Tarnac ou les fantasmes du pouvoir

Publié le par la Rédaction


J’ai été mise en examen et mise sous contrôle judiciaire suite aux arrestations du 11 novembre 2008. Sur les neuf personnes inculpées, Julien [Coupat] reste encore incarcéré. Lappel pour sa libération aura lieu dans les jours à venir. À nouveau lattente. Le lent dégonflement de laffaire continue, et une nouvelle étape a été franchie, vendredi 16 janvier, avec la sortie dYildune [Lévy]. Il en faudra dautres.

Cette triste affaire aura au moins rappelé l
obsession du pouvoir : écraser tout ce qui sorganise et vit hors de ses normes.

Je ne voudrais pas qu
on puisse prendre cette histoire comme un événement isolé. Ce qui nous est arrivé est arrivé à dautres, et peut arriver encore.

6h40 : braquée dans mon lit. Cagoulés, des hommes de la sous-direction de la lutte antiterroriste (SDAT) cherchent désespérément des armes en hurlant. Menottée sur une chaise, j
attends la fin des perquisitions, ballet absurde, pendant des heures, dobjets ordinaires mis sous scellés. Sachez-le, si cela vous arrive, ils embarquent tout le matériel informatique, vos brosses à dents pour les traces ADN, vos draps pour savoir avec qui vous dormez.

Après plus de huit heures de perquisition, ils me chargent dans une voiture. Direction : Paris-Levallois-Perret. Les journalistes cernent le village. Personne ne pourra manquer d
admirer le spectacle de la police en action, et les moyens imposants du ministère de l’Intérieur quand il sagit de sécuriser le territoire. Quand cinq flics arrêtent un type, ça peut sembler arbitraire, quand ils sont 150 et avec des cagoules, ça a lair sérieux, cest létat durgence. La présence des journalistes fait partie de la même logique. Ce qui sest passé là, comme les arrestations à Villiers-le-Bel, ce nest pas un dérapage, cest une méthode.


Levallois-Perret, locaux de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la SDAT. Des préfabriqués sur trois étages, superposition de cellules spéciales, caméras panoptiques braquées en permanence sur toi. Quatre-vingt-seize heures de garde à vue. Mais le temps n
est vite plus un repère. Ni heure ni lumière du jour. Je ne sais pas combien de personnes ont été arrêtées. Je sais seulement, après notre arrivée, les motifs de mon arrestation.

Les interrogatoires s
enchaînent. Une fois huit heures sans pause, va-et-vient de nouveaux officiers qui se relaient. Mauvaises blagues, pressions, menaces : «Ta mère est la dixième personne mise en garde à vue dans le cadre de lopération Taïga, on va la mettre en détention», «Tu ne reverras plus ta fille». Leur bassesse nest pas une surprise. Ils me questionnaient sur tout : «Comment vivez-vous ?», «Comment êtes-vous organisés pour manger ?», «Est-ce que tu écris ?», «Quest-ce que tu lis ?» Ils voulaient des aveux pour donner corps à leur fantasme de cellule terroriste imaginaire.

Un des officiers de la police judiciaire (PJ) m
’a annoncé, lors de la perquisition : «Nous sommes ennemis.» Ennemis peut-être, mais nous ne sommes pas leur reflet. Il ny a jamais eu de cellule invisible, et nous navons que faire de «chefs» et de «bras droits». La police croit toujours que ce quelle traque est organisé à son image, comme en dautres temps, où elle brandissait le spectre du syndicat du crime.

Un
gendarme me lit un communiqué allemand, diffusé le 10 novembre en Allemagne, qui revendique les sabotages dans le cadre d
une action antinucléaire. Sabotages dont ils veulent nous accuser. Le communiqué apparaîtra dans le rapport de la SDAT transmis à la presse dès la première semaine, puis sera quasiment oublié.

Au bout de trois jours, un avocat peut venir assister le prévenu retenu sous le coup dune procédure antiterroriste. Trois jours pendant lesquels tu nes au courant de rien dautre que de ce que la police veut bien te dire, cest-à-dire rien ou des mensonges. Alors oui, ce fut vraiment un soulagement quand on ma annoncé que je pouvais voir mon avocate. Enfin des nouvelles de ma fille et de lampleur médiatique de laffaire. Nouvelles aussi du village et du comité de soutien créé dans les premiers jours qui ont suivi larrestation.


Puis ce fut le dépôt (lieu de détention avant de comparaître devant le juge). Là sentassent des centaines dhommes et de femmes dans la crasse et lattente. Une pensée pour Kafka dans le dédale de la souricière, infinité de couloirs gris et humides dont les portes souvrent sur les rutilantes salles daudience. Je suis amenée jusquaux galeries toutes neuves de la section antiterroriste pour comparaître devant le juge dinstruction. Puis la prison.


Fleury-Mérogis — la plus grande dEurope. Tous les charognards gardent cette prison, pigeons, corneilles, mouettes et de nombreux rats. Nous y sommes arrivées, Manon (Gilbert), Yildune et moi en tant que détenues particulièrement surveillées (DPS), ce qui implique des mesures de surveillance plus soutenues, comme, dêtre chaque nuit réveillées toutes les deux heures, lumières allumées et sommées de faire signe. Fouilles intensives et répétées. Ce statut, seules les prisonnières politiques basques lont à Fleury, et Isa lavait eu aussi, en détention depuis bientôt un an sous le coup dune procédure antiterroriste [cette personne est soupçonnée davoir posé un explosif sous une dépanneuse de la Préfecture de police de Paris, en mai 2007]. Les fouilles au corps, le mitard, les petites humiliations, le froid et la nourriture dégueulasse : le quotidien de la prison est fait pour écraser.



Par un concours de circonstances favorables, Manon et moi sommes sorties assez rapidement. Circonstances favorables, cest-à-dire : nous sommes blanches, issues de la classe moyenne, ayant eu lopportunité de faire des études ; grâce aussi à la multiplication des comités de soutien. Et puis, il y avait lactualité, marquée par des événements révélateurs du climat politique actuel qui ne sont pas passés inaperçus (par exemple cette descente policière musclée dans un collège).


Je dis «rapidement», par rapport aux détentions préventives qui durent, pour la plupart, des mois et des années. Qui durent, notamment, pour ceux pour qui ne jouent jamais ces «circonstances favorables». La plupart immigrés, voués au mépris de la police et des magistrats.


Mais ce qui est encore séparé au-dehors arrive à se reconnaître entre les murs de la prison. Des solidarités se nouent dans lévidence dune hostilité commune. La radicalisation de la situation amène de plus en plus de gens à subir la répression et la détention. Des rafles dans les banlieues aux peines de plus en plus nombreuses pour des grévistes ou des manifestants lors de mouvements sociaux.


Finalement, la prison est peut-être en passe de devenir un des rares lieux où sopère la jonction tant redoutée par M. Sarkozy : «Sil y avait une connexion entre les étudiants et les banlieues, tout serait possible. Y compris une explosion généralisée et une fin de quinquennat épouvantable», avait-il dit en 2006.


Gabrielle Hallez, mise en examen dans laffaire de Tarnac
Le Monde, 20 janvier 2009.



Soutien aux inculpéEs du 11 novembre

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