Déclaration
Paris, le 11 novembre 1970
La crise qui s’est toujours approfondie dans l’I.S. au cours de la dernière année, et qui a des racines beaucoup plus anciennes, a fini par révéler en totalité ses éléments ; de même que s’est sans cesse alourdi son résuitat, en tant que progression foudroyante de l’inactivité dans la théorie et la pratique. Mais la manifestation la plus frappante dans cette crise (étalant à la fin ce qui était précisément son centre originel caché), ce fut l’indifférence de plusieurs camarades devant son développement concret, mois après mois. Nous savons très bien que personne n’a exprimé, à aucun degré, une telle indifférence. Et c’est justement là le centre du problème, car nous constatons que, sous la proclamation abstraite du contraire, ce qui a été effectivement vécu, c’est bien ce refus de prendre quelque responsabilité que ce soit dans la participation tant aux décisions qu’à l’application de notre activité réelle ; même dans un moment où elle apparaissait si indiscutablement menacée.
Considérant à la fois que l’I.S. a mené, pour l’essentiel tout au moins, une action correcte et qui a eu une grande importance pour le mouvement révolutionnaire de la période qui s’est achevée en 1968 (avec cependant une part d’échec qu’il nous faudra expliquer) ; qu’elle peut avoir encore une notable utilité à cet égard dans la nouvelle période, en en comprenant avec lucidité les conditions, y compris ses propres conditions d’existence ; et que l’indigne position où l’I.S. se trouve depuis tant de mois ne peut pas durer davantage — nous avons constitué une tendance.
Cette tendance veut rompre complètement avec l’idéologie de l’I.S., et son corollaire : la gloriole dérisoire qui couvre l’inactivité et l’incapacité, et qui les entretient. Elle veut une définition exacte de l’activité collective dans l’organisation I.S., et de sa démocratie effectivement possible. Elle en veut l’application effective.
Après tout ce que nous avons vu depuis des mois, nous rejetons par avance toute réponse abstraite, qui viserait encore à simuler l’euphorie confortable, en ne trouvant rien à critiquer ou autocritiquer de précis dans le fonctionnement — ou le non-fonctionnement — d’un groupe où tant de gens savent si bien ce qui leur a manqué. Après ce que nous avons tous vu depuis des mois, sur la question de notre activité commune, rien ne peut plus être accepté comme avant : l’optimisme de routine devient mensonge, la généralité abstraite inutilisable devient ruse. Plusieurs des meilleurs situationnistes deviennent d’autres, qui ne disent pas ce qu’ils savent, et qui ne savent pas ce qu’ils disent. Nous voulons une critique radicale, c’est-à-dire ad hominem.
Sans vouloir préjuger de leurs éventuelles réponses plus approfondies et plus sérieuses, nous déclarons notre désaccord avec les camarades américains qui ont constitué une tendance dont les bases sont tout à fait futiles. À l’heure présente, la futilité enfantine des pseudo-critiques est un bluff aussi inacceptable que la noble généralité du pseudo-contentement ; tout ceci étant au même titre une fuite devant la critique réelle. D’autres camarades, pendant des mois, n’ont jamais entrepris de répondre, de quelque manière que ce soit, aux questions évidemment brûlantes accumulées par les faits eux-mêmes et par les premières critiques écrites, de plus en plus précises, que nous avons déjà formulées depuis des mois. Le terrain même du scandale et sa dénonciation ont grandi ensemble et tout silence est intimement complice de toutes les carences. Que l’on ne croie pas à notre naïveté, lançant ici quelque nouvelle exhortation pour secouer une fatalité incompréhensible et paralysante ; exhortation qui rencontrerait, aussi vainement que les précédentes, la même absence ! Nous ne nous dissimulons pas que certains n’ont pas voulu répondre.
Eh bien ! voilà un silence honteux qui va cesser immédiatement, parce que nous, maintenant, nous exigeons, au nom des droits et des devoirs que nous donnent le passé de l’I.S. et ce que nous sommes présentement, que chacun prenne ses responsabilités sur-le-champ.
Il est certainement inutile, en ce moment, de rappeler quelles sont les questions centrales sur lesquelles nous attendons des réponses. Ces questions sont dans la tête de tous ; et même déjà posées par écrit. Disons seulement qu’il va de soi que nous n’accepterons aucune réponse qui soit en contradiction avec l’existence réelle de celui qui la formule.
S’il existait chez certains des buts cachés différents des nôtres, nous voulons qu’ils apparaissent, et se traduisent, normalement, en actions distinctes sous des responsabilités distinctes. Et s’il existait quelque part une véritable absence de but, aussi étrange que nous paraisse chez n’importe qui l’intention de conserver le misérable statu quo ante, disons seulement que nous ne pouvons pas contribuer à couvrir une pseudo-unité enrichie de «penseurs à la retraite» ou de révolutionnaires en chômage.
Notre tendance adresse la présente déclaration à tous les membres actuels de l’I.S., sans formuler aucune exclusive préalable. Nous déclarons nettement que nous ne recherchons l’exclusion de personne (et que moins encore nous pourrions nous contenter de l’exclusion d’un quelconque bouc émissaire). Mais, comme nous tenons pour très peu probable qu’un accord authentique puisse se faire si tardivement avec tous, nous sommes prêts à toute scission donc la discussion imminente fixera les frontières. Et dans ce cas nous ferons tout, de notre côté, pour qu’une telle scission se produise dans les conditions les plus correctes, notamment dans le respect absolu de la vérité en toute polémique future, comme nous avons su, tous ensemble, maintenir cette vérité en toutes les circonstances où l’I.S. a jusqu’à présent agi.
Considérant que la crise a atteint un seuil de gravité extrême, et selon l’article 8 des statuts votés à Venise, nous nous réservons dès maintenant le droit de faire connaître nos positions en dehors de l’I.S.
Debord, Riesel, Viénet