Syndicalisme lycéen et police politique
Le Jura Libertaire publie ici un communiqué et deux articles de presse sur les pratiques des plus banales de la police politique à l’encontre d’un engagement militant non moins banal. L’indignation ne fait rien à l’affaire. Oui, la police travaille. Et il arrive quelquefois, comme dans le cas présent, qu’on s’autorise à dire tout haut comment elle procède, et dans quelles perspectives…
Des pressions inadmissibles des Renseignements généraux sur un élève du lycée Picasso !
Nous apprenons qu’un élève du lycée Pablo-Picasso (Avion), responsable local de la Confédération de la Jeunesse du Nord et ayant participé, l’année dernière, au mouvement de défense du lycée et des postes d’enseignants, a été convoqué le mercredi 26 novembre au commissariat de police de Lens. Il y a été reçu par un agent des Renseignements généraux.
Le but de cet «entretien» était officiellement de se renseigner sur la mise en place d’un syndicat de lycéens au lycée Picasso (la Confédération de la Jeunesse du Nord). Nous nous étonnons de cette démarche. D’abord parce qu’elle ne nous paraît pas «commune», la plupart des associations «loi 1901» n’ayant pas à subir ce genre d’entretien. Ensuite, parce qu’à notre connaissance, ce syndicat a été mis en place à la fin du mois d’août. Les Renseignements généraux s’y intéresseraient seulement deux mois plus tard. Cet entretien n’aurait-il pas été plutôt motivé par le fait que l’État perçoit la montée de la contestation de sa politique éducative (réforme du lycée, suppressions de postes) dans de nombreux établissements scolaires ? Cherchait-on par là à «dissuader» un représentant des lycéens d’organiser des actions collectives contre cette politique ? Ce serait là une marque de fébrilité assez flagrante… et une démarche que nous ne pourrions tolérer !
Ce sentiment est conforté par ce que nous savons de ce qui a été dit à notre élève au cours de cet entretien. En effet, au prétexte de «mettre en garde» ce lycéen, le fonctionnaire de police n’aurait pas hésité à tenir des propos qui peuvent être interprétés comme des menaces à peine voilées, notamment quant à l’avenir professionnel de notre élève. On lui a en effet expliqué que son engagement pouvait lui «fermer des portes» pour ses études ou s’il voulait passer un concours de la Fonction publique, qu’il fallait donc qu’il fasse attention… Ce type de discours, faussement paternel et vraiment pernicieux, représente une pression psychologique parfaitement indigne, qui plus est lorsqu’elle est exercée sur un jeune lycéen. Nous dénonçons fermement ces pratiques scandaleuses.
Nous tenons ici à exprimer publiquement notre solidarité à cet élève. Solidarité d’autant plus forte que cet élève, avec beaucoup d’autres, n’avait pas hésité à se mobiliser pour défendre les postes des enseignants, et le lycée Picasso, l’année dernière. Nous rappelons d’ailleurs que ce mouvement impliquait de nombreux professeurs et parents, qui se sentent tout autant agressés que cet élève par ces agissements. Faut-il s’attendre à ce que ces professeurs et parents soient eux aussi convoqués et «prévenus» de la sorte par les Renseignements généraux ? Nous sommes choqués par la nature des propos qui ont été tenus à notre élève, et en particulier par les menaces voilées faites sur les possibilités futures de réussir des concours de la Fonction publique. Nous osons espérer qu’il ne s’agit là que d’un «dérapage verbal», car dans le cas contraire, ces propos porteraient en eux une grave atteinte aux principes mêmes de l’accès à la Fonction publique. Plus largement, cette démarche plus que regrettable nous interroge fortement sur la légitimité d’un pouvoir qui en est réduit à exercer des pressions sur des lycéens pour chercher à imposer sa politique. Nous souhaiterions enfin savoir qui a demandé aux Renseignements généraux d’effectuer cet «entretien».
Pour faire part de notre mécontentement, et obtenir des réponses à nos questions, nous demanderons très vite une audience à M. le sous-préfet de Lens. D’ici là, nous réaffirmons notre solidarité pleine et entière à notre élève, et nous disons publiquement que nous ne tolèrerons aucune autre pression exercée sur lui ou sur un quelconque autre élève. Nous ne nous interdisons d’ailleurs aucune autre forme d’action pour faire connaître notre profonde colère.
Les enseignants du lycée Pablo-Picasso d’Avion (Snes, Cgt, Snalc)
Les parents d’élèves du lycée Picasso (FCPE), 3 décembre 2008.
Un lycéen de Picasso entendu par les Renseignements généraux
Un lycéen a été reçu, mercredi, par un agent des Renseignements généraux qui souhaitait se renseigner sur la mise en place de la Confédération de la jeunesse du Nord, syndicat de lycéens dont l’élève est le responsable local.
Au grand étonnement des enseignants et des parents d’élèves, un élève de terminale du lycée général et professionnel d’Avion, Simon Poudroux, a été convoqué, mercredi dernier, au commissariat de police de Lens. Motif de l’entretien ? L’agent des Renseignements généraux qui a reçu le jeune élève souhaitait récolter des informations sur la mise en place de la Confédération de la jeunesse du Nord, syndicat de lycéens créé à la fin du mois d’août au lycée Picasso.
«Il nous semble étrange que cette convocation intervienne au moment où la contestation face à la politique éducative de Xavier Darcos gronde» , souligne Romain Gény, enseignant et délégué du SNES. En avril et mai derniers, le lycée Picasso, à la pointe des revendications, avait créé l’événement en occupant l’établissement la nuit. À l’époque, 600 élèves et 60 enseignants de ce lycée avaient protesté contre les suppressions de postes et de classes. La section littéraire, la classe d’adaptation, la 1re STG et la section européenne étaient sur la sellette.
Mais les enseignants sont avant tout scandalisés par le déroulement de l’entretien. Selon leurs dires, le fonctionnaire de police aurait tenté, sur un ton courtois, de dissuader le lycéen d’opérer une nouvelle mobilisation en menaçant son avenir professionnel. «On lui a expliqué que son engagement pouvait lui fermer des portes pour ses études ou que s’il voulait passer un concours de la fonction publique, il devait faire attention.» Aujourd’hui, les enseignants attendent des explications et réclament une audience auprès du sous-préfet. De son côté, la préfecture n’a rien à déclarer à ce jour.
Céline Debette - Nord Éclair, 2 décembre 2008.
Simon, 19 ans, lycéen et syndicaliste à Picasso, a été entendu par les Renseignements généraux
Un lycéen entendu par les Renseignements généraux (RG) : c’est arrivé mercredi dernier à Simon Poudroux, 19 ans, en terminale S au lycée Picasso d’Avion. Leader du mouvement de protestation du printemps, il est devenu depuis président d’un nouveau syndicat lycéen.
C’est une conséquence indirecte du mouvement mené courant mai et juin par des enseignants et élèves du lycée Picasso à Avion. Simon Poudroux a été entendu par le SIG (Service d’information générale, ex-RG). Ce lycéen de 19 ans était un des principaux animateurs de la mobilisation qui avait conduit une trentaine d’enseignants et lycéens à passer la nuit dans l’enceinte du lycée du quartier République durant cinq semaines entre mai et juin.
Simon a reçu une convocation écrite du ministère de l’Intérieur pour se présenter, mercredi 26 novembre après-midi, au commissariat de Lens. «J’ai été reçu par un fonctionnaire qui s’est présenté comme le responsable des Renseignements généraux pour les collèges et lycées du bassin minier», explique cet élève qui redouble sa terminale S. «L’entretien était très calme, il était très poli, mais il m’a demandé de faire attention parce que le fait d’aller trop loin dans le syndicalisme pourrait me fermer des portes pour les concours de la fonction publique.» Simon Poudroux est président d’un syndicat de lycéens, la Confédération de la jeunesse du Nord, créé à Avion dans le sillage de la fronde du printemps. Les statuts ont été déposés fin août en sous-préfecture. «Nous sommes quarante d’Avion et trois ou quatre autres d’Henri-Darras à Liévin, l’objectif étant de rassembler des membres dans tout le bassin minier.» Si le président fait partie des Jeunesses communistes (très implantées à Avion où la mairie est PCF), le jeune homme précise que ce syndicat est «indépendant de toute appartenance politique ou religieuse».
De cet entretien, le lycéen garde un goût amer : «On a essayé de me dégoûter d’être meneur d’un mouvement à Picasso. On essaie de tuer à la base la contestation que nous allons mener contre la réforme des lycées.» Solidaire, le syndicat d’enseignants SNES de Picasso, comptait adresser, hier, un courrier au sous-préfet. «Des remarques ont été choquantes», retient Romain Gény, délégué au lycée Picasso.
«On lui fait comprendre que c’est bien de s’engager mais que ça risque de lui fermer des portes. On lui fait peur pour son avenir, ce n’est pas anodin. Ici, les collègues ont été scandalisés et voulaient même manifester devant le commissariat.» Selon Romain Gény, l'exemple d'un autre leader avionnais aurait été évoqué : «Damien prépare actuellement des concours de la fonction publique. On a fait comprendre à Simon que ça pouvait être gênant. C’est insupportable.» Damien Sayon, tout en n’étant plus au lycée, est actuellement trésorier du nouveau syndicat.
Rappelons que le mouvement avionnais avait abouti à la conservation d’une première L, au maintien de la section européenne et à la récupération de certaines heures de première STG. Pour Simon Poudroux, ce mouvement a montré la capacité de mobilisation des lycéens.
Jointe hier, la Direction départementale de la sécurité publique expliquait qu’elle communiquerait ultérieurement sur cette affaire. Une source policière indiquait cependant : «S’il était vraiment surveillé, il n’aurait pas été invité à discuter par le SIG.»
La Voix du Nord, 3 décembre 2008.