Partis sans payer !
Une nouvelle forme d’action est née en ces temps de crise. Des groupes se rendent dans les supermarchés, remplissent leurs chariots et essaient de partir sans payer pour redistribuer le butin aux sans-papiers et autres personnes précaires. Ces «empêcheurs d’encaisser en rond» parlent d’«autoréduction». Monoprix a riposté en portant plainte pour vol avec violence et insultes.
Le nom de leur collectif peut prêter à sourire : «Les empêcheurs d’encaisser en rond - À bientôt». Mercredi dernier, ces «empêcheurs» ont bloqué les caisses du Monoprix du 11e arrondissement de Paris. Une cinquantaine de personnes, précaires, chômeurs, intermittents du spectacle poussant treize chariots remplis de nourriture. Des pâtes, de l’huile, du lait. Mais aussi du foie gras et du saumon. C’est la Saint-Sylvestre, non ? Sauf que devant les caisses, ces hommes et femmes refusent de payer. Certains distribuent un tract : «En cette période de Noël et de nouvel an, la richesse matérielle… déborde dans les rues à côté des sans-logis. Elle est bien gardée… Il faut être respectable pour y accéder… accepter n’importe quel emploi gracieusement offert, se mobiliser pour un quart de smic…»
«Il y a eu un peu d’énervement, notamment avec les vigiles, raconte David, membre de la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France qui a participé à l’opération. Tout le monde a fini par se calmer et le responsable du magasin nous a laissé partir sans payer.» Montant du butin de ces Robins des bois des temps modernes : 5000 euros environ, selon le groupe Monoprix. Robins des bois ? Les denrées ont été redistribuées aux dizaines de sans-papiers qui occupent la Bourse du travail et à la centaine de mal-logés qui campent dans un gymnase municipal parisien.
Mais pour le groupe Monoprix, il s’agit plutôt de vol. La direction a décidé de porter «plainte contre X pour vol avec violence et insultes». Pour les «Empêcheurs d’encaisser en rond», c’est de l’«autoréduction», une pratique de mouvements de chômeurs et de précaires qui consiste à imposer, par la force, une baisse du prix d’un produit ou d’un service. Dans les années 1970, à Rome et à Milan, des milliers d’Italiens recalculaient leurs factures d’électricité ou de gaz en s’appliquant le tarif réservé aux grosses entreprises. À la même époque, en France, des membres de la gauche prolétarienne dévalisaient l’épicerie Fauchon pour redistribuer les produits aux travailleurs immigrés.
Comment voulez-vous vivre avec 400 ou 500 euros par mois ?
L’opération au Monoprix de Paris est la sixième de ce genre en décembre. Le 20, une trentaine de militants du Mouvement des chômeurs et précaires en lutte ont réquisitionné de la nourriture aux Galeries Lafayette de Rennes (Ille-et-Vilaine). Le 27, c’était le Monoprix de Grenoble (Isère) qui était visé. Et le 30 décembre, une action a échoué dans un Champion de Lille (Nord). Serge Havet, de AC ! - Agir ensemble contre le chômage, y était : «La situation était tendue mais nous ne sommes pas violents. Nous avons abandonné.» À Paris, deux boutiques d’alimentation biologique ont aussi été visées. Aucun responsable de magasin n’a souhaité répondre à nos questions. «Cela ne peut plus durer comme ça, ajoute le militant lillois. À toutes nos permanences d’accueil, les gens nous disent qu’ils ne peuvent plus s’en sortir. Comment voulez-vous vivre avec 400 ou 500 euros par mois ?»
Pour Serge Havet, la plainte contre X du Monoprix de Paris est une aubaine. Si elle est recevable, le tribunal pourrait servir de tribune «pour réveiller l’opinion publique sur le problème grandissant de l’exclusion dans la société». Fini la lutte classique des syndicats, les manifs, les grèves ? «Nos revendications se heurtent à un mur mais on continue quand même, explique David, de la Coordination des intermittents et précaires qui sera d’ailleurs demain aux côtés des grévistes du Pôle emploi pour protester contre la fusion Assedic-ANPE. À côté de cela, il faut développer des pratiques de solidarité, inventer de nouvelles actions collectives.» Les différents mouvements de soutien aux chômeurs et précaires réfléchissent d’ailleurs ensemble à l’organisation, tous les mois, d’une opération d’«autoréduction» comme celle du Monoprix du Paris.
Presse bourgeoise : Garance Le Caisne
Le Journal du Dimanche, 5 janvier 2009.