C'est le casse du siècle !
Les chiffres donnent le tournis : cumulées à l’échelle de la planète, les aides au système financier mondial affluent, qui pour recapitaliser, qui pour garantir les prêts interbancaires, et atteignent, en l’état actuel des événements, quelque trois mille milliards de dollars, ce qui, déjà, n’est qu’une goutte d’eau à côté des dizaines de milliers de milliards qui sont partis en fumée dans la dépréciations des produits financiers complexes que les traders ont échafaudés pour doper la machine à fabriquer le pognon… Les partisans d’une économie de marché-plus-juste-parce-qu’encadrée peuvent s’agiter et invoquer le coût plus que modéré de l’éradication de la faim et de l’alphabétisation sur la planète, ou convertir en millions d’années de SMIC les 360 milliards annoncés rien que pour la France, rien n’y fait : il est inutile de dénoncer les inégalités si on ne propose que des solutions aussi efficaces qu’un cautère sur une jambe de bois.
Si ce qui se passe depuis quelques semaines est incontestablement une crise, c’est aussi une leçon grandeur nature de philosophie politique, qui a beaucoup à nous dire sur la nature des démocraties fondées sur la délégation de pouvoir, et qui met clairement en évidence les relations étroites qu’entretiennent l’État et le capitalisme.
À quoi assistons-nous sur le plan politique ? À la révélation de ce que tous les partis politiques institutionnels refusaient d’admettre publiquement jusqu’à une date récente : ils ont tous le regard fixé vers l’horizon indépassable de l’économie de marché ! Aux États-Unis, le plan Paulson de sauvetage des banques est voté conjointement par les républicains et les démocrates, McCain et Obama réduisent considérablement le champ polémique de leur campagne pour donner l’image d’une Amérique unie derrière son chef présent et à venir. En France, c’est un Manuel Valls, dont les dents rayent les fondations de la maison, qui se plaint publiquement que le Parti socialiste ne compte pas d’homme d’État susceptible de voter ouvertement les cadeaux de Noël des banques ; pensez donc, ils se sont abstenus, du propre aveu de leur président de groupe «pour ne pas empêcher le gouvernement de rétablir la confiance» ! Cerise sur le gâteau, c’est un Fillon qui réclame à cors et à cris l’union sacrée, (qui précéda de peu, rappelons-le, la boucherie de 14-18…), rien de tel qu’une bonne situation critique pour faire marcher la classe politique en rang par deux…
Les médias nous vendent la crise comme un brouillage des repères, comme un micmac dans lequel une chatte ne retrouverait pas ses petits : Sarkozy, à les entendre, serait devenu, sinon d’extrême gauche, du moins celui par lequel la régulation du marché va retrouver ses lettres de noblesse keynésiennes, il aurait enfourché son cheval blanc pour refonder et moraliser le capitalisme : finis les parachutes dorés, virés les irresponsables qui perdent des centaines de millions en bourse, l’État est de retour dans l’économie, on va voir ce qu’on va voir… La confiance va revenir, à coup de milliards on parvient toujours à ses fins, c’est un expert qui vous le dit ! Et là, patatras ! la chute continue, le psychodrame n’en finit plus, les vampires assoiffés de biftons aimeraient bien avoir confiance, mais la récession menace, l’économie réelle est touchée !
Face à un tel déversement d’inepties, il est plus qu’urgent de revenir aux fondamentaux et de rappeler ce qu’est le capitalisme : un système construit sur la propriété privée des moyens de production et sur l’exploitation de la force de travail de ceux qui n’ont rien d’autre pour vivre, un système dont le but est d’accumuler du profit en le concentrant dans les mains d’un nombre toujours plus faible de profiteurs, un système que la crise ne met pas en danger, parce qu’elle lui est nécessaire pour fonctionner. Que la crise se traduise par la guerre économique, ou par la guerre tout court, elle a immanquablement pour effet de relancer la croissance. La crise est le moteur du capitalisme, la croissance est son carburant.
Point n’est besoin d’être prix Nobel d’éco pour comprendre ce qui se joue devant nos yeux : pour garantir les créations de richesses virtuelles que sont les crédits, les Etats, en bons larbins qu’ils sont, vont faire la seule et unique chose qu’ils sachent faire : livrer pieds et poings liés au système capitaliste une force de travail toujours moins chère, mais suffisamment à l’aise pour reverser le fruit de son boulot à son employeur par le biais de la consommation. Le tour de force est admirable : on a trouvé comment faire payer par la victime le préjudice qu’elle a subi ! L’esclave, ironie du sort, n’est pas assigné à la consommation de ce qu’il produit, alors que le salarié ne reçoit de rémunération de son boulot que si elle retourne à celui qui a feint de la donner après s’être contenté de la voler ! Est-ce là un progrès qui vaille vraiment la peine qu’on se batte pour lui ?
Et pour nous faire payer à leur place, ils s’y entendent, ces cannibales, ils n’ont qu’un mot d’ordre : nous piquer notre blé pour faire leur beurre ! Est-ce un hasard si Châtel et Bertrand ressortent de la boîte à exactions le travail du dimanche ? et si l’UNEDIC prend la décision, avec la complicité bienveillante des organisations syndicales à l’exception d’une, de reporter de deux mois le versement des cotisations patronales (pas celles des salariés, vous avez dit bizarre ?) bien sûr que non ! C’est dans notre poche qu’ils vont chercher leurs garanties, dans notre engagement à ne pas revendiquer de hausse de salaire, de Sécurité sociale égalitaire, de retraite digne, dans notre résignation à nous défaire des services publics, bref, notre engagement à serrer les coudes avec les patrons, à oublier la lutte des classes pour tomber tête baissée dans le panneau de l’union sacrée…
Allons-nous laisser sans réaction le système capitaliste se refaire une santé à nos dépens ? Allons-nous accepter de dormir dans nos bagnoles parce que nous ne faisons plus face au paiement d’un loyer, d’une traite de maison ? Allons-nous accepter de ne prendre qu’un repas par jour parce qu’il faut payer pour la hausse des prix, alors que la production agricole est payée moins cher par les industriels de la malbouffe ? Allons-nous accepter de cumuler deux ou trois petits boulots pour arriver à peine au niveau d’un Smic ? Allons-nous accepter de voir ressurgir du passé des maladies comme la tuberculose, simplement parce que le système public de santé est démantelé ? Allons-nous patiemment attendre les prochaines échéances électorales pour constater une fois de plus que ceux qui nous promettent le changement se contentent de changer l’enveloppe d’un cadeau qui reste le même à l’intérieur ?
Les tenants du capitalisme le savent, la situation est explosive, ils n’ont pas le choix, de la même manière qu’ils reçoivent sans vergogne la manne publique, ils vont avoir besoin de pouvoirs autoritaires, de lois d’exception pour contenir la colère qui monte, ils savent qu’ils peuvent sortir de leurs oripeaux démocratiques les dictateurs qui sommeillent en nos chefs d’État, ils ne s’en priveront pas…
Face au danger du partage généralisé de la misère sous la coupe de régimes néo-fascistes, la Fédération anarchiste l’affirme : le capitalisme ne s’effondrera pas seul sous le poids de ses propres contradictions, il va falloir le mettre à bas nous-mêmes ; pour cela, un seul moyen : bloquer par la grève générale expropriatrice le fonctionnement de l’économie, puis réorganiser sans État ni patrons chaque secteur de la vie sociale ; pour y arriver, il faudra impérativement neutraliser les chiens de garde que sont les appareils bureaucratiques des organisations syndicales, qui ne manqueront pas de voler au secours du Medef en présentant comme une victoire d’ampleur le gain d’une broutille comme une prime de transport ou une hausse des salaires de 3%, il faudra neutraliser aussi les partis d’extrême gauche, qui ne manqueront pas de siffler la fin de la récré pour nous imposer par un processus électoral la mise à mort de la révolution sociale…
C’est maintenant que tout se joue !
Mettons à bas le capitalisme ! Exproprions ! Autogérons !
Fédération anarchiste, 29 octobre 2008.