Qu'est-ce que la solidarité ?
Les mots ont toujours été un point de rencontre entre des personnes pour comprendre le monde et agir. Mais, il existe une manipulation générale du langage au sein de laquelle la multiplicité de sens du mot solidarité amène des confusions et conduit à la perte progressive de son application réelle et quotidienne.
Aujourd’hui, une des acceptions les plus courantes est celle de la société capitaliste qui fait que la solidarité devient une marchandise. Les parrainages financiers orchestrés par les organisations humanitaires permettent de se donner bonne conscience et d’avoir l’impression de «faire quelque chose». Aussi, nous connaissons tous cet usage hypocrite de la solidarité, particulièrement obscène des partis et organisations de gôche qui soutiennent les «victimes de la répression». Ceux-là même qui se disent combattre les «injustices» mais qui n’ont pour objectif que de distinguer les «bons des mauvais citoyens», ceux-là même qui lorsqu’ils sont au pouvoir répriment de la même manière les révoltés.
D’un autre côté, dans les communautés de lutte, la solidarité est presque devenue un concept, une idée transcendante, sorte de baguette magique, qui revient souvent à être très peu de chose : un ensemble de mots à la fin d’un texte. Poser la solidarité comme une évidence fait qu’elle en devient abstraite, inaccessible, trop distante, en définitive impraticable.
Mais la solidarité n’est ni une marchandise, ni une idée en l’air. La solidarité, c’est une expérience qui nous fait sentir que l’on partage des mêmes situations d’exploitation et de contrôle, et que c’est à partir de ce commun que se construit l’agir collectif. De là peuvent naître des révoltes.
Le contraire de la solidarité c’est la séparation, l’isolement qui sont en même temps, les causes et les effets de la peur et de cet ordre social. Dans ce contexte, nous nous trouvons empêtrés dans une routine qui nous pousse à la solitude et qui nous habitue à l’impuissance. Et cela se produit car nous sommes pris par un travail, un crédit, assommés par la télévision et le prozac, par la violence quotidienne. Briser cet isolement n’est pas une chose facile. Nous ne sommes pas extraordinaires. Souvent, il y a la tentation de faire l’autruche qui met la tête dans un trou jusqu’à ce que le problème la déborde d’une telle manière qu’elle a déjà perdu d’avance. Néanmoins, de certains événements, surgissent des moments où nous laissons parler notre colère et notre rage, où nous éprouvons qu’ensemble nous devenons un peu plus forts, que la peur devient moins un obstacle, et que ce qui nous apparaît comme une condamnation devient discutable, changeable et combattable ; même si tout cela est fragile. On pourrait parler de la révolte de novembre 2005, du mouvement lycéen et anti-CPE qui a suivi, des manifestations après l’élection de Sarkozy, des luttes contre les centres de rétention et contre les rafles de sans-papiers. Toutes ces luttes qui se font écho sans pour autant toujours se répondre les unes aux autres.
Alors lorsqu’on est confronté à la machine judiciaire, il est important de tenter de maintenir cet équilibre, faire que ces situations individuelles posent des questions et des réponses collectives. Il faut se défaire de l’idée de penser ces situations de répression en termes d’exceptions. Il y a souvent un raisonnement étrange qui voudrait que la répression mette en suspens le reste, comme si on pouvait s’extraire de la société et des rapports sociaux qui la traversent. Il faut donc toujours se demander ce qu’on porte et défend politiquement à travers la solidarité avec les personnes mises en causes judiciairement, et au delà du fait qu’elles soient coupables ou innocentes. Cette exigence est d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit de répression qui touche des personnes avec qui nous avons partagé des moments de luttes. En soulignant que ce qui est attaqué par ces procédures policières et judiciaires, c’est, plus que des actes, une manière de considérer la société, la solidarité montre que ces manières de voir le monde et d’y agir ne disparaîtront pas avec des attaques judiciaires et des incarcérations, elle prouve que d’autres personnes se reconnaissent dans ces idées.
Pour ne prendre qu’un exemple, cela fait bientôt un an qu’ont eu lieu des arrestations qui ont conduit successivement six personnes en prison et dont trois d’entre elles Isa, Juan et Damien sont encore aujourd’hui en détention provisoire. Pour les uns, il s’agit d’un fumigène artisanal qui devait être utilisé lors de la grande manifestation du 19 janvier 2008 devant le Centre de rétention de Vincennes. Les autres sont accusés d’une tentative d’incendie de voiture de police pendant l’entre deux tours des Présidentielles.
La solidarité envers elles et eux tente de répondre à ces exigences au sein des luttes par la parole et dans les actes.
Indymédia Nantes, 10 janvier 2009.