Des stages d'anglais intensifs ?
Lorsque Xavier Darcos affirme qu’il est handicapant de ne pas maîtriser l’anglais, on sourit. Comment expliquer alors les brillantes carrières de Jacques Delors, Jean-Pierre Raffarin, Jacques Chirac et tant d’autres de nos leaders éclairés ? Il semble bien que le véritable handicap soit plus en rapport avec l’appartenance à une classe, exploiteuse ou exploitée. Ce qui est un handicap, c’est d’être né du mauvais côté du manche, qui ne branle pas autant ni aussi souvent qu’on le voudrait…
Et puis qu’est-ce que l’anglais dont parle le ministre ?
Faut-il défendre notre glorieuse francophonie et fustiger l’hideuse anglophonie qui vient égorger nos daughters et nos wives jusque dans nos bras ? Probablement, ça n’en vaut pas la peine. Évidemment, c’est tout à fait idiot.
L’anglais est multiple. Bien entendu, il est le fruit d’une histoire de capitalistes triomphants, d’orangistes et de marchands. Il s’est imposé ainsi. Mais l’anglais des résistants, des poètes, des hispaniques, des irlandais ou des africains, des travellers, des pauvres ou des voyous ; existe en lui, autour de lui et en même temps que lui. C’est comme ça.
Et puis, comment pourrait-on vouloir chanter la gloire du français de la science triomphante des 17e et 18e siècles, de Louis-l’État-c’est-moi ou des Lumières bourgeoises, sauf à être con comme un Philippe Val ?
Le français recule ? Qu’est-ce que ça peut bien nous foutre ? L’anglais recule dans le sud des États-Unis ? Et alors ? Les langues disparaissent, naissent, évoluent, se pénètrent. Il en a toujours été ainsi. G CRI AN SMS SI JE TROUV SA BI 1. Je pars en week-end faire du rafting si je veux. «À bas il’miliciens choublanquistes», voilà tout ce qui compte.
Mais l’anglais dont parle Xavier Darcos n’est pas celui de Bernard Shaw ni même celui du Lumpenprolétariat anglais. C’est moins que ça, beaucoup moins que ça. L’anglais dont parle Xavier Darcos, c’est la langue internationale de Christine of the Guard, la ministre. Ce sont quelques dizaines de mots, baragouin de commerciaux et de politiciens qui nous expliquaient il y a vingt ans que le système éducatif allemand était le meilleur, «er arbeit bei Bosch», n’est-ce pas ?, et qui nous expliquent à présent que nous devons tous être des Coréens.
Vouloir faire la promotion de telles âneries est à mon avis une erreur. Aussi me permets-je une lettre ouverte au chef des profs, en espérant qu’il y trouve matière à réflexion et à économies.
Open letter to my expensive Minister
J’aurais aimé, my dear Secretary, être diplomé de la New California University College of Business and Bullshit, pour, moi aussi, vendre du café Jacques Vabre comme John-Peter. J’aurais aimé passer des Slide Powerpoints à des assistances d’encravatés. J’aurais aimé réunir mon thinktank pour définir des targets, compter nos assets, et espérer plaire à nos actionnaires pour qu’ils puissent continuer à fuck up the world.
Mais bon, j’ai bêtement étudié la littérature anglophone. Et j’espère bien donner le goût du Beau et du non-marchand à quelques élèves maintenant que j’enseigne la langue anglaise.
Pour dire la vérité et sans vouloir cracher dans la soupe, mon métier est totalement inutile s’il s’agit de fournir aux élèves les quelques cinq cent mots dont ils auront besoin pour voler des matières premières au Sud et vendre des produits pourris au Nord. S’il s’agit de donner les outils nécessaires à la bonne tenue de visioconférences avec des clients étrangers, il est bien inutile aussi. Quinze jours de stage en entreprise suffiraient largement. Il n’y a pas besoin d’étudier la langue depuis l’âge de sept ans pour maîtriser le sabir qui vous plaît tant.
Ceci étant écrit, et en imaginant un instant que vos intentions et votre projet de société soient louables, je me permets de vous suggérer une idée de mon thinktank personnel (où on est un, ce qui me permet d’être assez souvent d’accord avec moi) :
Réduisez le nombre d’élèves par classe et/donc embauchez des personnels en quantité suffisante : cela devrait suffire à dés-handicaper pas mal d’élèves français.
N’hésitez pas à me contacter pour que je vous communique d’autres idées fulgurantes. Pour ce qui est de «les caisses de l’État sont vides», j’ai aussi la solution (je sais où est l’argent).
Yours unsarkozilly,
La Craie noire no 11, novembre 2008
Bulletin du syndicat CNT Éducation de Côte d’Or.