Bas les masques !
Lors d’un débat sur l’augmentation du prix de l’électricité à la Radio Suisse Romande, un radical reprochait à un socialiste d’être responsable de cette situation parce que «la gauche avait retardé la libéralisation du marché de ce secteur». Quelques jours plus tard, Hans Schweickardt, président ad interim du conseil d’administration de Swissgrid, société nationale de réseau électrique, expliquait que cette hausse des tarifs était due en partie aux dépenses administratives liées à… la libéralisation. Il prédisait également une nouvelle augmentation en 2014 à cause de l’entrée en vigueur du libre choix du fournisseur. Soit tout le contraire de ce que nous avaient annoncé les partisans de la privatisation. M. Hans Schweickardt, comme le radical cité au début, demeure pourtant persuadé qu’il faut continuer sur cette voie. On comprend mieux pourquoi lorsque l’on apprend qu’entre 2004 et 2007 ses revenus ont augmenté de 34% pour atteindre la coquette somme de 614'000.-fr par an, soit 51'167.-fr par mois. La hausse des tarifs pourrait même lui rapporter une nouvelle augmentation de salaire. À moins que la crise ne freine ses ambitions.
Cette crise, la plupart et les plus écoutés des experts en économie ne l’ont pas vu venir. Elle était pourtant annoncée depuis longtemps par des journaux comme Le Courrier, Le Monde Diplomatique, Marianne et un certain nombre d’ouvrages. Les explications données par ces Cassandre étaient pourtant plus convaincantes que les théories fumeuses des tenants d’un libéralisme échevelé. Il faut avoir la foi du charbonnier pour croire que l’argent crée de la valeur sans passer par le travail productif. Comme par magie. Aujourd’hui, ils déclarent espérer que cette crise n’aura pas d’influence sur l’économie «réelle». Bien sûr qu’elle en aura forcément une, car les pertes et les gains faramineux produits par l’économie «irréelle» doivent être valorisés par de réels producteurs de richesses qui travaillent et produisent des biens et des services.
Vous l’avez compris, il s’agit d’un véritable hold-up. Mise en place dans les années 80 par Thatcher, Reagan and Co, cette rapine a pu se renforcer grâce à la marginalisation de toute opposition par Tony Blair et le courant dominant chez les dirigeants sociaux démocrates adeptes de la «troisième voie». Nous étions pourtant encore nombreux à nous époumoner avec nos petits moyens pour dénoncer la supercherie, mais on nous traitait de ringards voire de conservateurs. Les Christoph Blocher, Ebner et Beat Kappeler nous expliquaient qu’il fallait laisser faire le marché qui résout tous les problèmes, qu’il faut lui confier tous les services publics, qu’on y gagnerait tous (on voit aujourd’hui). Les radicaux et l’UDC se chamaillaient pour savoir lequel des deux était «le parti de l’économie». Christoph Blocher affirmait à Reconvilier devant des victimes des spéculateurs de Swissmetal, qu’il fallait laisser travailler les managers comme ils l’entendent. On a suivi son conseil, les Américains nous avaient montré l’exemple et voilà le résultat !
Il ne nous reste plus qu’à espérer que la leçon soit comprise et qu’enfin on change de cap. Qu’on ne se laisse plus aveugler par «les partis de l’économie» et qu’on décide enfin de reprendre les rennes de notre quotidien en rejoignant les rangs de ceux qui défendent les intérêts de la grande majorité des gens et non de ceux de quelques privilégiés. Espérons qu’on comprendra une fois pour toutes que les profiteurs ne sont pas parmi les plus pauvres (chômeurs, étrangers, assistés sociaux, rentiers AI) mais bien parmi les nantis. Organisons-nous en associations, syndicats et autres mouvements de solidarité. Mettons en commun nos moyens pour créer des coopératives. Ils ont la puissance de l’argent, nous aurons le nombre si nous sommes unis. Par exemple, si chaque salarié, petit artisan, chômeur, étudiant donnaient, ne serait-ce que 100.-fr pour former un capital suffisant pour créer des entreprises coopératives utiles à la collectivité, la culture ou à l’environnement, nous pourrions commencer à nous donner les moyens pour résister à la crise qui s’annonce et construire un autre monde.
Michel Némitz - Éditorial du Bulletin de novembre-décembre 2008
de la coopérative culturelle autogérée Espace Noir.