Ces patrons qui jouent en bourse contre leurs propres boîtes
Avec la crise, de nombreux patrons revendent précipitamment les actions. Interrogés par Bakchich, ils justifient l’injustifiable.
La bourse fait du yo-yo ? Et bien, beaucoup de cadors du CAC ont joué, en vendant leur stocks options, contre leurs propres groupes. Beaucoup de ces gestes peu civiques ont déja été évoqués, dans le magazine Challenge ou sur le site Mediapart. Mais Bakchich a souhaité revenir sur ces comportements scandaleux et sonder les intéressés sur leur système de défense. Ainsi le PDG d’Alstom, Patrick Kron, a quelque peu affolé son monde en vendant, entre fin septembre et début octobre, tous les stock options qu’il détenait. Un vrai record. En quelques jours, 16,5 millions d’euros ont afflué sur le compte en banque de Kron ainsi à l’abri d’une crise de liquidité personnelle. Heureux homme ! Depuis, le cours d’Alstom a perdu plus de 30%… «C’était, parait-il, programmé depuis longtemps.»
Cinq millions d’euros pour le pédégé de GDF-Suez, et la facture de l’abonné qui s’envole
«Sans lien avec la crise financière» : c’est aussi le leitmotiv répété chez GDF-Suez pour justifier que Gérard Mestrallet ait vendu un paquet de stock options le 3 septembre dernier. Ça gaze pour le PDG du groupe né de la fusion de l’ex-service public GDF avec Suez ! En une journée, il a réalisé une formidable culbute : 2,3 millions d’euros de plus-value dégagées ! Et le 10 octobre, a-t-il signalé à l’Autorité des marchés financiers (AMF), il a encore vendu pour 2,7 millions d’euros. Trois jours plus tard, le même souscrivait pour 991.200 euros de titres à prix bradés grâce à un nouveau plan. Attention, le patron de Suez n’a «pas le stock option honteux», assure-t-on au siège du groupe. Et les communicants de Mestrallet d’expliquer que le patron n’est pas le seul à bénéficier d’un plan de ce type. Et de souligner que ce bon PDG applique depuis toujours les récents appels du Medef à la modération. Ni parachute doré ni retraite chapeau pour Mestrallet. Avec son salaire, les stocks option constituent ses seuls revenus de l’entreprise. C’est beau le dépouillement…
Les banquiers dégainent vite… quand il s’agit de leur propre porte monnaie
Durant cette période tempétueuse, qu’ont fait de leur côté les grands timoniers de la banque et de l’assurance, secteur ô combien sensible ? Certains ont paru un brin fébriles. Tel Daniel Bouton, président de la très chahutée Société Générale, connue pour son trader à sensation, Jérôme Kerviel. Et bien, Bouton boursicote, lui aussi, comme un fou. Déjà en 2007, la vente d’une partie de ses stocks lui a permis de réaliser une indécente plus value de 3,7 millions d’euros ! Depuis le début septembre, il a vendu en quatre fois pour près de 4,5 millions d’euros de stocks options.
Daniel Bouton fait répondre à Bakchich que les liquidités dégagées lui sont fort utiles pour accomplir son devoir de contribuable et pour rembourser un emprunt. Il est vrai que ce nécessiteux de luxe a été déstabilisé par l’affaire Kerviel. L’ex PDG a dû abandonner la fonction de directeur général pour mieux s’accrocher à celle de président. Et il a renoncé à tout salaire pendant six mois ! Plutôt que de faire la manche, il s’investit en bourse.
Toutefois, à observer le détail de ses récentes opérations déclarées à l’Autorité des marchés financiers, on s’aperçoit qu’il restait au même Daniel Bouton assez de fraîche pour spéculer à nouveau. Le 2 octobre a constitué un point d’orgue. Bouton reçoit 1,98 million d’euros de la vente de 2,3 millions de stocks option au cours de 66 euros. Et le même jour, il en rachète pour un montant non moins formidable de 1,7 million d’euros, mais au cours plus intéressant de 57 euros.
Une vraie leçon donnée aux traders maladroits de la Caisse d’Épargne. Et peu importe que le cours de la Société Générale s’est cassé la figure à 45 euros… Ce n’est pas fini. D’après la presse financière, Bouton devrait procéder à deux nouvelles ventes de stocks options en veux-tu en voila.
Axa ira, ça ira
«Le système financier français est un système stable (…) et je crois que dans des moments comme ceux-ci, qui sont des moments tendus, il ne faut pas paniquer.» Voilà un homme qui sait garder ses nerfs. Président du directoire de l’assureur Axa, Henri de Castries s’exprimait ainsi le 30 septembre sur le perron de l’Élysée. C’était juste après la convocation par Sarkozy des grands de la finance hexagonale.
Certains observateurs ont doucement rigolé en découvrant que, quatre jours plus tôt, Castries s’était en fait débarrassé de paquets d’actions de son groupe à Wall Street. Il a vendu plus de 18.000 stocks options reçues il y a un an de la filiale américaine d’Axa. Le produit de cette vente s’élève à 638.199 dollars, environ 440.000 euros.
Là encore, c’était du prévu et c’est pour la bonne cause. «250.000 euros lui serviront à payer ses impôts et il en réinvestira 150.000 dans un plan d’actionnariat d’entreprise à prix réduit», précise un porte-parole d’Axa. Rien à voir donc avec un quelconque manque d’assurance dans l’avenir de la maison. Si c’était le cas, Castries aurait tout vendu, ces quelque 400.000 euros tirés d’une petite opération n’étant que roupie de sansonnet. C’est ce dont on prend conscience auprès du siège de l’assurance où l’on pratique une louable transparence. «Il reste à Henri de Castries 1,4 million d’actions représentant une valeur de 12,5 millions d’euros.» Voilà un homme bien assuré contre les revers de fortune.
Mais dans cette période de capitalisme délétère, n’y a-t-il que des patrons du CAC 40 qui jouent contre leur propre maison ? L’espèce inverse ne court pas les rues mais on trouve tout de même quelques spécimens qui achètent à tour de bras. Chez le cimentier Lafarge — qui subit pourtant le ralentissement du BTP — Bernard Kersiel, son vice président, a eu le courage de miser près de 500.000 euros dans l’achat d’actions du cimentier entre fin septembre et début octobre. Le titre se négociait à bien plus de 60 euros, il ne vaut aujourd’hui qu’un peu plus de 50.
Le cimentier fait cependant figure de petit joueur par rapport à Jean-René Fourtou, le président du directoire de Vivendi. «Il croit dur comme fer, explique son entourage, à l’avenir de son groupe et au succès durable du téléphone portable.» Bravo ! Dans le monde patronal, cet enthousiasme juvénile fait plaisir à voir. Jean René Fourtou a tiré de son compte en banque personnel pour plus de 2,8 millions d’euros, entre le premier et le quinze octobre pour acquérir des actions. Chapeau, car c’était au plus fort de la crise. Un patron qui ne joue pas contre son camp est un héros des temps modernes.
Marc Fressoz - Bakchich, 20 octobre 2008.