Sabotage
«Lutte déplaisante pour les grands corps d’armée, lutte tellement horripilante que, le plus souvent, les envahisseurs refusent de reconnaître aux francs-tireurs le caractère de belligérants. Cette exécration des guérillas pour les armées régulières n’a pas plus lieu de nous étonner que l’horreur inspirée par le sabotage aux capitalistes. C’est qu’en effet le sabotage est dans la guerre sociale ce que sont les guérillas dans les guerres nationales : il découle des mêmes conséquences, répond aux mêmes nécessités et a sur la mentalité d’identiques conséquences.»
Émile Pouget n’avait pas cassé sa pipe que le prolétariat et le peuple français le suivaient dans la tombe. Le sabotage semblait définitivement oublié.
Finie la guerre sociale, dégonflé le mouvement ouvrier, ses caisses de solidarité, ses grandes grèves, les syndicats… Crevés le prolo, le travail qui martelait les corps 9 heures par jour, et s’opposait naturellement à l’oisiveté des capitaleux. Crevée cette communauté de souffrance qui devait libérer le monde parce qu’elle y peinait tant.
Le travail et le capital se sont largement échappés des usines. Les individus sont devenus à la fois les promoteurs des produits et les produits dont ils assurent la promotion. Ils sont dans le même temps la marchandise et le vendeur, les biens et leurs représentants de commerce.
Ne nous conseille-t-on pas à tout bout de champ de «travailler notre sourire autant que notre humour pour accroître notre capital séduction» ? N’a-t-on pas tous subi lors de l’adolescence cette sournoise injonction à se vendre sur les dance floor des boîtes de nuit ?
C’est que tout geste, toute idée, toute relation etc. devraient être façonnés de manière à ce qu’ils génèrent de la valeur : «Si je sors avec elle, je serai le gars le plus en vue du lycée», «Quand les copines sauront que j’ai passé les fêtes de Noël dans une yourte en mongolie…» etc.
L’autovalorisation permanente, la capitalisation de valeur sociale, deviennent une fin en soi. La vulgarité des échanges sur des sites comme «meetic» n’est rien de plus que ce que nous vivons tous les jours, la pudeur en moins.
Finis aussi les guérillas, et les peuples qui pouvaient les soutenir. Partout il ne reste que folklore, et identités s’affichant sur les points infos des autoroutes. De l’authentique en kit pour touriste pressé.
Le règne de la grande masse consommatrice des citoyens du monde devient universel. L’occupation que nous subissons aujourd’hui n’est évidemment plus d’ordre national, c’est internationalement qu’une ambiance métropolitaine réduit et étouffe tout évènement. Les mille dispositifs qui font que plus rien n’est possible, qu’on n’a même plus envie. Même plus envie de s’asseoir sur une place sans arbres ni boulodrome, peur qu’un avion ne finisse par y atterrir. Même plus envie de parler tellement la musique est forte. Même plus besoin de voir les saisons avancer. Même plus possible de dormir sur un banc public ou dans les bois autour de Paris. Et cela, aussi longtemps que l’ambiance de la métropole n’est pas chamboulée.
En se diffusant partout, en ruinant les figures du peuple et du prolétariat, le capital pensait retrouver une paix sociale absolue, en avoir fini avec les guérillas et la guerre sociale. Pas de bol, il n’a fait qu’éparpiller massivement les techniques de luttes de ses deux ennemis historiques, une forme de guerre civile larvée se développe : les émeutes des banlieues en 2005, le mouvement contre le CPE, les affrontements en Grèce… En chaque citoyen vit désormais un saboteur potentiel. La nécessité d’un fichage massif de la population et d’une police omniprésente ne répond à rien d’autre qu’à cela.
La neige n’exciterait pas tant petits et grands si elle n’entraînait l’interruption du cours normal des choses. Interruption qui se produit aussi à la faveur de certains mouvements sociaux (95, CPE, blocage des routiers…), d’une tempête comme en 99 et… de sabotages coordonnés. Cette interruption, c’est le blocage des flux : le bus qui va à l'école, le métro ou la bagnole qui amènent au boulot, l’électricité qui fait ronronner la télé, c’est la perte de la vitesse, la suspension de l’ambiance à la fois soporifique et stressante des métropoles, c’est le temps d’autre chose. C’est une opportunité où se bousculent les distances, les habitudes, les lieux communs.
Que n’importe quel citoyen décide spontanément de s’en prendre à ces flux, voici une bien bonne nouvelle.
Soutien aux saboteurs qui courent toujours !
Vive le vent d’hiver !
Vive le vent d’hiver !
Tract récupéré dans des manifestations
de soutien aux inculpés de Tarnac
Indymédia Nantes, 6 janvier 2008.