Derrière les grilles
Il est des lieux d’enseignement où la logique sécuritaire dégaine plus vite que pour embastiller une maison d’arrêt. Ainsi, dans ce collège-là, les grilles d’enceinte, désormais assorties d’un sas qui fait surtout l’effet d’une cage aux fauves, ont déjà été doublées pendant l’été, bien avant celles de Grenoble-Varces : réponse des pouvoirs publics aux jets répétés de bouteilles explosives dans la cour et aux pratiques buissonnières. À leur retour de vacances, les élèves ont eu le plaisir de trouver cette somptueuse marque d’invitation et d’encouragement.
Il est des lieux d’enseignement, lookés gris tout froid, qui portent de tels stigmates, les ruines noircies, tout juste rasées, d’un gymnase accolé à l’établissement — brûlé en 2005, toujours pas reconstruit — et se tapent une telle réputation, qu’avec l’assouplissement de la carte scolaire, 41 dossiers de dérogations ont été déposés pour contourner l’entrée en Sixième. Quarante ont été acceptés par l’Inspection d’académie. Suppression de classes, disparition de l’option bilangue (2 demandes contre 16 l’année précédente) et une concentration encore plus forte d’élèves en très grande difficulté dans les classes — les résultats de l’évaluation à l’entrée en Sixième l’attestent. La relégation sociale y fonctionne à plein.
Il est des lieux aux effectifs ahurissants malgré les préconisations (revendications) de celles et ceux qui y travaillent. Avec les suppressions de postes, on n’y compte plus les classes dans lesquelles les plafonds sont atteints ou presque, ce qui engendre des conditions d’étude et des gestions de classe (en terme d’espace, de matériel et d’aide au travail) toujours plus délicates. Classé ZEP et EP1, la hiérarchie va même jusqu’à y oublier (!) qu’une famille a demandé en juin le redoublement de sa fille en 5e, pour ne pas avoir à atteindre le cap des 24 élèves sur ce niveau, et franchir ce fameux seuil qui prévoit la création d’une classe supplémentaire. Dans ces conditions, autant dire que les Études dirigées et les interventions d’assitants-es pédagogiques sont de bien frêles palliatifs qui servent plus à remettre en cause le statut des personnels (horaires, missions, conditions d’exercice) qu’à aider efficacement les élèves.
Il est des lieux où les salles sont visitées pendant les récréations, sans effractions mais avec vols d’effets personnels à la clé, grâce à des doubles, sans que l’on songe à changer quoi que ce soit, où des élèves, du coup, finissent même par rentrer dans des réserves de manuels pour y mettre le feu. Oui, de ces lieux où il arrive aux tables de voler dans les escaliers, où des murs tremblent à contenir tant de chahut, où les cours ont de plus en plus de mal à se tenir, où la salle de permanence est retournée, où les interclasses virent à la corrida, où les personnels sont insultés, où les assistants d’éducation interceptent des couteaux par la lame, où les larmes coulent en salle des profs en fin de journée, où les anciens sont dégoûtés, où les toilettes arrivent à être mixtes plusieurs mois de suite, où les petits se retiennent d’aller, où bien des parents sont dépassés, où on convoque des mères impuissantes, femmes seules obligées de livrer leurs enfants à eux-mêmes dans des cités ravagées, matin et soir, à faire une et deux heures de ménage, pour combien d’heures de transport, et quel salaire, sur Paris.
Mais, chez nous, on a sûrement le privilège d’être cités en exemple, parce que les élèves réussissent bien au Brevet et au CFG et donc que c’est déjà pas si mal et qu’il y a pire ailleurs, alors on devrait pas trop la ramener.
Chez nous, on bosse encore, on s’accroche, on s’attache, au point de songer à en adopter, on bâtit des projets, on tient, on tente de tenir, on essaye de tenter de tenir, sur un collectif à la moyenne d’âge trop jeune, sur le maigre reliquat des acquis des luttes de 1998-1999 et de l’embellie du début des années 2000, sur un temps que le pouvoir ignore et que les néotitulaires ne peuvent plus connaître.
Pourtant chez nous, malgré tout, on est comme en train de se résigner, à soudain se voir en poule ou en autruche, parce que des enfants se perdent, parce qu’on a le pire aux yeux, parce qu’on a des tragédies, à l’acide, à l’essence ou à l’arme blanche, en tête, sidérés par le naufrage — merci et encore bravo à la hiérarchie complète — sous le coup d’un aussi lâche abandon.
École, prison. Ouvrir, fermer… Comment il disait, déjà, Hugo ?
Sébastien (STE 93), 11 décembre 2008.