Interview de quelques anarchistes grecs

Publié le par la Rédaction


Réponses de quelques camarades anarchistes grecs à des questions de Informa-Azione sur certains aspects du soulèvement de ces derniers jours et sur le contexte social, politique et urbain qui les anime. [S. & P. se trouvent en Grèce, O. à Londres]

Traduit de litalien par les Éditions TOkup (Lausanne).

(La partie sur l
occupation de lambassade grecque à Londres na pas été traduite.)


I-A : Quelques mots sur la brutalité de la police en Grèce.

O. : Contrairement à la plupart des États occidentaux, la tactique de la police grecque ne consiste pas à arrêter les personnes, à leur infliger une amende etc., mais principalement à les intimider et à «les punir» physiquement. La répression policière est ainsi exercée au quotidien, par exemple au prétexte de contrôler l
identité dans la rue, surtout à lencontre des jeunes au look «alternatif», des pauvres et des migrants. Il existe diverses divisions de police, la plus connue est celle des «gardes spéciales», des idiots armés et complètement décérébrés ; formée il y a 3-4 ans, elle sest déjà rendue responsable dun nombre non négligeable de meurtres (comme Iraklis Maragkakis, un jeune chauffeur crétois mort dun projectile dans la tête pour ne pas sêtre arrêté lors dun contrôle). Il y a les «groupes darrestations», qui effectuent des arrestations en recourant aux arts martiaux durant les manifestations violentes (à Athènes uniquement), et de nombreux groupes de police militaire (comme lEKAM, souvent envoyé en Crête, lorsque le business local, comme la culture du cannabis, interfère avec les plans du gouvernement), et les «gardes-frontières» responsables de la mort de centaines de migrants qui cherchent à passer la frontière. En ce qui concerne les milieux politiques, il y a la «sûreté dÉtat» qui identifie, importune et fiche les activistes, tout en soccupant aussi des arrestations pendant les manifestations. Il y a la «sûreté de lordre constitutionnel», un peu au-dessus des déments précédemment cités, qui tient dans sa ligne de mire les milieux anarchistes et plus généralement de laction directe, mais aussi le crime organisée et le trafic de drogue. Enfin, il y a lunité anti-terroriste qui fait plus ou moins les mêmes choses, mais se trouve au sommet de cette hiérarchie.

Les commissariats sont communément perçus comme des lieux de torture : il n
est pas rare de voir apparaître, également sur Youtube, des vidéos de flics montrant les souffrances de leurs victimes. Pendant les manifs ou les actions contre la police, ils ne cherchent pas trop à arrêter. Ils préfèrent charger quelques personnes de nombreux et lourds délits ou de les tabasser pour de bon. Enfin, il y a une longue liste dindividus tués par la police pour raisons politiques (anarchistes, manifestants). Les agents restant généralement impunis, on en est venu à créer une mentalité, une attitude de «Rambo». Ainsi, lors des heurts de ces derniers jours, les policiers antiémeute pointaient leur index contre les gamins en disant «Où est votre petit Alexis, pédés ? Nous tuerons chacun dentre vous, enculés.»

I-A : Quelques mots sur Exarchia.

O. : Exarchia est une zone dans le centre d
Athènes où furent fondées les premières universités, et qui donc attire beaucoup détudiants, dintellectuels, dartistes, etc. La plupart des résidents (étudiants grecs, immigrés, gérants de petits magasins et de petits bars) ont un bas revenu. Autour se trouvent des aires comme Kolonaki — où il y a quelques lieux fréquentés par les riches — et on maintient une sorte de solidarité de voisinage, initiatives de nettoyage des rues, assemblées ouvertes, une sorte dauto-organisation. La présence des étudiants a permis louverture de beaucoup de librairies, de centres et de squats anarchistes et de gauche. Entre autres choses, cet esprit de liberté a offert un refuge aux toxicos qui viennent se détruire sur la place dExarchia ; une habitude qui par le passé a causé des heurts entre anarchistes et dealers, et qui a également provoqué des heurts avec les toxicos. La rumeur veut que la police fait la chasse aux toxicos dans les autres zones pour les pousser vers Exarchia, afin de convaincre les habitants à demander une surveillance accrue. Cest un lieu dans lequel les heurts avec la police sont à lordre du jour, grâce aussi à la protection du voisinage et aux campus universitaires qui offrent asile. Lurbanisme joue aussi son rôle, avec ses ruelles, ses pavés, la colline boisée voisine de Strefis. Tout cela fait que la police porte une attention particulière à cette zone : patrouilles quotidiennes, antiémeutes placés autour dExarchia (définie par les habitants comme les Romains et le village dAstérix), arrestations incessantes et tensions entre gens du lieu et police. Les efforts des flics pour dominer le territoire ont mené à la mort dAlexis et de semblables épisodes. Le policier assassin est décrit [par les médias, ndt] comme un flic furieux, qui se querelle avec ses supérieurs parce qu’ils ne le laissent pas «montrer à ces petits connards danarchistes de quoi il est fait».

I-A : Les révoltés, constituent-ils un groupe politiquement hétérogène ?

P. & S. : Au début, sont descendus dans la rue les anarchistes avec leurs «alliances politiques» (ultras du football, quelques migrants, quelques jeunes «alternatifs»). Parmi la gauche : le parti communiste a condamné les violences, mais maintenu une attitude diplomatique en déplorant la mort du garçon, le SYN/Syriza par contre, a offert refuge aux révoltés à condition que d
abord ils montrent leur visage. Positions typiques de ces deux principaux courants de la gauche grecque. Le parti communiste cherche toujours à saboter les luttes quil ne réussit pas à contrôler, mais tente den tirer profit lors des élections ; le SYN cherche à récupérer chaque mouvement en le mutilant de ses composantes radicales. Durant les premières 24 heures, les anarchistes ont organisé des manifestations agressives et des attaques partout où ils étaient présents, disons dans une trentaine de localités en Grèce. Plusieurs composantes de la gauche ont participé soit aux manifestations soit aux heurts. Cela ne sétait jamais vu auparavant. Le jour suivant, étudiants universitaires et écoliers se sont unis. Beaucoup dultras/hooligans des équipes de football. De nombreux migrants et fils de migrants. À ce moment a éclaté le chaos. Des gens de tous âges, de 12 à 70 ans, ont pris part à la révolte. Des gens que tu naurais jamais imaginé trouver là au milieu : «jeunes à la mode», «respectables pères de famille», «femmes âgées», toutes des personnes habituellement étiquetées comme «gens normaux» et bien au-delà de la minorité anarchiste. Des personnes qui ne savaient certes pas gérer la situation, certaines ne la comprenant même pas. Beaucoup dentre elles critiquaient le saccage comme étant une pratique qui «présente les anarchistes sous un mauvais jour» et ils regardent trop de télévision.

I-A : Il semble que la réponse à la brutalité policière ait engendré quelque chose de beaucoup plus étendu. Un point de vue anarchiste sur les nouveaux «contenus» de la révolte en cours ?

S. : Je pense qu
on se trouve face à un vrai soulèvement social. Il est assez semblable à celui qui sest produit en France [banlieues, ndt], mais selon moi, il se développe mieux, parce que les pauvres ne brûlent pas seulement leurs propres quartiers, mais atteignent le centre urbain et sattaquent à tout ce qui représente loppression sous toutes ses formes, pas seulement la police et les banques. À Thessalonique, ils ont attaqué une église, à Athènes larbre de Noël du syndic, le ministère de l’Éducation, le Parlement, dans la petite île dIthaki, ils ont brûlé une école. Cest la réponse à une vie volée, peut-être pas aussi subitement et horriblement que celle dAlexis, mais lentement, chaque jour, honteusement.

Ce que j
essaie de faire, cest soutenir physiquement les révoltes, partager toutes connaissances inhérentes aux affrontements de rue accumulées jusquà aujourdhui, empêcher toute force de gauche de réprimer et calomnier le soulèvement (tel que le parti communiste) ou de linstrumentaliser à des fins parlementaires (les sociaux-démocrates) et amener un esprit dauto-organisation de nos forces, créer nos assemblées, nos moyens dinformations, nos équipes dattaque et de manière générale se libérer du monde capitaliste, se libérer de notre besoin du capitalisme. Le saccage a représenté un bon point de départ, maintenant nous devons le généraliser.

I-A : La Gauche grecque, comment entend-elle exploiter et mettre fin à la révolte ?

P. : Je me référerai exclusivement au KKE (parti communiste) et au SYN (social-démocrate qui a intégré presque tous les petits groupuscules) ; parce que ce qui est à la gauche de l
«extrême-gauche» est pour la première fois actif dans les affrontements de rue (après la guerre civile, la culture grecque de la gauche est basée sur la victimisation) avec un esprit anti-ND (Nouvelle Démocratie, parti au gouvernement).

Le KKE voit les récentes révoltes comme une expression de la rancune populaire causée par le chômage et les carences des services publics, qui est mise sous un mauvais jour par des «anarchistes encapuchonnés», évidemment organisés a) par le gouvernement ; b) par l
opposition (PASOK, un parti en déconfiture) ; c) les États-Unis ; d) les extra-terrestres. Mais quimporte, ce quil faut retenir est que tout ce qui est hors du Parti représente le mal. Il demande à la population de manifester pacifiquement et de façon organisée dans le tronçon du KKE et de se préparer pour la bataille électorale !

À Corfu, 15 jeunes du KKE se sont barricadés dans l
université pour éviter que les révoltés, pris en chasse par les flics, nentrent dans l'université ; ils en sont même arrivés à leur lancer des bouteilles pour les provoquer ! Ils sont habitués à faire ce genre de choses. Par le passé, ils avaient frappé quelques anarchistes pour avoir recouvert leurs affiches. Sur ce, 40 anarchistes se sont rassemblés et se sont attaqués à 70 communistes réunis dans luniversité. Après quoi, tous les représentants de parti pleurnichèrent dans les media en dénonçant le règne de la terreur anarchiste, labsence de police, etc.

Le SYN a un rôle plus actif dans la rue. Beaucoup de ses jeunes électeurs sont probablement parmi les révoltés, tout au moins parmi ceux qui lancent des pierres et affrontent les lignes de police. Leur président a dit aux encapuchonnés que s
ils enlevaient leur cagoule, le SYN les défendrait face à la justice. Cela exprime la tactique du parti : saboter ceux qui agissent individuellement pour des raisons qui leur sont propres et les amener au parti pour mener des batailles au Parlement, à la télévision ou dans les tribunaux. Je ne veux pas déformer ou minimiser la rage causée par lassassinat d'un gamin par la police chez nombre de ses électeurs, mais je crois que le SYN compte beaucoup sur ce qui est en train de se passer pour augmenter sa légitimité politique, peut-être même dans le cadre dune alliance gouvernementale.

Lors des premières manifestations, on avait la sensation générale d
être tous ensemble dans cette affaire, vu que chaque courant politique se remettait encore des heurts entre étudiants et police de lan passé, lorsque après divers mauvais coups, les forces de lordre avaient repris le contrôle de la rue et que sen était suivit un an de fréquentes violences policières et de tortures dans les commissariats. Au fur et à mesure que les jours passèrent, les choses se firent plus claires.

Ah, il y a aussi les syndicats : principalement liés au PASOK, au SYN, peut-être quelques-uns même à Nouvelle Démocratie et le KKE qui a son propre front syndical. Ils se sont vendus en annulant la grève générale programmée de longue date, à la demande du Premier ministre afin d
éviter des désordres. Personne ne semble sy intéresser, mais la mentalité des syndicats est un foutage de gueule, une insulte à la majeure partie de la population grecque.



I-A : Nous avons suivi la dernière lutte des prisonniers. Savez-vous quelque chose de leurs réactions aux actuelles révoltes et aux actions de sabotage en solidarité avec leurs mobilisations ?

O. : Aujourd
hui, le jour de lenterrement dAlexis, les prisonniers ont refusé leur repas dans toutes les 22 prisons de Grèce. Des milliers (nous ne sommes pas en mesure de dire exactement combien) ont donc exprimé de cette façon leur respect pour un jeune en lutte, et leur solidarité pour toutes les personnes arrêtées lors des affrontements, plus de 200, pour saccage de magasins. Pour ce que jen sais, la plupart des prisonniers soutiennent pleinement les actions solidaires de sabotage hors des prisons. Il ressort des discussions avec les gens dedans, les camarades Polikarpos et Vaggelis, des quelques publications anarchistes avec des contributions de prisonniers et des communiqués parus durant la récente lutte, quils étaient décidément émus lorsquils parlaient des actions à lextérieur.

I-A : Les révoltes ont parfois des parcours sinueux, certaines s’éteignent (banlieues françaises), certaines sont récupérées, d
autres se mordent la queue. Objectifs personnels et collectifs ?

S. : Premièrement, défendre nos vies, défendre la mémoire de nos camarades, défendre notre existence dans les rues et notre pouvoir dans la rue. La lutte de classe ne se termine pas lorsque nous quittons notre place de travail, dans la rue ou dans un bar alternatif ou à la mode où nous continuons à être des marchandises, nos vies sont de pures marchandises. La police déprécie nos vies et arrive à les détruire, nous devons donc tout de suite prendre les choses en mains, et l
unique manière dy parvenir est de se libérer de ce qui nous transforme en marchandise et de sa police. Si tout cela ne tourne pas en révolution, je pense que nous devrions au moins nous amuser le plus possible dans ce processus dhumanisation. Ah, et nous libérer dun humanisme bon à rien.

(…)

Espace autogéré (Lausanne) - A-Infos, 19 décembre 2008
Une agence d’actualités par, pour et au sujet des anars.


Soulèvement en Grèce : quelques textes écrits entre le 10 et le 17 décembre 2008. Le but de cette brochure est de permettre de saisir quelque peu le climat, à chaud, de ce qui se joue en Grèce en décembre 2008. Elle donne la parole aux émeutiers et émeutières qui critiquent le système capitalisme en paroles et en actes.

Publié dans Grèce générale

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