Un novembre policier

Publié le par la Rédaction


Tarnac, Marciac (Gers), Villiers-le-Bel, les opérations commandos de la police en France acquièrent une visibilité inédite. Quelques éléments de réflexion.

La montée en puissance des opérations policières en France a acquis en novembre dernier une visibilité inédite. De l’invasion de Tarnac le 11, en passant par la descente dans le collège de Marciac (voir notre encadré) le 19, et l’arrestation musclée de l’ex-rédacteur de Libération Vittorio de Fillipis le 28, on croirait à une campagne de pub. Trois évènements dans un temps très court et dont la couverture médiatique exceptionnelle a suscité un large émoi dans l’opinion publique. Les fêtes de Noël sont passées, on oublie un peu, l’actualité passe à autre chose… C’est justement maintenant qu’il s’agit d’approfondir une réflexion sur ces opérations. Voici quelques éléments.


«Zone de non-droit» désigne les lieux où il est difficile pour l’État de maintenir un contrôle aussi total que celui qu’il impose dans les centres-villes.

Michèle Alliot-Marie désigne le plateau de Millevaches comme un «endroit où il est très difficile à la police de mener des inquisitions». La procureur du Gers rappelle le jeudi 20 novembre dans la Dépêche du Midi que «les établissements scolaires ne sont pas des zones de non-droit». Cette appellation, jadis accolée aux banlieues ou aux quartiers populaires, est aujourd’hui étendue aux établissements scolaires et aux campagnes reculées. Ce n’est pas que la justice y soit impuissante, ni que la police ne puisse y pénétrer, «zone de non-droit» veut dire bien autre chose, «zone de non-droit» désigne les lieux où il est difficile pour l’État de maintenir un contrôle aussi total que celui qu’il impose dans les centres-villes. Soit que le coût financier ou politique soit trop élevé, soit que les habitants y témoignent une trop grande hostilité. Bref, ces zones sont des espaces où subsistent des interstices, des failles, où une brebis peut perdre ses bagues et finir dans le congélateur d’un voisin, où les cigarettes se vendent à prix détaxés, où des amis peuvent discuter sans l’œil inquisiteur d’une caméra de surveillance braqué sur eux. Des espaces potentiellement différents donc, qu’il va s’agir de maîtriser malgré tout.

Ces coups de filets sont la base d’une forme de maintien de l’ordre.

Ce sont donc des coups de filets ponctuels autant que médiatiques qui vont suppléer au contrôle permanent. 18 février 2008 à 6 heures du matin, près de 1000 policiers du Raid, de l’Office central de répression du banditisme, de la PJ de Versailles et d’Île-de-France lancent une vaste opération sur Villiers-le-Bel, Sarcelles, Gonesse et en Seine-Saint-Denis pour mettre la main sur «une vingtaine d’individus soupçonnés d’avoir été les “meneurs” des émeutes de fin novembre 2007» (Le Point). À l’époque, la présence de journalistes «embarqués» au sein des unités de police avait déjà fait jaser. Avec l’affaire de Tarnac, il ne fait plus de doute qu’il s’agit là d’un rouage à part entière dans ces opérations.

Benjamin Rosoux, l’un des inculpés, dans Libération : «Le parallèle entre l’affaire de Villiers-le-Bel et celle de Tarnac est assez pertinent sur la façon dont la communication a été orchestrée sur une opération coup de poing […] Démonstration de force démesurée et présence des médias dès les premières heures. Même volonté de la police de diaboliser, de construire du coupable
.» Ces coups de filets sont la base d’une forme de maintien de l’ordre.


Ces opérations cherchent un soutien dans le milieu où elles interviennent.

Sur le modèle du célèbre «nous allons vous débarrasser de cette racaille» lancé par N. Sarkozy à une honnête ménagère au balcon, ces opérations, malgré leur caractère invasif, cherchent un soutien dans le milieu où elles interviennent. On apprend dans Le Monde du 5 décembre que c’est le chef d’établissement de Marciac qui est demandeur de la «descente» dans son collège. Que dans le département du Gers ces contrôles s’inscrivent dans le cadre d’un partenariat entre l’Éducation nationale et le ministère de la Justice. À Villiers-le-Bel, la distribution massive d’appels à la délation contre rétribution aurait permis l’interpellation d’une quarantaine de personnes dont deux sont présentées comme les «meneurs». Inversement, dans l’affaire de Tarnac, le camouflet infligé par la population du plateau qui soutient mordicus des inculpés que l’on tente de diaboliser, bat en brèche la construction policière. Laquelle ne dispose plus, pour éviter le naufrage, que d’un témoignage sous X des plus farfelus.

Des opérations pour l’exemple ! «De la bonne insécurité»

Si la plupart de ces opérations font chou blanc : pas de drogue dans les poches des collégiens, aucune preuve compromettante à Tarnac, ni explosif, ni ADN… et de vagues présomptions pour les habitants de Villiers, le dispositif est pourtant opérant. Comme le dit la Procureur de la République d’Auch : «les élèves ont peur de ces contrôles ; ça crée de la bonne insécurité, satisfaisante en matière de prévention.»

Ces «frappes préventives» ont valeur de dissuasion. Des opérations pour l’exemple ! Il n’y a qu’à voir comment, dans les jours qui ont suivi le 11 novembre, tout le monde parlait de Tarnac au passé. La force de ces opérations est avant tout dans leur capacité de persuasion.

Dans un deuxième temps, le message reste : si vous ne marchez pas droit, 150 policiers encagoulés risquent de se pointer à votre porte au petit jour. De ce point de vue nous appelons toutes et tous, en particulier la jeunesse, à refuser de se laisser terroriser.


Opération coup de poing à Villers-le-Bel
Le 25 novembre 2007, à Villiers-le-Bel, une collision entre une mini-moto et une voiture de police cause la mort de deux adolescents de 15 et 16 ans, Moshin et Lakami. Quatre jours durant, des émeutes, des policiers blessés par des tirs d'armes à feu, un commissaire roué de coups, une antenne de police et des commerces incendiés. Un appel à la délation est lancé : Jean Espitalier, directeur régional de la police judiciaire de Versailles — chargé de l’enquête sur les coups de feu — a confirmé à l’AFP la teneur du texte distribué à 2000 exemplaires et qui indique notamment : «Si vous disposez de renseignements, merci d’appeler le numéro vert de la brigade criminelle au : 0800 33 60 98. L’appel est gratuit et votre anonymat sera préservé. Tout élément susceptible d’orienter favorablement les enquêtes en cours pourra faire l’objet d’une rémunération.»
Pour Laurent Mucchielli, sociologue, il y a là une vraie nouveauté : «Ce procédé, qui était par définition officieux et inmesurable jusque-là, est devenu une procédure officielle. Y compris pour des émeutes, alors que, traditionellement, on rémunérait les indics plutôt pour un travail sur le crime organisé.»
Un an après, cinq informations judiciaires ont été ouvertes et 27 personnes ont été mises en examen dont cinq écrouées. Mais aucune enquête n’a été bouclée et aucun procès n’est en vue. Les cinq restent en prison. «Nous avons été reçus par le juge une fois. Depuis, pas de nouvelle», témoigne Araf Sehhouli, le père de Moshin, un des deux adolescents tués il y a un an. Depuis les évènements, les policiers tentent de mettre fin à des bagarres récurrentes entre bandes de quartiers de la ville qui «débouchent quasi systématiquement sur des affrontements avec la police», selon le cabinet du préfet pour qui «ces actes hostiles sont plus fréquents en 2008».



Extraits du témoignage de Zoé, 13 ans, élève au collège de Marciac (Gers)
Il nous l’avait dit, le CPE, que des gendarmes allaient venir nous faire une prévention pour les 4e et les 3e. Ce mercredi là (19/11/2008), toutes les classes sont entrées en cours. À peine dix minutes plus tard — nous étions assis —, deux gendarmes faisaient déjà le tour de la salle où nous étions. Le chauve nous a dit : «Nous allons faire entrer un chien ! Mettez vos mains sur les tables, restez droit, ne le regardez pas ! Quand il mord, ça pique !» Enfin il a dit ça, à peu près… Je me rappelle surtout du : «Quand il mord, ça pique !»
Après, il est sorti deux minutes et est revenu avec deux autres gendarmes et le chien. Les gendarmes se sont placés aux deux extrémités de la classe tandis que le dresseur regardait son chien déjà à l’œuvre. Le chien s’appelait Bigo. Le chien s’est attaqué au sac de mon amie, à coté de moi. Le dresseur a claqué des doigts en disant : «Sortez mademoiselle, avec toutes vos affaires !» Elle a rangé son sac, s’est levée et s’est apprêtée à sortir mais le dresseur l’a reprise vite : «Et ton manteau !» Elle a rougi et emporté aussi son blouson.
Plusieurs personnes de la classe sont ainsi sorties. Le chien vient alors sentir mon sac. Voyant que le chien ne scotchait pas, que rien ne le retenait là, le dresseur lui a fait sentir mon corps avant de s’empresser de me faire sortir. Dehors m’attendait une petite troupe de gendarmes. Me voyant arriver, ils se dépêchèrent de finir de fouiller une autre fille. Quand ils eurent fini, ils s’emparèrent de mon sac et le vidèrent sur le sol. La fouilleuse me fit enlever mon sweat sous le regards des deux autres gendarmes… Je décris : un gendarme à terre disséquait mes stylos, un autre le surveillait, un autre qui regardait la fouilleuse qui me fouillait. Ne trouvant rien dans ma veste, elle me fit enlever mes chaussures et déplier mes ourlets de pantalon. Le gars qui nous regardait, dit à l’intention de l’autre gendarme : «On dirait qu’elle n’a pas de hash mais avec sa tête mieux vaut très bien vérifier ! On ne sait jamais…» Ils ont souri et la fouilleuse chercha de plus belle ! Elle fouilla alors dans mon soutif et chercha en passant ses mains sur ma culotte ! Les gendarmes n’exprimèrent aucune surprise face à ce geste mais ce ne fut pas mon cas !!!!!! Je dis à l’intention de tous : «C’est bon arrêtez, je n’ai rien !!!!» La fouilleuse s’est arrêtée, j’ai remis mon sweat et mon fouilleur de sac m’a dit : «Tu peux ranger !»
Après les cours, le principal a rassemblé tous les élèves et nous a dit que bientôt allait avoir lieu une prévention pour tout le monde. Une prévention ? Avec des chiens ? Armés comme aujourd’hui ?



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