La naissance d'une police "secret défense", dans l'indifférence
Il y a peu, les «carnets noirs» d’Yves Bertrand et le fichier Edvige ravivaient le spectre de la police secrète. Dans le même temps, un service policier totalement couvert par le «secret défense» était créé, fin juin, au ministère de l’Intérieur. Cette Direction centrale du renseignement intérieur concentre les dossiers jusqu’alors divisés entre les RG et la DST. Elle s’intéresse notamment aux «phénomènes de société susceptibles, par leur caractère radical, leur inspiration ou leurs modes d'action, de porter atteinte à la sécurité nationale». Mais ses premiers pas n’ont suscité aucun débat.
Pareille absence de curiosité tient sans doute à l’extrême opacité dans laquelle évolue cette DCRI voulue par Nicolas Sarkozy. Tout y est couvert par le «secret de la défense nationale» : ses activités, ses moyens d’action interdits au commun des administrations, son mystérieux fichier Cristina, ses personnels et son organigramme, etc. Faut-il préciser que cette police de l’ombre travaille ainsi, très largement, à l’abri des investigations parlementaires, judiciaires et journalistiques ?
D’un décret, d’un seul, le champ de la police secrète à la française a été considérablement élargi. Physiquement, pour commencer. La DCRI a accueilli le gros des effectifs des Renseignements généraux et de la Direction de la surveillance du territoire (tous deux disparus dans l’opération). Combien sont les agents du nouveau service ? 3300 fonctionnaires, comme l’affirme une source interne, ou 4000, selon un communiqué du ministère de l’Intérieur ?
La question n’a rien d’anodin. Jusqu’alors, seul le «vrai» service secret de la police française (la DST et ses 1700 agents) fonctionnait en effet sous le sceau du «secret défense», au nom de ses missions de contre-espionnage. Les fonctionnaires des RG n’étaient soumis, eux, qu’au devoir de réserve ordinairement imposé aux policiers. Au bas mot, les troupes de la police de l’ombre ont donc doublé. On se souvient alors des mots du fondateur de la DST, Roger Wybot, qui avait imposé le «secret défense» afin de mettre ses agents «à l’abri de toutes les indiscrétions et inquisitions administratives, parlementaires et autres».
Autre nouveauté, et de taille, de la présente réforme : la DCRI centralise l’intégralité des dossiers du renseignement policier. Du jamais vu en France ! Les concepteurs de la réforme ont braqué les projecteurs sur la nécessité de supprimer les «doublons» et les missions qui, entre RG et DST, se chevauchaient. Mais la «modernisation» va beaucoup plus loin ! La simple lecture du décret fondateur de la DCRI en donne une première idée : le nouveau service est chargé de «lutter, sur le territoire de la République, contre toutes les activités susceptibles de constituer une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation».
Dans sa corbeille, la nouvelle police a reçu quatre types de missions d’une ampleur et d’une variété assez phénoménales.
Primo, le contre-espionnage (surveiller les espions venus des pays étrangers). Secundo, la lutte contre le terrorisme et la protection du patrimoine économique. Tertio, le contrôle des communications pouvant porter atteinte «à la sûreté de l’État» et la surveillance de la cybercriminalité. Grosso modo, la DST assurait déjà ces trois missions.
Mais le quarto constitue l’avancée la plus marquante : la DCRI surveille «les individus, groupes, organisations [ainsi que les] phénomènes de société, susceptibles, par leur caractère radical, leur inspiration ou leurs modes d’action, de porter atteinte à la sécurité nationale».
Erich Inciyan - MédiaPart, 30 octobre 2008.