Je vous hais
Petite histoire subjective du squat de la cité universitaire de Besançon, par notre envoyé spécial.
Marseille, 2001. Je suis étudiant, j’habite dans une cité universitaire, plutôt vieille : la dernière réfection remonte à l’époque où ma mère était étudiante… autant dire qu’elle est devenue assez miteuse (la cité U), mais toujours très agréable à vivre. Au cours de la deuxième année, on nous apprend que le bâtiment va être rasé à la rentrée, pour un nouveau projet immobilier. Un bureau en préfabriqué a d’ailleurs été installé dans la rue, pour que les futur-e-s propriétaires puissent venir voir sur plans la maison de leurs rêves.
L’année se termine, puis arrivent comme chaque année ces quelques semaines où tout le monde, tour à tour, emballe ses affaires. L’animation passée des couloirs devient un souvenir, on dit au revoir aux gens… On laisse sa chambre, tristement. Seule différence, cette fois-ci : les quatre étages de la cité U ne se rempliront plus. Il faudra demander une réinscription ailleurs, ce qui, outre l’aspect sentimental, veut aussi dire que ça a moins de chances d’aboutir, le nombre de places se réduisant… Maintenant partez, on va tout détruire…
Souvent, dans les années qui suivent, je rêve que j’y retourne. Parfois je rêve que je grimpe les escaliers et que ça court partout, que la vie a repris. Parfois je rêve que, dans les mêmes couloirs, les portes des petites chambres sont entrouvertes et que tout est vide, sauf quelques personnes çà et là, inconnues et maussades.
Marseille, même rue, 2008. Le bâtiment est toujours là, le bureau en préfabriqué n’est plus là, un panneau «bâtiment sous alarme» est là, les acheteurs ne sont pas là, la la la… Et sous mes yeux, un bâtiment vide. Sept ans. À l’intérieur, sûrement, les mêmes couloirs, mais pleins de poussière, car depuis la fermeture ils n’ont rien connu d’autre que mes rêves dérisoires.
Dijon, septembre 2008. J’apprends par le site Brassicanigra que la cité universitaire Canot, laissée vide depuis plus d’un an, a été squattée à Besançon. Pas de projet avant 2012. Mais bien sûr. À Marseille c’était «pas de projet avant la rentrée». Cent-cinquante chambres, quelque chose comme quatre étages. Tiens… Alors j’y vais, pour filer un coup de main. À l’extérieur, un bâtiment magnifique, en plein centre de Besançon. À l’intérieur, un décor très familier : longs couloirs, petites chambres, les unes derrière les autres. Vides, ou plutôt vidées, car on devine encore qu’il s’en est passé des choses là-dedans, avant l’abandon. Mais cette fois-ci l’abandon n’aura duré qu’un an. Des gens ont saisi l’absurdité de la chose, sont rentrés, ouf. Ça s’active, ça s’organise. Plein d’énergie et des projets : créer un espace autogéré, non marchand, favoriser la mise en commun de savoirs, d’expériences, de moyens. Quand j’y suis, une semaine après l’ouverture, une friperie gratuite a déjà été installée. En déambulant dans les couloirs, j’en ai les larmes aux yeux, je me retrouve sept ans en arrière et j’ai la chair de poule.
Mais non. Ça y est. C’est vide, de nouveau. Plainte du CROUS, propriétaire du bâtiment, appuyé comme il se doit par la gazette locale. Procédures juridiques. En quelques semaines c’est plié, la porte est murée, les gens sont partis. La propriété privée a repris sa place, le désert aussi. Je vous hais.
Blabla no 8, 25 octobre 2008.