De Gaza à Alger
Le régime algérien, piégé par Gaza
Pour une fois, les services de sécurité algériens ont mal évalué la détermination d’une population civile qui ne supporte plus d’être réprimée lorsqu’elle essaye de s’exprimer. Les horreurs qui se déroulent à Gaza et le devoir de solidarité envers les «frères» palestiniens a apparemment poussé les Algériens à envoyer un message bien senti à leur pouvoir politique destabilisé et qui tergiverse depuis le début de l’attaque israélienne sur Gaza.
Interdite de manifester par les services d’ordre en dépit de trois tentatives avortées, la jeunesse algérienne, qui représente environ 70% des «révoltés», a fini, après la prière du vendredi 9 janvier, par faire face, à Alger, au millier d’hommes du général Ali Tounsi, le directeur de la Sûreté nationale. Ces derniers ont été contraints de faire marche arrière, voire de fuir la marée humaine qui a fini par atteindre le million de manifestants, menaçant ainsi la stabilité de la capitale si les autorités étaient intervenues.
Partis politiques déconnectés des Algériens
Mais les manifestants ont été à la hauteur de l’événement et se sont dispersés sans incident grave. Les services de sécurité se grattent encore la tête pour comprendre ce qui s’est passé et n’ont personne à accuser d’être derrière ce million de manifestants pacifiques. Le pouvoir n’a pas pu, comme à l’accoutumée, montrer du doigt les islamistes pour profiter de cette situation car, dans le cas de manifestations de soutien à Gaza, il ne peut pas diaboliser la rue. Il s’est donc contenté d’arrêter l’opposant islamiste Ali Belhadj, qui sortait d’une mosquée, pour le relâcher quelques heures plus tard.
Quant aux partis politiques — FLN en tête, ses alliés dans la coalition gouvernementale ainsi que les islamistes et les gauchistes de Louisa Hanoune — ils ont inventé, chacun de leur côté, des meetings bidons. Au menu des réjouissances : tantôt discuter des prochaines élections présidentielles prévues pour avril 2009, tantôt débattre de dossiers liés à leur cuisine interne. Le succès de la manifestation du 9 janvier a montré que ces formations politiques étaient maintenant totalement déconnectées des Algériens et ne représentaient plus qu’elles-mêmes. Ce qui commence à méchamment inquiéter les autorités algériennes.
La Sécurité militaire joue les belles au bois dormant
Quant à l’assourdissant silence qu’a observé à ce jour le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, il prouve que l’heure est grave au sommet du pouvoir. Des slogans utilisés par les manifestants du genre «le peuple et l’armée avec Gaza, l’État reste lâche» montrent, selon les observateurs les plus avisés à Alger, que l’establishment politico-sécuritaire connaît des failles.
De surcroît, la Sécurité militaire du général Mohamed Médiène (alias Tewfic) n’a interpellé aucun manifestant, même pas ceux qui sont considérés comme dangereux eu égard à la stabilité du pays. Et le refus de l’armée d’intervenir pour saboter la grande manifestation du vendredi 9 janvier montre que, tous clans confondus, le pouvoir craint le bain de sang et choisit de laisser du temps au temps.
Gaza : Marches de protestation et affrontements
Au même moment, des dizaines de milliers de personnes, en majorité des fidèles qui venaient d’effectuer la prière du vendredi, sont bloquées à proximité du ministère de la Jeunesse et des Sports à la place du 1er Mai (Champ de manœuvres). Il était 14h30 environ et la foule devenait de plus en plus imposante devant le ministère de la Jeunesse et des Sports. Il faut savoir que les fidèles venant des mosquées de Belcourt, Salembier, la cité Mahieddine, le Champ de manœuvres, Hussein Dey, Ruisseau, Kouba, El-Harrach et d’autres encore se sont donné rendez-vous, semble-t-il, à cet endroit.
La police a tenté de dissuader les manifestants de marcher mais en vain. La foule était devenue tellement importante que le cordon de sécurité mis en travers de la route n’a pas pu empêcher les manifestants de marcher vers la place des Martyrs où des milliers d’autres fidèles étaient déjà présents en train de scander des slogans hostiles à Israël et à certains dirigeants de pays arabes.
Jamais depuis la fameuse marche des «ârchs» en 2001 la capitale algérienne n’a vu autant de monde défiler. Ils étaient plus de 100.000 personnes, attestent certaines sources alors que d’autres parlent de plusieurs centaines de milliers de manifestants qui ont battu le pavé hier à Alger pour la première fois depuis huit années. Hommes, femmes, enfants, vieux, jeunes et moins jeunes ont participé hier à plusieurs marches qui ont toutes atterri au niveau du centre d’Alger. Mais la plus importante est celle qui a démarré depuis la place du Premier Mai. Aux cris de «Allah Akbar» la procession est passée par la rue Hassiba Ben Bouali vers la place des Martyrs, scandant des slogans tels que «ils ont vendu Ghaza avec des dollars», «Mahmoud Abbas agent d’Israël» ou encore «Hosni Moubarak traître».
En fait, les marches se sont déroulées dans le calme et aucun incident majeur n’a été enregistré jusqu’au moment où certains ou voulu atteindre l’ambassade des États-Unis en passant par la rue Didouche Mourad en plein centre d’Alger. Trois processions ont défilé par cette rue en l’espace d’une heure. Plusieurs cordons de sécurité ont été mis en place à partir de la rue Asla Hocine à côté du Palais du peuple. La situation a dégénéré vers 16h35 quand la troisième procession n’a pas voulu prendre la déviation indiquée par la police. La foule qui voulait absolument prendre le chemin du Golfe (El-Mouradia) pour arriver à l’ambassade américaine a été confrontée à l’intransigeance des policiers qui ont chargé les manifestants qui étaient, faut-il le signaler, en majorité des adolescents. C’est l’affrontement. La rue Didouche Mourad est devenue en l’espace de quelques minutes seulement un véritable champ de bataille.
Abribus, plaques de signalisation et même des arbres ont été arrachés par des manifestants en furie qui ont arrosé le cordon de sécurité de pierres et de divers objets. Le camion équipé de lance à eau des forces anti-émeutes dépêché sur les lieux et qui n’avait de cesse d’arroser la foule n’était pas arrivé à bout des manifestants qui revenaient à chaque fois à la charge et narguaient même les policiers. Une heure après, les affrontements continuaient toujours et les choses prenaient de plus en plus d’ampleur car quelques manifestants ont commencé à s’attaquer aux commerces, aux bureaux appartenant à des privés, à des agences telles la CNAS ainsi que le ministère de l’Habitat qui a essuyé une pluie de projectiles. Plusieurs bureaux ont été saccagés et le mobilier jeté dans la rue, jonchée de détritus, poubelles, plaques de signalisation et d’autres objets. Même le Palais du peuple n’a pas été épargné. Des dizaines de jeunes se sont introduits à l’intérieur mais ont été vite arrêtés par les éléments de la Garde républicaine.
Les jeunes manifestants paraissaient déterminés à en découdre avec les policiers puisque toutes les charges opérées par la police anti-émeutes ne les ont pas empêchés de revenir à chaque fois. Ce n’est que vers 18 heures que la police réussira à disperser les manifestants en donnant un grand assaut avec l’appui des renforts arrivés sur les lieux. Plusieurs personnes ont été arrêtées et aucun bilan officiel n’a été rendu public ni sur le nombre d’arrestations ni sur le nombre de blessés. À noter qu’une fois le calme revenu, les agents de l’entretien sont intervenus pour nettoyer la rue Didouche Mourad qui paraissait avoir été traversée par une tornade.
Le drame de Gaza sert de révélateur au malaise que vit la population algérienne. Et témoigne de la paralysie qui règne au sommet de l’État.
Pour une fois, les services de sécurité algériens ont mal évalué la détermination d’une population civile qui ne supporte plus d’être réprimée lorsqu’elle essaye de s’exprimer. Les horreurs qui se déroulent à Gaza et le devoir de solidarité envers les «frères» palestiniens a apparemment poussé les Algériens à envoyer un message bien senti à leur pouvoir politique destabilisé et qui tergiverse depuis le début de l’attaque israélienne sur Gaza.
Interdite de manifester par les services d’ordre en dépit de trois tentatives avortées, la jeunesse algérienne, qui représente environ 70% des «révoltés», a fini, après la prière du vendredi 9 janvier, par faire face, à Alger, au millier d’hommes du général Ali Tounsi, le directeur de la Sûreté nationale. Ces derniers ont été contraints de faire marche arrière, voire de fuir la marée humaine qui a fini par atteindre le million de manifestants, menaçant ainsi la stabilité de la capitale si les autorités étaient intervenues.
Partis politiques déconnectés des Algériens
Mais les manifestants ont été à la hauteur de l’événement et se sont dispersés sans incident grave. Les services de sécurité se grattent encore la tête pour comprendre ce qui s’est passé et n’ont personne à accuser d’être derrière ce million de manifestants pacifiques. Le pouvoir n’a pas pu, comme à l’accoutumée, montrer du doigt les islamistes pour profiter de cette situation car, dans le cas de manifestations de soutien à Gaza, il ne peut pas diaboliser la rue. Il s’est donc contenté d’arrêter l’opposant islamiste Ali Belhadj, qui sortait d’une mosquée, pour le relâcher quelques heures plus tard.
Quant aux partis politiques — FLN en tête, ses alliés dans la coalition gouvernementale ainsi que les islamistes et les gauchistes de Louisa Hanoune — ils ont inventé, chacun de leur côté, des meetings bidons. Au menu des réjouissances : tantôt discuter des prochaines élections présidentielles prévues pour avril 2009, tantôt débattre de dossiers liés à leur cuisine interne. Le succès de la manifestation du 9 janvier a montré que ces formations politiques étaient maintenant totalement déconnectées des Algériens et ne représentaient plus qu’elles-mêmes. Ce qui commence à méchamment inquiéter les autorités algériennes.
La Sécurité militaire joue les belles au bois dormant
Quant à l’assourdissant silence qu’a observé à ce jour le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, il prouve que l’heure est grave au sommet du pouvoir. Des slogans utilisés par les manifestants du genre «le peuple et l’armée avec Gaza, l’État reste lâche» montrent, selon les observateurs les plus avisés à Alger, que l’establishment politico-sécuritaire connaît des failles.
De surcroît, la Sécurité militaire du général Mohamed Médiène (alias Tewfic) n’a interpellé aucun manifestant, même pas ceux qui sont considérés comme dangereux eu égard à la stabilité du pays. Et le refus de l’armée d’intervenir pour saboter la grande manifestation du vendredi 9 janvier montre que, tous clans confondus, le pouvoir craint le bain de sang et choisit de laisser du temps au temps.
Kader Atoum
Bakchich, 16 janvier 2009.
Gaza : Marches de protestation et affrontements
Des «incidents» ont éclaté hier au niveau de l’avenue Zighout Youcef à Alger lorsque des dizaines de jeunes ont tenté de se rendre à proximité de l’Assemblée populaire nationale (APN) dans une procession organisée pour dénoncer le massacre perpétré par l’État hébreu à Ghaza en Palestine. Les «manifestants» étaient venus des mosquées Ketchaoua, Bab El-Oued, la Casbah ou encore la mosquée de Sahat Echouhada (place des Martyrs). Plusieurs jeunes ont été interpellés par la police puis relâchés.
Au même moment, des dizaines de milliers de personnes, en majorité des fidèles qui venaient d’effectuer la prière du vendredi, sont bloquées à proximité du ministère de la Jeunesse et des Sports à la place du 1er Mai (Champ de manœuvres). Il était 14h30 environ et la foule devenait de plus en plus imposante devant le ministère de la Jeunesse et des Sports. Il faut savoir que les fidèles venant des mosquées de Belcourt, Salembier, la cité Mahieddine, le Champ de manœuvres, Hussein Dey, Ruisseau, Kouba, El-Harrach et d’autres encore se sont donné rendez-vous, semble-t-il, à cet endroit.
La police a tenté de dissuader les manifestants de marcher mais en vain. La foule était devenue tellement importante que le cordon de sécurité mis en travers de la route n’a pas pu empêcher les manifestants de marcher vers la place des Martyrs où des milliers d’autres fidèles étaient déjà présents en train de scander des slogans hostiles à Israël et à certains dirigeants de pays arabes.
Jamais depuis la fameuse marche des «ârchs» en 2001 la capitale algérienne n’a vu autant de monde défiler. Ils étaient plus de 100.000 personnes, attestent certaines sources alors que d’autres parlent de plusieurs centaines de milliers de manifestants qui ont battu le pavé hier à Alger pour la première fois depuis huit années. Hommes, femmes, enfants, vieux, jeunes et moins jeunes ont participé hier à plusieurs marches qui ont toutes atterri au niveau du centre d’Alger. Mais la plus importante est celle qui a démarré depuis la place du Premier Mai. Aux cris de «Allah Akbar» la procession est passée par la rue Hassiba Ben Bouali vers la place des Martyrs, scandant des slogans tels que «ils ont vendu Ghaza avec des dollars», «Mahmoud Abbas agent d’Israël» ou encore «Hosni Moubarak traître».
En fait, les marches se sont déroulées dans le calme et aucun incident majeur n’a été enregistré jusqu’au moment où certains ou voulu atteindre l’ambassade des États-Unis en passant par la rue Didouche Mourad en plein centre d’Alger. Trois processions ont défilé par cette rue en l’espace d’une heure. Plusieurs cordons de sécurité ont été mis en place à partir de la rue Asla Hocine à côté du Palais du peuple. La situation a dégénéré vers 16h35 quand la troisième procession n’a pas voulu prendre la déviation indiquée par la police. La foule qui voulait absolument prendre le chemin du Golfe (El-Mouradia) pour arriver à l’ambassade américaine a été confrontée à l’intransigeance des policiers qui ont chargé les manifestants qui étaient, faut-il le signaler, en majorité des adolescents. C’est l’affrontement. La rue Didouche Mourad est devenue en l’espace de quelques minutes seulement un véritable champ de bataille.
Abribus, plaques de signalisation et même des arbres ont été arrachés par des manifestants en furie qui ont arrosé le cordon de sécurité de pierres et de divers objets. Le camion équipé de lance à eau des forces anti-émeutes dépêché sur les lieux et qui n’avait de cesse d’arroser la foule n’était pas arrivé à bout des manifestants qui revenaient à chaque fois à la charge et narguaient même les policiers. Une heure après, les affrontements continuaient toujours et les choses prenaient de plus en plus d’ampleur car quelques manifestants ont commencé à s’attaquer aux commerces, aux bureaux appartenant à des privés, à des agences telles la CNAS ainsi que le ministère de l’Habitat qui a essuyé une pluie de projectiles. Plusieurs bureaux ont été saccagés et le mobilier jeté dans la rue, jonchée de détritus, poubelles, plaques de signalisation et d’autres objets. Même le Palais du peuple n’a pas été épargné. Des dizaines de jeunes se sont introduits à l’intérieur mais ont été vite arrêtés par les éléments de la Garde républicaine.
Les jeunes manifestants paraissaient déterminés à en découdre avec les policiers puisque toutes les charges opérées par la police anti-émeutes ne les ont pas empêchés de revenir à chaque fois. Ce n’est que vers 18 heures que la police réussira à disperser les manifestants en donnant un grand assaut avec l’appui des renforts arrivés sur les lieux. Plusieurs personnes ont été arrêtées et aucun bilan officiel n’a été rendu public ni sur le nombre d’arrestations ni sur le nombre de blessés. À noter qu’une fois le calme revenu, les agents de l’entretien sont intervenus pour nettoyer la rue Didouche Mourad qui paraissait avoir été traversée par une tornade.
Z. Mehdaoui
Continental News, 10 janvier 2009.