Travailleurs sans papiers : des salariés pour le capital !
En France, les questions migratoires sont au cœur de l’actualité politique et sociale depuis plusieurs décennies, et ont toujours servi à alimenter les fantasmes dont le capitalisme a besoin.
Mise à part la brève et imparfaite période de l’après élection présidentielle de 1981, les lois sur l’entrée et le séjour des étrangers n’ont eu de cesse d’aller plus avant dans la précarisation du «statut» d’étranger.
La dernière réforme du Ceseda [Code de l’entrée, du séjour des étrangers et des demandeurs d’asile] en 2007 est un des textes les plus discriminant et répressif depuis les lois Pasqua de 1986 qui a mis des milliers de personnes en situation irrégulière.
Outre sa philosophie coercitive, il a vocation à trier les étrangers selon les besoins de l’économie nationale, et à produire des travailleurs malléables, tant leur statut reste précaire.
La circulaire du 22 août 2007 relative aux autorisations de travail met en place un système qui laisse supposer de potentielles régularisations liées au travail salarié, sans les garantir. Est prévu un arsenal restrictif concernant l’emploi des migrants en dépit des principes de non-discrimination, affirmés jusqu’alors par la Constitution. Les critères recensés par cette circulaire restent totalement à l’appréciation des préfectures.
Un arrêté ministériel du 18 janvier 2008 fixe une liste exhaustive des métiers ouverts à l’immigration de travail dans un cadre réglementaire très limitatif, sans oublier les accords bilatéraux passés avec les pays de départ [À titre d’exemple, la France a signé une convention avec le Sénégal, dans laquelle il est prévu d’ouvrir 108 métiers pour 1000 titres de séjour à des Sénégalais].
Dans la même logique, l’Union européenne a pour objectif de contrôler totalement les entrées et sorties des migrants, comme le montre la nouvelle directive votée par le Parlement européen, instituant une durée de rétention pouvant aller jusqu’à dix-huit mois. Quels que soient les textes votés, ils ont le même objectif : tri, contrôle, répression. Les moyens judiciaires pour contrecarrer ces dispositions, bien qu’elles se situent hors de tout respect des droits humains, se réduisent à peau de chagrin : raccourcissement des délais et restriction des modalités de recours, usage abusif du pouvoir discrétionnaire de l’administration, facilitation des arrestations, complexification des procédures de renouvellement des titres de séjour, etc.
À part lutter, que reste-t-il aux sans-papiers, travailleurs ou non, pour défendre leurs intérêts ?
Les grèves
Depuis avril 2008, une grève de travailleurs sans papiers a été lancée à Paris et en région parisienne. Elle concerne plus de 1500 salariés qui réclament leur régularisation, notamment dans les secteurs de la restauration, du bâtiment, du nettoyage et des emplois à domicile. Même si cette lutte consiste parfois à négocier au cas par cas avec les préfectures, alors que la CNT prône la régularisation de tous les sans-papiers, salariés ou non, nous avons tout de même choisi d’y participer afin d’obtenir des papiers pour nos camarades. Voici deux témoignages sur les deux grèves lancées par la CNT-région parisienne.
Le Charlie Birdy, ou comment mettre l’ambiance dans une boîte de nuit
Dimanche 20 avril, des militants de la CNT se retrouvent, avec banderoles, drapeaux, autocollants, affiches et du ravitaillement. L’objectif : occuper la boîte de nuit-bar Charlie Birdy, à deux pas des Champs-Élysées, la «plus belle avenue du monde» pour nombre de Parisiens. On rejoint sur la route nos cinq camarades sans-papiers qui vont demander leur régularisation par cette action.
Sur place, les grévistes s’installent au comptoir et dans des fauteuils avec des militants, pendant que les autres inondent les alentours de propagande CNT : «Français, immigrés, même patron, même combat», «Les travailleurs n’ont pas de patrie, solidarité internationale !» Le gérant, affolé, commence à arracher tout ce qui passe sous sa main, mais notre menace de fermer son restaurant le calme, et le vrai patron ne tarde pas, dûment accompagné par ses amis de la police.
Déçus qu’on ne soit pas des pilleurs, les policiers ne peuvent intervenir dans ce conflit du travail. Le patron, bien que dégoûté, accepte d’emmener les cinq dossiers à la préfecture du 92. Nous, on s’installe pour rester. Les camarades, ne travaillant pas dans ce restaurant mais dans d’autres cuisines de la même chaîne, ont décidé de l’occuper sans le bloquer. On se fait une place dans un coin bien voyant à l’entrée, celui où se trouvent les canapés, quelques tables et des fauteuils.
Pour le ravitaillement, les gens qui passent achètent des bricoles pour dépanner, et quelques camarades font des grosses courses qui permettent de tenir plusieurs jours.
Pour l’occupation, c’est plus dur. Le bar ferme à 5 heures du matin toutes les nuits. Les plus fatigués descendent dormir dans une pièce au sous-sol que nous nous sommes réservée. Pendant ce temps, il faut que des camarades occupent le haut, avec la musique de merde à fond, la clientèle qui découvre la grève et les alcooliques à éloigner de nos canapés. Après 5 heures, ce sont le nettoyage et les livraisons. C’est épuisant.
Aujourd’hui, la grève est levée. Après quarante-sept jours d’occupation, Moussa, Souleymane et Madikoulé ont obtenu leurs papiers. Reste Hadji et Simbala, que la préfecture n’a pas voulu régulariser. La lutte continue !
Le PastaPapá, un restaurant autogéré entre les Champs et l’Élysée
Le 20 mai, une nouvelle vague de grèves et d’occupations déferlait sur l’Île-de-France. Huit cuisiniers sans papiers, soutenus par Solidaires et la CNT, occupaient le restaurant du fondateur de la chaîne qui les emploie depuis de nombreuses années : PastaPapá, situé près des Champs-Élysées, à quelques centaines de mètres du Market, du Charlie Birdy, du Quick ou du Bistro romain, eux aussi occupés.
Le début de l’occupation a été difficile. Le patron s’est emporté, a hurlé, bousculé des camarades, brisé des chaises, cherché à intimider les grévistes. Le lendemain, changement de tactique : le taulier décidait de pratiquer un lock-out. En quelques heures, il a vidé le restaurant, bloqué l’accès aux toilettes, coupé l’électricité, et est parti…
Débarrassés de lui, nous nous sommes organisés. Ménage, courses, cuisine, les grévistes planifient les tâches quotidiennes. Les journées étaient rythmées par l’AG du soir, où grévistes, syndicats et soutiens s’échangeaient les infos, décidaient des actions des jours suivants, tant sur le plan juridique (suivi des dossiers) que sur l’alimentation de la caisse de grève (concerts, manifestations de soutien). Des collectes de nourriture dans les quartiers plus populaires ont bien fonctionné, et les grévistes ont préparé les repas pour les occupants et les camarades du Charlie Birdy.
Après trois semaines, une décision de justice nous a contraints à signer un protocole d’occupation moins favorable. Le patron a rouvert son restaurant, mais à chaque service, des camarades sont aux côtés des grévistes. Au bout de quatre semaines de lutte, quatre grévistes ont obtenu un récépissé de trois mois assorti d’une autorisation de travailler. Un premier pas. Finalement suivi d’une victoire : les huit camarades en grève ont tous réussi à obtenir leur titre de séjour d’un an en août.
Il est trop tôt pour tirer un bilan de cette lutte, mais les grévistes du Charlie Birdy et du PastaPapá nous ont montré un bel exemple de détermination, de solidarité en étant acteurs de leur lutte. C’est encourageant, car la lutte va continuer : une fois le sésame de la carte de séjour obtenu, il s’agit de s’intéresser aux conditions de travail des camarades. Certains patrons n’ont pas fini d’entendre parler des chats noirs !
Nil pour le Secrétariat International
et Jessie et Brice pour la Commission Travailleurs Migrants
Confédération nationale du Travail, 8 octobre 2008.