À propos du bourrage de crânes antianar
La justice avance, Tarnac résiste
Le procureur de Paris a requis, hier, la mise en examen des neuf gardés à vue. Peu après, un comité de soutien se formait à Tarnac pour défendre les jeunes de la communauté du Goutailloux.
Deux heures seulement séparent les deux événements. L’un à Paris, l’autre à Tarnac. Ils présentent deux versions différentes d’une même réalité encore floue qui prend sa source sur le plateau de Millevaches.
17 heures. Le procureur Jean-Claude Marin se présente devant les médias. Il annonce que les neuf jeunes en garde à vue après les dégradations de lignes TGV vont être présentés, ce matin, à des juges antiterroristes. Parmi eux, le procureur distingue «deux groupes» selon leur degré d’implication présumé. Le premier, une sorte de «noyau dur», est composé de cinq personnes soupçonnées d’avoir eu un rôle dans les sabotages de caténaires, précise-t-il.
«Perspective terroriste»
Son chef présumé, un homme de 34 ans, est soupçonné d’avoir «dirigé une structure à vocation terroriste», un crime passible de 20 ans de réclusion. Avec lui, quatre autres personnes du groupe «ont en commun d’avoir participé à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et d’être les auteurs de dégradations en réunion dans une perspective terroriste», délits passibles de dix ans d’emprisonnement.
S’il n’y a pas de preuve formelle, notamment ADN, de leur implication directe, les réquisitions de mise en examen formulées par le parquet signifient que celui-ci considère disposer d’«indices graves et concordants» (…)
Tarnac et Paris : des réalités s'affrontent
19 heures. Trois personnes font, cette fois, face aux caméras et aux micros : Jean Plazanet, ancien maire communiste de Tarnac ; Thierry Letellier, agriculteur et maire de La Villedieu (Creuse), et Michel Gillabert, tailleur de pierres à Rempnat (Haute-Vienne). Ils annoncent la création d’un comité de soutien aux cinq interpellés et à la communauté du Goutailloux et dénoncent «une affaire médiatique et politique» (…)
Peu avant, Jean Plazanet avait pour sa part évoqué le bonne intégration des cinq jeunes et plus généralement de la communauté du Goutailloux. «De grâce, ces gens travaillent comme ils veulent chez eux (…) Ils ont repris cette épicerie et le restaurant qui sert 15 à 20 repas chaque jour. Ce sont des gens qui travaillent et se lèvent à 6 heures du matin.» «Si eux sont terroristes, moi aussi je l’ai été durant la guerre d’Algérie…»
Entre Tarnac et Paris, plus que jamais, deux réalités s’affrontent. Radicalement différentes.
Michaël Nicolas - La Montagne, 15 novembre 2008.
«Menottés dix heures dans une salle de bain»
Des Rouennais ont vécu les perquisitions policières à Rouen mais aussi à Tarnac en Corrèze.
Dans le village de Tarnac, la ferme dite Le Goutailloux sur le plateau de Millevaches en Corrèze ou dans deux maisons à Rouen, partout le scénario a été le même mardi matin: «Des policiers cagoulés ont fait irruption arme au poing en hurlant : Police, police !», témoignent Olivier, Pascal, Corinne et Isabelle (les prénoms ont été modifiés), Rouennais, qui ont tous moins de 30 ans.
Rencontrés hier en centre-ville, ils racontent ce qu’ils ont vécu au même moment à trois endroits différents, dans le cadre de l’enquête sur les malveillances commises contre la SNCF. «Dans le petit appartement de Tarnac, où j’avais rejoint des connaissances avec une amie, les policiers ont débarqué à une vingtaine. Nous avons été rapidement menottés et mis à l’écart» de Mathieu B. et sa compagne qui ont été interpellés, explique Pascal. «Au bout d’un moment, et vu l’absence d’éléments probants dans la perquisition, les policiers se sont un peu détendus. L’un d’entre eux nous a dit qu’il s’agissait d’une enquête pour terrorisme et que les ordres venaient de haut. Au bout de trois heures, nous avons été détachés et nos amis embarqués. Nous avons dû nous occuper de leur fils (un nourrisson), qui est aujourd’hui chez ses grands-parents.»
Dispositif impressionnant
Dans la ferme du Goutailloux, le dispositif est encore plus impressionnant. «Entre 50 et 100 policiers, un hélicoptère, des chiens… assure Olivier. La porte a été défoncée alors que tout le monde dormait. Armes et lampes torches ont été braquées sur nous. À l’aide de photographies, les policiers ont identifié les personnes qu’ils recherchaient et nous avons été menottés, mis à l’écart dans une ancienne salle de bains. À huit, nous y sommes restés dix heures.» Le corps de ferme a été méticuleusement fouillé. «Les policiers disposaient de nombreux appareils, des détecteurs de métaux comme à la plage (sic). Pendant six heures, il nous était interdit de parler entre nous, de nous déplacer… Vers 12 heures, la tension est un peu tombée et nous avons pu boire un verre d’eau, fumer et pisser… toujours menotté à un policier.» L’issue de cette journée est pour lui «surréaliste». «Nous avons été libérés des menottes avant la nuit tombée. Certains policiers ont pris congé en nous lançant : Bonne journée !»
Les occupants de la ferme découvrent l’étendue des dégâts : tout a été dévasté, la cage du poulailler ouverte, les poubelles éventrées… En premier lieu, ils allument la radio «pour tenter de comprendre ce qui se passe». Sur les ondes, ils apprennent qu’à Rouen, deux de leurs amis ont été arrêtés. La perquisition y a aussi été virile : «J’ai eu très peur, atteste Isabelle. Nous avons été menottés quasiment nus. Les policiers cherchaient Elsa (arrêtée dans la maison du quartier Sant-Gervais aussi perquisitionnée, en compagnie de Bertrand). Étant locataire des lieux, j’ai assisté à la perquisition.» À Rouen, disques durs, ordinateurs portables, littérature, brochure politique, le DVD du Grand détournement ont été saisis. «Aussi du matériel d’escalade. Mais trois d’entre nous pratiquent à la salle Dévé, et un des colocs est même cordiste ! Son outil de travail a été confisqué. Il y en a pour 800€.»
«Arrêtés pour leurs idées»
Les Rouennais sont peu diserts sur les raisons de leur présence à Tarnac. Il s’agit en fait de précaution à l’encontre de leurs camarades en garde à vue, redoutant l’emballement de la machine judiciaire «adossée à des lois de l’ordre du régime d’exception». Simplement, «ils sont étrangers aux sabotages du week-end dernier, assure Olivier. Dans la nuit de vendredi à samedi, Elsa et Bertrand étaient dans un bus qui les emmenait à Amsterdam à l’occasion d’un voyage étudiant. D’ailleurs, j’ai bon espoir qu’ils soient libérés dès demain (aujourd’hui, NDLR).»
«On a l’impression qu’ils ont été arrêtés pour leurs idées (très à gauche). C’est d'ailleurs ce que permettent les lois antiterroristes de Perben», appuie Pascal.
Après l’arrestation, la séparation d’avec leurs amis a été le moment le plus dur à vivre cette semaine. Les retrouvailles pourraient être assez rapides (peut-être ce matin) selon l’avocate d’Elsa et Bertrand, Dominique Vallès.
Paul Mouchel - Paris Normandie, 15 novembre 2008.
Nous avions rencontré les épiciers de Tarnac
Au cœur des interpellations d’hier, l’épicerie de Tarnac avait fait l’objet d’un reportage en janvier dernier. En voici les grandes lignes.
Il y a trois ans, en posant leurs valises sur le plateau, dans un hameau non loin de Tarnac, Gaëtan, 25 ans, et Benjamin, 30 ans, ne pensaient pas devenir commerçants.
La croissance à tout crin, ce n’est pas franchement leur truc. Lorsqu’ils ont débarqué avec une vingtaine de potes pour retaper une vieille ferme, les rumeurs ont d’ailleurs été bon train.
Et s’il s’agissait d'une secte ? «On n’est pas venu ici pour faire du fric.» Ils n’ont toutefois pas tardé à trouver leur place dans la commune, allant jusqu’à racheter, le 1er octobre, le magasin général d’alimentation du bourg. «Je n’aurais jamais pensé me retrouver derrière un comptoir, être ainsi pris dans des rapports marchands», insiste Gaëtan ; «faire des journées pas possibles, des livraisons», ajoute Benjamin.
Car le magasin général n’est pas seulement la petite épicerie du village. Il fait aussi bar, tabac, restaurant ouvrier, station-service, et salle de spectacles. Ici, on ne veut pas faire les choses comme ailleurs. Ça tombe bien, le plateau n’est pas un lieu comme les autres.
Une autre proximité
Pour racheter l’endroit et conserver ses deux salariées (rejointes depuis par trois autres personnes à temps partiel), les trois gérants n’ont d’ailleurs pas fait appel aux banques. En plus de l’aide de leurs proches, ils ont émis des bons de souscription qui seront échangeables, à partir du 1er mai 2008, contre des produits vendus au magasin.
Plus de 150 habitants du village y ont participé. Il faut dire que tout le monde y trouve son compte. «Tout est parti de notre volonté de travailler là où on vit», explique Gaëtan. Pour preuve, il est également devenu président du comité des fêtes.
Au travers du «magasin», il aspire à mettre en place une dynamique d’échange à rebours de ce que la société propose. Tout simplement faire passer la vie avant, sans forcément essayer de se faire passer pour un exemple. Une démarche plus compliquée qu’il n’y paraît, mais qui se met peu à peu en place avec le soutien des habitants dont beaucoup n’osent imaginer ce que serait devenue leur ville sans ce commerce qui prône une autre proximité.
Michaël Nicolas - Le Populaire, 15 novembre 2008.
«Terroristes ? N’importe quoi !»
Au lendemain de l’opération policière en Haute-Corrèze, notre journal a rencontré des amis des jeunes gens interpellés. Et des habitants de la commune qui prennent leur défense…
«Terroristes, nous ? C’est du n’importe quoi. Croyez-moi, on ne pensait pas un jour être réveillés à 6 heures du matin, un flingue devant le visage.» Le ventre légèrement rebondi, Mélanie [Les prénoms ont été modifiés] nous accueille devant la ferme de Tarnac en Haute-Corrèze, où a eu lieu l’interpellation la veille de cinq de ses amis. «Encore déboussolée», cette jeune femme enceinte était présente quand les policiers de l’anti-terrorisme et ceux de la police judiciaire de Limoges ont débarqué dans la ferme. «Ils n’ont, j’en suis sûr, rien à voir avec ce qu’on leur reproche.»
«Absurdité»
À ses côtés, Cédric, 30 ans, vêtu d’un jean et d’un pull accepte de répondre à quelques questions. Il se dit musicien, donne un coup de main pour retaper la ferme, va bientôt aider à la construction d’appentis pour le bois. Pour lui ces interpellations sont «une absurdité totale. Les analogies avec l’ETA, ou Action Directe, c’est incroyable. Le gouvernement cherche à faire revivre des spectres enterrés depuis longtemps pour susciter la peur.» Le discours est politisé. Il le reconnaît. «Effectivement, notre idée de l’humanité ne correspond pas aux canons de la droite !» lâche-t-il. Mais il assure que «le passage à l’acte est hors de question». Étonnamment, ce n’est pas ici, auprès des amis, que l’on entend les plus vives réactions. Mais dans le village. La plupart des habitants rencontrés hier étaient particulièrement remontés. Et n’hésitaient pas à prendre la défense des jeunes gens. Comme Laurent, employé communal depuis 16 ans. «Vous ne les connaissez même pas et vous les jetez en pâture ! Les jeunes, nous on les connaît. Ils ont fait plein de choses pour notre village. On ne peut rien leur reprocher. Pour moi, c’est un coup médiatique du gouvernement. Ils n’ont jamais fait de mal à personne ici. Et certainement pas fait ce qu’on leur reproche!»
Franck Lagier - Le Populaire, 13 novembre 2008.