L'Instinct de mort fait vivre

Publié le par la Rédaction


Pas une semaine sans qu’on ne nous réclame L’Instinct de mort, le livre de Jacques Mesrine republié en novembre 2006 par la maison d’édition de CQFD. Récit d’un conflit autour de cet ennemi public no 1 aujourd’hui récupéré par l’industrie culturelle.

«C’est incroyable ! C’est comme si vous voyiez une Ferrari dans la rue dont personne ne se sert depuis longtemps et que vous la preniez.» C’est la voix de Martine Malinbaum, l’avocate de la famille Mesrine, qui sort du combiné : elle vient de découvrir que Le Chien rouge a eu l’audace de publier L’Instinct de mort, l’autobiographie de feu son client.

En 2006, après des mois de contacts avec le précédent éditeur, de recherches sur les droits et de vaines tentatives pour joindre les enfants de l’auteur, notre maison d’édition décide de publier l’ouvrage devenu introuvable. Le livre sort des presses en novembre et Court-Circuit, notre diffuseur, le place en librairie. À la fin du mois, une employée de la société cinématographique La Petite Reine, dont le taulier n’est autre que Thomas Langmann, nous appelle : «Je veux parler à votre service juridique.» Impossible, notre pool d’avocats est au rade en face. Un peu plus tard, une personne affirmant être Sabrina Mesrine, la fille de Jacques, nous interpelle vivement, non sans préciser que son avocat est maître Malinbaum. Disposant ainsi d’une adresse, le Chien rouge s’attelle à un nouvel envoi de lettres recommandées à l’attention des enfants Mesrine. Nous y expliquons que, après avoir longuement cherché à les joindre, sans succès, nous avions décidé de publier avec la mention «Droits réservés» [Signifiant que Le Chien rouge n’est en rien propriétaire des droits et que ceux-ci seront attribués à qui s’en présente comme détenteur légal ou moral]. Nous leur précisons que, d’une part, nous avons bien l’intention de payer les droits à la famille, ce quelle que soit la situation légale. Et d’autre part que ce projet d’édition s’inscrit dans une logique éditoriale traduisant notre intérêt pour la critique sociale et les luttes anticarcérales. En retour, c’est une assignation en référé devant le tribunal de Paris qui nous arrive !

Fichtre ! Accompagnés de notre avocat pitbull maître Emmanuel Nicolino, nous nous retrouvons le 21 février 2007 devant le juge des référés. «Mon client a publié cet ouvrage dans le cadre d’une protestation contre les conditions carcérales», précise d’entrée notre bavard. «Avez-vous l’intention de rééditer ?» s’enquiert le juge. Prudemment, un membre du Chien rouge répond par la négative. Mais cela ne calme pas la porteflingue des descendants du Jacquot. «Cette situation est très traumatisante pour mes clients», s’emporte-t-elle. «Ils souhaitent qu’aucune publicité ne soit plus faite autour de leur père…» «Avez-vous les actes notifiant les droits ?», s’enquiert le président. Maître Malinbaum lui présente quelques feuillets. Il lit. «Il n’y a rien ici qui précise que vous êtes détentrice des droits…» Stupeur : «Mais… Monsieur le Président… Il est de notoriété publique que nous avons les droits…» Repartie courtoise de notre avocat : «Je suis désolé, maître, mais je n’appartiens pas à ce public.» Blanc. Puis la matrone s’emballe : «C’est un scandale !» Mais maître Nicolino intervient : «Monsieur le Président, je vous ferais remarquer que la procédure d’assignation a été extrêmement rapide. Nous avons cherché une conciliation à laquelle aucune réponse ne nous a été faite.» Fin de partie. Dans le couloir, l’un d’entre nous rejoint la Malinbaum qui file à grandes enjambées : «Nous sommes toujours disposés à trouver un arrangement avec la famille. Il est pour nous hors de question de flouer qui que ce soit.» Elle accélère le pas. «Nous ne sommes pas des adversaires de Jacques Mesrine et de sa mémoire.» Elle explose : «Vous irez en correctionnelle ! En correctionnelle, vous m’entendez !» L’ordonnance tombe le 1er mars : les demandes de la famille Mesrine sont jugées irrecevables, mais il est spécifié que nous nous sommes engagés à ne pas republier.

Fort heureusement, le temps aura su effacer l’impudence d’un petit éditeur et, qui plus est, infâme «voleur de Ferrari». Au risque de voir ravivé le «traumatisme» de la famille invoqué par maître Malinbaum — qui va elle-même publier incessamment les lettres privées que son ex-client lui adressait — c’est grâce à la boîte de production La Petite Reine [Déjà productrice du dernier et excellentissime Astérix aux Jeux Olympiques] que les murs du pays vont se couvrir du nom de Mesrine. Appuyé par une vaste campagne publicitaire, le film adapté de L’Instinct de mort sort sur les écrans le 22 octobre. Détails de l’opération : si la boîte de Thomas Langmann [«C’est la démesure de cet homme accro à l’adrénaline et au scandale qui fascine {chez Mesrine}» a pu déclarer ce rebelle dans l’âme] a déboursé 300.000 euros pour les enfants, 350.000 euros pour le réalisateur et 135.000 euros pour le scénariste — grand bien leur fasse —, elle a engrangé plus de quatre millions d’euros de la part de Canal Plus, un million six de M6 et deux millions cinq d’Universal pour les droits de diffusion, avant même que soit assurée la réussite commerciale du film. Quant à l’acteur principal, Vincent Cassel, il devrait empocher pas loin de 720.000 euros du butin… Sans compter la part des éditions Flammarion qui participent à la curée en republiant L’Instinct de mort. Bigre !

Avec l’aide de la justice et des banques, un braquage de rêve, et plein audace, ce bouquin…

Gilles Lucas - CQFD no 60, octobre 2008.

Publié dans Agitation

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