanc a moins de qualifications — choisit généralement le Blanc. Même chose pour l’avancement de carrière ; comme par hasard le Blanc grimpera plus vite les échelons que son collègue noir.
Mais actuellement ce qui a mis le feu aux poudres c’est simplement le coût de la vie dans un pays où la moyenne des salaires est bien inférieure à ce qu’elle est en France et où les prix des denrées essentielles sont souvent trois fois plus chers qu’en métropole.
Quels sont les précédents en termes de luttes aux Antilles ?
Avant guerre le grand évènement social survient avec l’assassinat d’André Aliker, le rédacteur du journal communiste Justice qui dénonçait la corruption et les exactions des Békés. Ses funérailles, en 1935, amèneront une foule immense tout le long du cortège. Quelques mois plus tard, à la faveur du Front populaire, le premier syndicat est créé, la CGTM.
C’est de cette époque là que date les premières lois du Travail en Martinique, pas souvent appliquées.
On se bornera ici — la liste serait longue ! —, évoquant les cinquante dernières années en Martinique, à rappeler, les grèves et les émeutes de 1959, où les forces de l’ordre feront acte d’une violence inouïe ouvrant le feu sur les manifestants. Ce qui amènera le conseil municipal de Fort-de-France — dont le maire était Aimé Césaire depuis 1945 — à évoquer la sécession d’avec la métropole. Enfin on évoquera ici la répression de la grève des ouvriers de la banane de février 1974, où, d’hélicoptères, les CRS tirèrent sans sommation à la mitrailleuse sur les manifestants. Il y eut plusieurs morts et blessés. Le chanteur Kolo Barst évoque aujourd’hui avec talent ce dramatique évènement dont on vient de commémorer les 25 ans.
Quel est le panorama syndical à la Martinique ?
Il y a, comme en métropole, une multitude de confédérations. Mais elles sont en général spécifiques à la Martinique. En Guadeloupe c’est un peu différent.
CGTM : Confédération générale du travail Martiniquaise, influencée au départ par les communistes.
CSTM : Confédération syndicale des travailleurs Martiniquais. Pulvar en était un militant très actif.
CDMT : Confédération démocratique martiniquaise du travail. Scission de la CFDT Son leader est à la IVe Internationale (trotskyste - LCR). Met en avant la gestion directe par les travailleurs eux-mêmes. Veut organiser un congrès des travailleurs pour proposer un autre type de société.
UGTM : Union générale des travailleurs de Martinique. Indépendantiste, anti-colonialiste. En essor, même s’il n’est pas au même niveau que l’UGTG de Guadeloupe qui est devenue là-bas, semble t-il, la première force syndicale.
FO : Même syndicat, rattaché à la Métropole.
FEN-UNSA : Le plus gros syndicat de l’enseignement (sauf dans le secondaire). Très cogestionnaire.
FSU : Minoritaire, sauf dans le secondaire avec le SNES.
CFDT : Très minoritaire.
SUD-PTT : Très minoritaire.
Quel est en particulier le poids du syndicalisme indépendantiste ? La spécificité de ses revendications ?
Il a tendance à s’affirmer de plus en plus. Surtout à la Guadeloupe où l’UGTG a recueilli 51% des suffrages aux élections prudhommales. Ses méthodes sont radicales, rappelant celles du syndicalisme nord-américain. Il ne fait pas bon s’opposer à la grève quand ils l’ont déclenché. Les commerçants et les patrons qui n’obéissent pas à ses consignes le paient cher. Et en général on obtempère toujours aux consignes de l’UGTG. À chaque grève ils incitent fermement les salariés qui ne sont pas encore affiliés à prendre la carte.
L’UGTG, comme l’UGTM, mettent la culture et l’identité créole en avant, la lutte contre le colonialisme et les Békés. Ils veulent développer une polyculture permettant d’atteindre l’auto-suffisance. Même chose pour l’industrie : créer sur place ce qu’il nous manque.
Propos recueillis par Jérémie
Secrétariat international de la CNT, 12 février 2009.
Voir aussi,
Chronologie du 5 au 7 février… / … les 8 et 9 février