Mobilisation générale à Tarnac
Le soutien aux jeunes accusés de terrorisme après un sabotage à la SNCF ne faiblit pas.
À Tarnac (Corrèze), un nouveau week-end de mobilisation en faveur des jeunes mis en cause dans l’affaire des sabotages de lignes TGV vient de se terminer. Samedi, il y a eu le bal au profit du comité de soutien, et dimanche la troisième réunion publique du comité. Alors que trois des leurs ont retrouvé leur liberté, les habitants ne décolèrent pas. Julien et Yldune sont toujours emprisonnés et accusés d’actes terroristes (lire ci-dessous).
La lutte est à leurs yeux plus que jamais nécessaire et ce n’est pas l’éclatement du groupe du fait des assignations à résidence qui entamera leur détermination. «Il faut élargir le débat sur ces lois antiterroristes, parler des gens en préventive soi-disant islamistes, de toutes les procédures qui frappent les militants anti-OGM, les sans-papiers, etc.», tempête Thierry Letellier, membre du comité venu rejoindre le samedi après-midi ses amis au café-épicerie, forum où toutes les réactions fusent. Tous approuvent son programme : «Tout faire pour que ça ne retombe pas», notamment dans la vingtaine de villes françaises où la mobilisation a été spontanée. Michel Gillabert, président du comité de Tarnac, dresse la liste : une manifestation à Limoges le 13 décembre, une autre en préparation à Toulouse. Ailleurs, ce sera des concerts, des films, des débats. La pétition initiée par des universitaires a enregistré plus de 4000 signatures sur le site du comité. Rien qu’à Tarnac, plus de 500 contacts ont été pris avec des sympathisants. De 15 à 20 lettres de sympathie arrivent chaque jour, avec à la clef «des dons impressionnants», selon Aude qui les dépouille. «On s’attendait pas à une telle mobilisation», reconnaît la jeune femme, cheville ouvrière de l’épicerie. Michel Gillabert explique : «On a des contacts avec des profs d’université. On pourrait imaginer des conférences pour rendre notre réflexion plus populaire.» La Ligue des droits de l’homme et Amnesty International accompagnent déjà le mouvement. «J’ai rencontré François Hollande de façon informelle, il m’a surtout donné des conseils», ajoute encore Gillabert. Les communistes et les Verts ont déjà pris parti. Olivier Besancenot et José Bové seraient espérés. «Je suis prêt à rencontrer Martine Aubry», avance Michel Levy, le père de Yldune. Il a pris contact avec le Syndicat de la magistrature, les avocats devant eux-mêmes se rapprocher de leurs syndicats. «Personne ne se précipite, on construit. Il faut tenir jusqu’au procès.»
Manifeste. Samedi, Tarnac est revenu sur la déferlante médiatique de ces dernières semaines à l’occasion de l’enregistrement de l’émission «Là-bas si j’y suis» de France Inter. Invités privilégiés, Télé Millevaches, télévision associative locale, et La Bande magnétique, collectif basé aussi sur le plateau qui donne, entre autres, dans «la sociologie des médias». Un film réalisé par la télé locale est diffusé, véritable manifeste contre le comportement des journalistes. Attablés, quelques vieux du village regardent. Les images sautent, mais l’essentiel du message est passé. «Les journalistes ont fait de nous des personnages d’un récit médiatique irréel par rapport à ce qu’on vit ici», argumente Loïc de Télé Millevaches.
Hameaux. «Il y a les mauvais journalistes qui reviennent. Il faut pas s’attendre à être bien reçus», avait prévenu, quelques jours plus tôt, le président du comité de soutien. À Tarnac, on cherche avant tout à contrôler l’image de ce qui est considéré, de l’avis général, comme un «dérapage» des médias. Dans le café, les clients toisent les étrangers, forcément des journalistes, et se moquent. «T’as des armes sous ton poncho ?» dit cet homme à son copain. «Laisse tomber les terroristes, on est plus pressés qu’eux», lance ce client impatient à la serveuse.
Quand on avait demandé à Aude si on pouvait suivre Paul, dans sa tournée de livraison des hameaux, elle avait répondu : «C’est quoi cette idée ? Ça sert à rien de nous voir vivre. Qu’est ce que vous voulez montrer ?» Ce matin, Paul, chemise de bûcheron bleue et fines lunettes, est quand même allé livrer des gens qu’il n’avait pas eus le temps de voir la veille, dans ce pays de hameaux isolés, à des distances qui n’en finissent plus. Aude sert, lave les tasses et fait l’aller-retour à l’épicerie. Elle va chercher des journaux. La presse est épluchée, triée, commentée, les papiers rangés dans de gros classeurs. «La première semaine, il n’y avait pas intérêt à parler», dit Aude. «C’était super dur d’aller à l’encontre de ce truc-là, l’instrumentalisation des médias, tout le truc de sortir les biographies orientées. Bon, là, on se réjouit que trois copains soient sortis», poursuit la jeune fille. «Mais il y en a encore dedans [en prison ndlr], ils n’allaient pas se désavouer en relâchant tout le monde», explique-t-elle.
Assis à une table, Jean-Michel fait partie du comité de soutien. Il ne veut pas dévoiler son nom, s’il habite ici : «Je viens de peu importe. On ne parle pas de personnes, mais des faits, on dépersonnalise», intime-t-il. Il trouve «indécent» le déballage qui a «sali, mis les gens dans la boue». Ce qu’il veut : «Faire exister sur la sphère publique quelque chose qui peut susciter une question de fond sur l’antiterrorisme.»
Didier Arnaud & Annick Faurot
Libération, 8 décembre 2008.
Deux suspects en prison
Neuf personnes ont été mises en examen à la mi-novembre dans l’affaire des sabotages de lignes TGV. Mardi, la cour d’appel de Paris a ordonné la remise en liberté de trois des cinq jeunes incarcérés.
Deux personnes restent en détention :
Julien, 34 ans, est présenté par la police comme le chef présumé du groupe soupçonné d’avoir commis des dégradations. Julien s’est installé en 2003 à Tarnac, où, avec ses camarades, il a repris l’épicerie de village. Aujourd’hui, il est poursuivi pour le chef criminel de direction d’une entreprise terroriste et le délit de destructions en réunion à visée terroriste.
Yldune, 25 ans, étudiante en archéologie, est la compagne de Julien. Incarcérée à Fleury-Mérogis, elle est poursuivie pour destructions en réunion à visée terroriste. Selon ses parents, qui attendent un droit de visite, elle vit très mal les nuits en prison, la lumière allumée toutes les deux heures. Elle s’est inscrite à des cours d’anglais et d’espagnol pour «tenir».