Nouvelle chute mortelle d'un sans-papiers lors d'une intervention de police
Silence on tombe
Mercredi 1er octobre, une dépêche AFP annonçait la mort à Paris d’un Nigérian de 47 ans, «soupçonné de trafic de stupéfiants et d’association de malfaiteurs». L’homme, «probablement en situation irrégulière», selon la formule répercutée sur le site du Parisien, est mort en tombant par la fenêtre de son appartement alors qu’il tentait d’échapper aux policiers faisant irruption chez lui. Selon l’AFP, «les enquêteurs de la PJ de Meaux agissaient sur commission rogatoire d’un juge d’instruction de Meaux». L’IGPN — la police des polices — a été saisie pour éclaircir les conditions de la mort de Elvis Akpa et celles de l’intervention de la police.
Elvis Akpa était bien sans-papiers, et sous le coup d’une Obligation à quitter le territoire français depuis 2007. Il se trouve que ce n’est pas la première fois qu’un sans-papiers paniqué saute par la fenêtre pour échapper à la police et à une expulsion. Il y a un an presque jour pour jour, une Chinoise de 51 ans, Chulan Liu, trouvait la mort dans les mêmes circonstances sur le même boulevard de la Villette, suite à l’intervention de policiers envoyés eux aussi par le TGI de Meaux. Dans cette précédente affaire, la police venait aussi «pour une autre raison» — soit, officiellement, pas dans le cadre de la chasse aux sans-papiers décrétée par Brice Hortefeux. Elle agissait alors suite à une plainte… d’un sans-papiers déjà expulsé en Chine. Ce dernier se serait plaint — avant son expulsion donc — de la disparition de «ses effets» dans l’appartement collectif où il demeurait.
Cette fois le motif de l’intervention policière est bien plus impressionnant. Et l’accusation de trafic de drogue semble paralyser toute mobilisation de ceux qui réagissent habituellement en de telles circonstances. Il faut dire que la version policière est terrible : non seulement Elvis Akpa appartiendrait à un réseau international de trafiquants de stupéfiants, mais ce serait dans le cadre de la même enquête que la police de Meaux a découvert, en mars dernier, le cadavre d’une jeune fille de quinze ans, «passeuse» du réseau, décédée suite à l’éclatement d’une boulette de cocaïne dans ses intestins. Devant un tel tableau, le silence est général.
Nous avons cherché à connaître les circonstances de la mort brutale d’Elvis Akpa en allant interroger sa veuve, Huguette Ahouavoeke, la mère de ses quatre enfants.
Nous avons ainsi rencontré madame Ahouavoeke — et sa sœur Estelle — dans son appartement. La première est en état de choc, et toutes deux sont révoltées par la façon dont la police est intervenue ce matin du 1er octobre.
Madame Ahouavoeke nous a donné le récit de cette intervention : tôt le matin (à 6 heures 45, semble-t-il) le couple a entendu des coups à la porte, et l’ordre d’ouvrir. A suivi un moment de confusion dans l’appartement : «J’entendais tellement de bruit, que j’ai eu peur ! Mon mari m’a dit : “N’ouvre pas, c’est sûrement pour les papiers !”» «Je ne veux pas t’abandonner une deuxième fois. Je ne veux pas y retourner», a-t-il ajouté avant de se réfugier dans la chambre des enfants au fond de l’appartement, avec ceux-ci. Et c’est par le balcon de cette chambre qu’Elvis Akpa a essayé de s’échapper…
Madame Ahouavoeke, entendant les policiers défoncer la porte, a fini par leur ouvrir, son bébé de deux mois dans les bras : «J’ouvre, ils m’ont dit : “Connasse ! Où est le monsieur qui vit avec vous, c’est votre mari, il est où ?” J’ai demandé ce qu’ils voulaient, ils avaient leurs bâtons noirs. Ils ont commencé à chercher, puis ont reçu un coup de fil et m’ont dit : “Votre mec il s’est cassé la gueule à cause de vous, il fallait ouvrir vite fait la porte !” Je ne savais pas quoi faire, ils m’ont ordonné de ne pas bouger, ils sont allés chercher les enfants, leur ont dit de ne pas bouger. J’avais le bébé dans les bras. Je demandais ce qu’il se passait, je pleurais, personne ne me disait rien. Ils m’ont dit : “C’est ça ! Faites votre innocente !” Ils sont descendus, ils sont revenus, ils ont fouillé la maison, ils ont pris des affaires, je ne sais même pas quoi. Ils ont mis mes affaires par terre, ont demandé où était le portable, j’ai dit que je ne savais pas, ils m’ont dit “C’est ça, ça ne se passsera pas comme ça !” Ils m’ont mise par terre devant mes enfants, et ils m’ont fouillée.»
Les policiers n’ont trouvé ni drogue ni argent dans l’appartement. Avant de partir, ils rédigent un rapport qu’Huguette Ahouavoeke refuse de signer. «Puis, ils sont partis. Ensuite, les pompiers ou les gens du Samu sont venus me voir. Ils ont dit qu’ils n’avaient rien pu faire pour sauver mon mari.»
Pendant tout le temps qu’a duré cette perquisition, Huguette Ahouavoeke n’a pu à aucun moment quitter l’appartement pour aller voir le corps de son mari. Sa sœur, prévenue par téléphone et présente sur les lieux dès 7 heures 45, n’a pas eu l’autorisation de monter la voir. Les enfants, présents dans la chambre lorsque leur père est tombé, ont assisté aux événements. Les deux aînés, 11 et 7 ans, ont été interrogés par la police dans une pièce à part, une heure chacun, séparément, sans aucun témoin — ni leur mère, ni aucun psychologue ou médecin. Depuis, les enfants se cachent dès que quelqu’un frappe à la porte, craignant un retour de la police et suppliant la mère de ne pas ouvrir.
Toujours pendant la perquisition, avant la levée du corps, les policiers de l’IGPN sont arrivés sur place. Ils ont interrogé Huguette Ahouavoeke à nouveau, ainsi que sa sœur, et les voisins.
Avant de partir, des policiers lui ont donné le téléphone de la PJ de Meaux au cas où elle désirerait des informations complémentaires. Depuis, celle-ci a appellé à plusieurs reprises mais n’a jamais pu obtenir d’explications : «On ne veut pas m’éclairer. Quand j’appelle ils me font balader. Jusqu’à aujourd’hui je ne sais pas ce qu’ils lui reprochaient. C’est par le journal que j’ai su qu’il recherchaient un trafiquant de drogue.»
C’est le lendemain, jeudi, que Huguette Ahouavoeke était enfin autorisée à se rendre à la morgue pour voir le corps de son mari. Celui-ci ayant subi une autopsie le matin même, à la demande de la police et pour une raison qu’elle ignore, elle n’aura pu voir que son visage.
Les jours suivants, les enfants sont restés dans l’appartement avec leur mère et ne sont pas allés à l’école. Le collège Louise Michel, où l’aînée est scolarisée, a envoyé vendredi le médecin scolaire et un psychologue pour voir les enfants. Ceux-ci ont été d’accord pour retourner à l’école à partir du lundi.
Huguette Ahouavoeke dément les accusations de trafic de drogue : «Ils se sont trompés de personne», dit-elle. Béninoise, elle vit en France depuis 2001, et a une carte de séjour de dix ans. Ses deux premiers enfants sont nés au Bénin, et les deux plus jeunes à Paris. Son époux l’a rejointe en 2006, et a fait une demande d’asile qui a été rejetée. Il est sous le coup d’une OQTF depuis 2007. Il n’a jamais eu de problèmes avec la police, et avait très peur de retourner dans son pays, où il se disait en danger pour raisons politiques. Il avait très peur d’une arrestation depuis l’OQTF.
«Mon mari a fait tous les boulots, mais ce n’était pas un trafiquant de drogue ! Il avait peur.» «Est-ce qu’il a voulu s’enfuir ? Qu’est-ce qui s’est passé dans sa tête ? Je ne sais pas ! À 33 ans, je reste avec des enfants mineurs et un mari qui n’existe pas !» Les quelques voisins rencontrés sont émus, certains choqués. Les témoignages sont simples : un monsieur gentil, toujours poli, pas d’histoires, pas de bagarres, attentif à la scolarité de ses enfants — selon une jeune fille qui faisait du soutien scolaire auprès d’eux.
Un événement étrange survient le lundi matin.
Ce jour-là, Huguette Ahouavoeke se rend à la mairie du Xe arrondissement pour y chercher l’acte de décès de son mari. Le document remis par la fonctionnaire de mairie qui a établi le certificat de décès contient deux aberrations manifestes, l’ignorance de la date du décès et le lieu où se trouvait le corps : «Nous avons établi le décès de Iheanacho, Elvis Akpa (…) dont la date n’a pu être établie (…) Le corps a été trouvé en son domicile (…) Dressé sur la déclaration de Philippe Guilbert, commandant de police du 8e arrondissement (…) qui, lecture faite et invité à lire l’acte, a signé avec nous (…)»
À la lecture de cet acte de décès, Huguette Ahouavoeke proteste : «C’est faux ! C’est la police qui a tué mon mari !» La fonctionnaire lui répond alors imperturbablement qu’elle s’est basée sur le rapport de la police pour établir l’acte et qu’elle ne peut le corriger.
Huguette Ahouavoeke rentre chez elle et avertit son avocat. Celui-ci estime que le fait est grave et lui demande de garder les documents. Sa sœur prévient de même le QSP par téléphone.
Le lendemain matin, la fonctionnaire téléphone à la veuve pour lui expliquer qu’elle s’était «trompée», et qu’elle allait établir un nouveau certificat, mais qu’elle attendait pour ça un feu vert du procureur. Nous sommes allés l’interroger. Elle dit avoir fait une erreur de saisie. Elle se serait rendu compte de son erreur le lendemain, en relisant le texte du procès-verbal policier.
«Pourquoi avoir procédé alors à cette vérification ?», lui demande-t-on. Ce serait le souvenir des protestations de la veuve qui l’aurait réveillée dans la nuit. Elle insiste pour dire que l’erreur est de son fait, qu’elle «assume», et que «la police n’y est pour rien». Affable, elle nous montre alors la déclaration de décès qu’aurait apporté le commandant Guilbert du 8e arrondissement. Ce rapport mentionne en effet que le corps a été trouvé «à l’aplomb du domicile du défunt», et qu’Elvis Akpa est «décédé le 1er octobre à 7 heures 30». Comme on s’étonnait de ce que le commandant Guilbert ait pu relire et signer un acte erroné, elle nous explique que celui-ci a signé «en blanc», lorsqu’il a apporté le rapport, avant qu’elle-même n’ait imprimé l’acte de décès… Et qu’il en est toujours ainsi.
La question de savoir pourquoi la police du 8e arrondissement aurait été chargée de ce rapport étonne la greffière : «Parce que c’est elle qui est intervenue.» On s’interroge sur ce qu’aurait eu à faire là des fonctionnaires du 8e arrondissement, pour une opération diligentée à la requête du parquet de Meaux dans le Xe, et alors que l’AFP indique ce ce sont des «enquêteurs de la police judiciaire de Meaux» qui seraient intervenus.
«On va porter plainte. La police n’avait pas à la violenter, ni à interrroger les enfants sans psychologue… On ne l’a pas laissé voir son mari par terre et voir comment il était avant l’autopsie ! On ne sait pas ce qui s’est passé. Il y a trop de questions qu’on se pose. On est là à se faire plein de films dans la tête. On ne sait pas, puisqu’on n’a même pas pu voir son corps ! Notre avocat a demandé le rapport de police, pour savoir sur quoi ils se sont basés pour la perquisition, et pourquoi c’est la police de Meaux qui a fait la perquisition. On est dans le 75 ici ! Pourquoi il n’y avait aucun policier du Xe !»
Huguette Ahouavoeke n’est pas encore allé chercher le corps de son mari à l’institut médico-légal : elle n’a pas l’argent nécessaire pour faire rapatrier son corps au Nigéria. «Le moins cher, c’est le service municipal de la mairie. Mais ça coûte quand même 5638 euros ! Je ne les ai pas. Pour un trafiquant de drogue, il m’a laissé 10 euros 75 ! Ils étaient dans sa poche.»
Dix euros soixante-quinze, c’est la fortune qu’Elvis Akpa a laissée à sa famille, ainsi que son alliance. Vendredi, celle-ci a été rapportée à sa veuve par deux policiers, s’excusant de ce qu’elle était un peu «tordue».
Elvis Akpa est mort, et l’enquête le concernant est stoppée. Reste l’enquête de l’IGPN sur les circonstances de sa mort. Et restent en suspens quelques questions dans cette histoire.
Mais, de toutes façons, quel qu’ait été son moyen de subsistance, Elvis Akpa est bien mort pour avoir follement tenté d’échapper à l’expulsion au Nigéria que lui promettait l’Obligation à quitter le territoire français dont il était l’objet depuis 2007.
Il était en France depuis deux ans et avait fait une demande d’asile politique qui avait été rejetée. Se remettant alors en ménage avec la mère de ses trois premiers enfants, ils en auront conçu une quatrième. Divine, née il y a deux mois. Elvis Akpa n’aurait pas voulu abandonner sa femme et ses quatre enfants.
Concluant l’interview, sa belle-sœur nous apporte quelques photos d’Elvis avec sa femme, et d’Elvis avec ses enfants, prenant son bain ou se promenant au bord du canal Saint-Martin. «C’est ça qu’il ne voulait pas quitter», dit-elle.
Elvis Akpa, sans-papiers, est mort en tombant du septième étage, 97 boulevard de la Villette, alors qu’il tentait d’échapper à la police. Un an après la mort de Chunlan Liu, dans des circonstances semblables, cette nouvelle mort d’un sans-papiers suscite bien peu de réactions…
Mercredi 1er octobre, une dépêche AFP annonçait la mort à Paris d’un Nigérian de 47 ans, «soupçonné de trafic de stupéfiants et d’association de malfaiteurs». L’homme, «probablement en situation irrégulière», selon la formule répercutée sur le site du Parisien, est mort en tombant par la fenêtre de son appartement alors qu’il tentait d’échapper aux policiers faisant irruption chez lui. Selon l’AFP, «les enquêteurs de la PJ de Meaux agissaient sur commission rogatoire d’un juge d’instruction de Meaux». L’IGPN — la police des polices — a été saisie pour éclaircir les conditions de la mort de Elvis Akpa et celles de l’intervention de la police.
Elvis Akpa était bien sans-papiers, et sous le coup d’une Obligation à quitter le territoire français depuis 2007. Il se trouve que ce n’est pas la première fois qu’un sans-papiers paniqué saute par la fenêtre pour échapper à la police et à une expulsion. Il y a un an presque jour pour jour, une Chinoise de 51 ans, Chulan Liu, trouvait la mort dans les mêmes circonstances sur le même boulevard de la Villette, suite à l’intervention de policiers envoyés eux aussi par le TGI de Meaux. Dans cette précédente affaire, la police venait aussi «pour une autre raison» — soit, officiellement, pas dans le cadre de la chasse aux sans-papiers décrétée par Brice Hortefeux. Elle agissait alors suite à une plainte… d’un sans-papiers déjà expulsé en Chine. Ce dernier se serait plaint — avant son expulsion donc — de la disparition de «ses effets» dans l’appartement collectif où il demeurait.
Cette fois le motif de l’intervention policière est bien plus impressionnant. Et l’accusation de trafic de drogue semble paralyser toute mobilisation de ceux qui réagissent habituellement en de telles circonstances. Il faut dire que la version policière est terrible : non seulement Elvis Akpa appartiendrait à un réseau international de trafiquants de stupéfiants, mais ce serait dans le cadre de la même enquête que la police de Meaux a découvert, en mars dernier, le cadavre d’une jeune fille de quinze ans, «passeuse» du réseau, décédée suite à l’éclatement d’une boulette de cocaïne dans ses intestins. Devant un tel tableau, le silence est général.
Nous avons cherché à connaître les circonstances de la mort brutale d’Elvis Akpa en allant interroger sa veuve, Huguette Ahouavoeke, la mère de ses quatre enfants.
Nous avons ainsi rencontré madame Ahouavoeke — et sa sœur Estelle — dans son appartement. La première est en état de choc, et toutes deux sont révoltées par la façon dont la police est intervenue ce matin du 1er octobre.
Madame Ahouavoeke nous a donné le récit de cette intervention : tôt le matin (à 6 heures 45, semble-t-il) le couple a entendu des coups à la porte, et l’ordre d’ouvrir. A suivi un moment de confusion dans l’appartement : «J’entendais tellement de bruit, que j’ai eu peur ! Mon mari m’a dit : “N’ouvre pas, c’est sûrement pour les papiers !”» «Je ne veux pas t’abandonner une deuxième fois. Je ne veux pas y retourner», a-t-il ajouté avant de se réfugier dans la chambre des enfants au fond de l’appartement, avec ceux-ci. Et c’est par le balcon de cette chambre qu’Elvis Akpa a essayé de s’échapper…
Madame Ahouavoeke, entendant les policiers défoncer la porte, a fini par leur ouvrir, son bébé de deux mois dans les bras : «J’ouvre, ils m’ont dit : “Connasse ! Où est le monsieur qui vit avec vous, c’est votre mari, il est où ?” J’ai demandé ce qu’ils voulaient, ils avaient leurs bâtons noirs. Ils ont commencé à chercher, puis ont reçu un coup de fil et m’ont dit : “Votre mec il s’est cassé la gueule à cause de vous, il fallait ouvrir vite fait la porte !” Je ne savais pas quoi faire, ils m’ont ordonné de ne pas bouger, ils sont allés chercher les enfants, leur ont dit de ne pas bouger. J’avais le bébé dans les bras. Je demandais ce qu’il se passait, je pleurais, personne ne me disait rien. Ils m’ont dit : “C’est ça ! Faites votre innocente !” Ils sont descendus, ils sont revenus, ils ont fouillé la maison, ils ont pris des affaires, je ne sais même pas quoi. Ils ont mis mes affaires par terre, ont demandé où était le portable, j’ai dit que je ne savais pas, ils m’ont dit “C’est ça, ça ne se passsera pas comme ça !” Ils m’ont mise par terre devant mes enfants, et ils m’ont fouillée.»
Les policiers n’ont trouvé ni drogue ni argent dans l’appartement. Avant de partir, ils rédigent un rapport qu’Huguette Ahouavoeke refuse de signer. «Puis, ils sont partis. Ensuite, les pompiers ou les gens du Samu sont venus me voir. Ils ont dit qu’ils n’avaient rien pu faire pour sauver mon mari.»
Pendant tout le temps qu’a duré cette perquisition, Huguette Ahouavoeke n’a pu à aucun moment quitter l’appartement pour aller voir le corps de son mari. Sa sœur, prévenue par téléphone et présente sur les lieux dès 7 heures 45, n’a pas eu l’autorisation de monter la voir. Les enfants, présents dans la chambre lorsque leur père est tombé, ont assisté aux événements. Les deux aînés, 11 et 7 ans, ont été interrogés par la police dans une pièce à part, une heure chacun, séparément, sans aucun témoin — ni leur mère, ni aucun psychologue ou médecin. Depuis, les enfants se cachent dès que quelqu’un frappe à la porte, craignant un retour de la police et suppliant la mère de ne pas ouvrir.
Toujours pendant la perquisition, avant la levée du corps, les policiers de l’IGPN sont arrivés sur place. Ils ont interrogé Huguette Ahouavoeke à nouveau, ainsi que sa sœur, et les voisins.
Avant de partir, des policiers lui ont donné le téléphone de la PJ de Meaux au cas où elle désirerait des informations complémentaires. Depuis, celle-ci a appellé à plusieurs reprises mais n’a jamais pu obtenir d’explications : «On ne veut pas m’éclairer. Quand j’appelle ils me font balader. Jusqu’à aujourd’hui je ne sais pas ce qu’ils lui reprochaient. C’est par le journal que j’ai su qu’il recherchaient un trafiquant de drogue.»
C’est le lendemain, jeudi, que Huguette Ahouavoeke était enfin autorisée à se rendre à la morgue pour voir le corps de son mari. Celui-ci ayant subi une autopsie le matin même, à la demande de la police et pour une raison qu’elle ignore, elle n’aura pu voir que son visage.
Les jours suivants, les enfants sont restés dans l’appartement avec leur mère et ne sont pas allés à l’école. Le collège Louise Michel, où l’aînée est scolarisée, a envoyé vendredi le médecin scolaire et un psychologue pour voir les enfants. Ceux-ci ont été d’accord pour retourner à l’école à partir du lundi.
Huguette Ahouavoeke dément les accusations de trafic de drogue : «Ils se sont trompés de personne», dit-elle. Béninoise, elle vit en France depuis 2001, et a une carte de séjour de dix ans. Ses deux premiers enfants sont nés au Bénin, et les deux plus jeunes à Paris. Son époux l’a rejointe en 2006, et a fait une demande d’asile qui a été rejetée. Il est sous le coup d’une OQTF depuis 2007. Il n’a jamais eu de problèmes avec la police, et avait très peur de retourner dans son pays, où il se disait en danger pour raisons politiques. Il avait très peur d’une arrestation depuis l’OQTF.
«Mon mari a fait tous les boulots, mais ce n’était pas un trafiquant de drogue ! Il avait peur.» «Est-ce qu’il a voulu s’enfuir ? Qu’est-ce qui s’est passé dans sa tête ? Je ne sais pas ! À 33 ans, je reste avec des enfants mineurs et un mari qui n’existe pas !» Les quelques voisins rencontrés sont émus, certains choqués. Les témoignages sont simples : un monsieur gentil, toujours poli, pas d’histoires, pas de bagarres, attentif à la scolarité de ses enfants — selon une jeune fille qui faisait du soutien scolaire auprès d’eux.
Un événement étrange survient le lundi matin.
Ce jour-là, Huguette Ahouavoeke se rend à la mairie du Xe arrondissement pour y chercher l’acte de décès de son mari. Le document remis par la fonctionnaire de mairie qui a établi le certificat de décès contient deux aberrations manifestes, l’ignorance de la date du décès et le lieu où se trouvait le corps : «Nous avons établi le décès de Iheanacho, Elvis Akpa (…) dont la date n’a pu être établie (…) Le corps a été trouvé en son domicile (…) Dressé sur la déclaration de Philippe Guilbert, commandant de police du 8e arrondissement (…) qui, lecture faite et invité à lire l’acte, a signé avec nous (…)»
À la lecture de cet acte de décès, Huguette Ahouavoeke proteste : «C’est faux ! C’est la police qui a tué mon mari !» La fonctionnaire lui répond alors imperturbablement qu’elle s’est basée sur le rapport de la police pour établir l’acte et qu’elle ne peut le corriger.
Huguette Ahouavoeke rentre chez elle et avertit son avocat. Celui-ci estime que le fait est grave et lui demande de garder les documents. Sa sœur prévient de même le QSP par téléphone.
Le lendemain matin, la fonctionnaire téléphone à la veuve pour lui expliquer qu’elle s’était «trompée», et qu’elle allait établir un nouveau certificat, mais qu’elle attendait pour ça un feu vert du procureur. Nous sommes allés l’interroger. Elle dit avoir fait une erreur de saisie. Elle se serait rendu compte de son erreur le lendemain, en relisant le texte du procès-verbal policier.
«Pourquoi avoir procédé alors à cette vérification ?», lui demande-t-on. Ce serait le souvenir des protestations de la veuve qui l’aurait réveillée dans la nuit. Elle insiste pour dire que l’erreur est de son fait, qu’elle «assume», et que «la police n’y est pour rien». Affable, elle nous montre alors la déclaration de décès qu’aurait apporté le commandant Guilbert du 8e arrondissement. Ce rapport mentionne en effet que le corps a été trouvé «à l’aplomb du domicile du défunt», et qu’Elvis Akpa est «décédé le 1er octobre à 7 heures 30». Comme on s’étonnait de ce que le commandant Guilbert ait pu relire et signer un acte erroné, elle nous explique que celui-ci a signé «en blanc», lorsqu’il a apporté le rapport, avant qu’elle-même n’ait imprimé l’acte de décès… Et qu’il en est toujours ainsi.
La question de savoir pourquoi la police du 8e arrondissement aurait été chargée de ce rapport étonne la greffière : «Parce que c’est elle qui est intervenue.» On s’interroge sur ce qu’aurait eu à faire là des fonctionnaires du 8e arrondissement, pour une opération diligentée à la requête du parquet de Meaux dans le Xe, et alors que l’AFP indique ce ce sont des «enquêteurs de la police judiciaire de Meaux» qui seraient intervenus.
«On va porter plainte. La police n’avait pas à la violenter, ni à interrroger les enfants sans psychologue… On ne l’a pas laissé voir son mari par terre et voir comment il était avant l’autopsie ! On ne sait pas ce qui s’est passé. Il y a trop de questions qu’on se pose. On est là à se faire plein de films dans la tête. On ne sait pas, puisqu’on n’a même pas pu voir son corps ! Notre avocat a demandé le rapport de police, pour savoir sur quoi ils se sont basés pour la perquisition, et pourquoi c’est la police de Meaux qui a fait la perquisition. On est dans le 75 ici ! Pourquoi il n’y avait aucun policier du Xe !»
Huguette Ahouavoeke n’est pas encore allé chercher le corps de son mari à l’institut médico-légal : elle n’a pas l’argent nécessaire pour faire rapatrier son corps au Nigéria. «Le moins cher, c’est le service municipal de la mairie. Mais ça coûte quand même 5638 euros ! Je ne les ai pas. Pour un trafiquant de drogue, il m’a laissé 10 euros 75 ! Ils étaient dans sa poche.»
Dix euros soixante-quinze, c’est la fortune qu’Elvis Akpa a laissée à sa famille, ainsi que son alliance. Vendredi, celle-ci a été rapportée à sa veuve par deux policiers, s’excusant de ce qu’elle était un peu «tordue».
Elvis Akpa est mort, et l’enquête le concernant est stoppée. Reste l’enquête de l’IGPN sur les circonstances de sa mort. Et restent en suspens quelques questions dans cette histoire.
Mais, de toutes façons, quel qu’ait été son moyen de subsistance, Elvis Akpa est bien mort pour avoir follement tenté d’échapper à l’expulsion au Nigéria que lui promettait l’Obligation à quitter le territoire français dont il était l’objet depuis 2007.
Il était en France depuis deux ans et avait fait une demande d’asile politique qui avait été rejetée. Se remettant alors en ménage avec la mère de ses trois premiers enfants, ils en auront conçu une quatrième. Divine, née il y a deux mois. Elvis Akpa n’aurait pas voulu abandonner sa femme et ses quatre enfants.
Concluant l’interview, sa belle-sœur nous apporte quelques photos d’Elvis avec sa femme, et d’Elvis avec ses enfants, prenant son bain ou se promenant au bord du canal Saint-Martin. «C’est ça qu’il ne voulait pas quitter», dit-elle.
Appel à solidarité
Madame Ahouavoeke a besoin d’argent pour faire rapatrier le corps de son mari. Si vous désirez l’aider, adressez vos chèques à :
Madame Huguette AhouavoekeMerci pour elle.
97 boulevard de la Villette, 75019 Paris
ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers, 9 octobre 2008.