La question sonore du sommeil
Rentrée 2008 à Montpellier
C’est un épisode dans l’histoire de l’embourgeoisement du centre-ville, une histoire dont les plus grosses racines sont dans le projet «Grand Cœur» de la municipalité. Il s’agit d’une opération de réhabilitation du centre-ville historique et de ses premiers faubourgs : Beaux-Arts, Boutonnet, Arceaux, Figuerolles, Clemenceau, Boulevard Henry IV… Au cours de ces dernières années, la transformation a été brutale et spectaculaire : piétonnisation, tramway, pavage des rues, arrêtés anti-mendicité, vidéosurveillance, éloignement des commerces d’arabes au profit de boutiques à touristes et bobos.
La composition sociale du Grand Cœur n’est déjà plus la même. La mairie a beau se vanter de faire 20% de réhabilitations sociales, il faut savoir qu’auparavant les taudis étaient à 100% destinés aux pauvres. Du reste, le système des attributions contrôlé par Mme Frêche est surtout utilisé pour récompenser la clientèle électorale. Au moins 80% des nouveaux logements vont donc aux riches et bobos, de plus en plus nombreux. Étudiants, gitans et autres pauvres sont de plus en plus rares.
Ces dernières années, de nombreux squats ont subi le rouleau compresseur, avec parfois des expulsions sans décision de justice pratiquées même par les institutions (CROUS, Mairie…). De mémoire et je suis loin d’avoir connu tous les squats (la plupart d’entre eux se cachent du mieux possible, ce qui se comprend) : rue Boutonnet en 2001 (devenu foyer-prison pour mères isolées), rue Pasteur et rue du faubourg saintJaumes en 2002 (lieux qui restent encore vides), route de Lodève, place Rondelet, quartier des Beaux-Arts et rue du Puits des Esquilles (dont le rez-de-chaussée est devenu bar branché) en 2003, rue du Cheval Blanc et un derrière la gare en 2004, rue du Refuge et rue de la Croix d’or en 2005 (toujours vide), rue Boyer, rue du Père Bonnet, rue de Suez et route de Mende en 2006, encore rue de la Croix d’or, rue de l’Abbé de l’Épée, rue Boutonnet en 2007, et en 2008 au moins une expulsion route de Mende.
Mais revenons au problème qui nous occupe : celui de la transformation sociale du centre-ville. En effet un conflit est apparu à cause des rassemblements nocturnes qui se déroulent sur les places du centre-ville. Lorsque les bars ferment (1 heure l’hiver, 2 heures l’été), nombreuses sont les personnes qui peuvent vouloir profiter de la douceur qui règne dans une ville où d’après une campagne de pub municipale «le soleil ne se couche jamais». On discute, on joue de la musique, on boit et on mange, on jongle, on danse… De plus en plus tard et de plus en plus nombreux à mesure qu’approche le week-end.
Et bien c’est cela qui est intolérable pour la nouvelle population bourgeoise du centre-ville. Elle travaille, elle ! Elle doit dormir ! Et la musique et les cris festifs sont comme une insulte.
«Comment donc Moi je travaille, je me lève tôt, je subi les humiliations de mon chef sans broncher et je paie mes impôts pour que la chienlit feignante fasse la fête sous mes fenêtres ?»
Et voilà comment la guerre a commencé. Ce n’est pas pour rien que la droite ne représente que 30% des votes dans la ville : la plupart des réacs sont contents. Peut-être 200 ou plus caméras scrutent les rues, les trams, les bâtiments publics et surtout les places. Une brigade anti-tags sillonne le centre-ville tous les jours et est disponible pour le reste de la ville. L’urbanisme est mis à profit avec par exemple la transformation de la fontaine des trois grâces sur la place de la Comédie pour enlever le muret qui en faisait le tour et permettait de s’asseoir, avec en complément l’installation d’un bar sur les marches de l’opéra. La place Jean Jaurès a connu elle aussi le coup du muret supprimé et on voit comment l’ancien lieu préféré des noctambules a été spectaculairement transformé.
D’ailleurs, chaque place a eu au moins droit à sa caméra : saintRoch, sainteAnne, Canourgue, Peyrou, saintPierre, Notre dame des Tables, Ursulines, les trois places autour de la Préfecture… En 2006, il ne manquait plus que la place Candolle. Cette place était la plus symbolique de toutes, étant par exemple le lieu d’arrivée du Carnaval inorganisé qui se déroule chaque mardi gras depuis bientôt 15 ans (la Mairie avait supprimé le carnaval des corporations (dont la vinicole) dans les années 80). Place Candolle avait cette particularité d’ajouter à un muret une série de bancs, placés par deux en forme de L, facilitant discussions et rencontres.
L’hiver 2006-2007, les interventions policières violentes pour stopper les rassemblements nocturnes se sont multipliées, de une à plusieurs fois par semaine. La population noctambule a tenté de continuer à revenir inlassablement, puis elle s’est déplacée vers la place de la Canourgue où les riverains ont immédiatement hurlé dans la presse aux «bruit et l’odeur». Depuis, chaque intervention violente a tendance à déplacer le problème d’un endroit à l’autre : saintRoch, sainteAnne et le Peyrou sont les endroits les plus fréquentés. Chaque soirée officielle (fête de la musique, quartiers libres, festival des fanfares, beaujolais nouveau…) se termine à coups de matraques et gaz lacrymogène dès la sonnerie du couvre-feu (1 heure du mat’ si possible, après ça se poursuit dans les rues plus ou moins tard…). La place Candolle a été réhabilitée : caméra et suppression d’un banc sur deux pour supprimer chaque L. Depuis deux ans, la police occupe quasi militairement cette place toute la durée du Carnaval (n’osant tout de même pas empêcher un tel déferlement festif).
La question est de savoir pourquoi le travail du riverain serait plus important que le plaisir festif du noctambule ? Où est-il écrit qu’il est interdit de faire la fête en dehors des endroits spécialement prévus à cet effet, réservés à ceux qui ont une voiture et de l’argent ? La Mairie aimerait bien éloigner la population festive, mais les berges du Lez se plaignent déjà de la seule animation de leur quartier de l’année : le festival de sports extrêmes. Alors quoi ? On devrait aller se perdre à Grammont, alors que les cités universitaires sont exactement de l’autre côté de la ville et qu’il n’y a aucun tram de nuit (sans parler que même un abonné doit avoir du mal à supporter les contrôles proto-miliciens pratiqués) ?
On pourrait aussi se dire que les nouveaux habitants qui sont venus s’installer auraient dû s’installer en considérant qu’un appartement à côté d’une place est certes plus cher du fait de la jolie vue offerte, mais qu’il y aura aussi des inconvénients qui font baisser le prix : le bruit. C’est la même chose avec les logements près de gares, aéroports, décharges, usines diverses et variées… Les habitants, au lieu de se plaindre du bruit, devraient se plaindre du prix qu’ils payent pour un logement si mal situé, réclamer des doubles vitrages ou le remboursement des somnifères, mais nous foutre la paix !
Le 7 octobre au matin, une personne sera convoquée au Tribunal pour répondre d’une accusation d’outrage. Selon l’accusé, il aurait eu cette faiblesse verbale au milieu d’une bastonnade dont il a été victime. Il avait eu le culot de filmer avec son portable le tabassage policier sur les malchanceux qui avaient eu le tord de ne pas rentrer immédiatement chez eux après la fin d’une soirée organisée par la municipalité. À l’entrée de l’été, le pouvoir local signalait violemment aux étudiants restants, aux lycéens enfin en vacances et aux premiers touristes, qu’il est interdit d’être dehors sans consommer.
C’est un épisode dans l’histoire de l’embourgeoisement du centre-ville, une histoire dont les plus grosses racines sont dans le projet «Grand Cœur» de la municipalité. Il s’agit d’une opération de réhabilitation du centre-ville historique et de ses premiers faubourgs : Beaux-Arts, Boutonnet, Arceaux, Figuerolles, Clemenceau, Boulevard Henry IV… Au cours de ces dernières années, la transformation a été brutale et spectaculaire : piétonnisation, tramway, pavage des rues, arrêtés anti-mendicité, vidéosurveillance, éloignement des commerces d’arabes au profit de boutiques à touristes et bobos.
La composition sociale du Grand Cœur n’est déjà plus la même. La mairie a beau se vanter de faire 20% de réhabilitations sociales, il faut savoir qu’auparavant les taudis étaient à 100% destinés aux pauvres. Du reste, le système des attributions contrôlé par Mme Frêche est surtout utilisé pour récompenser la clientèle électorale. Au moins 80% des nouveaux logements vont donc aux riches et bobos, de plus en plus nombreux. Étudiants, gitans et autres pauvres sont de plus en plus rares.
Ces dernières années, de nombreux squats ont subi le rouleau compresseur, avec parfois des expulsions sans décision de justice pratiquées même par les institutions (CROUS, Mairie…). De mémoire et je suis loin d’avoir connu tous les squats (la plupart d’entre eux se cachent du mieux possible, ce qui se comprend) : rue Boutonnet en 2001 (devenu foyer-prison pour mères isolées), rue Pasteur et rue du faubourg saintJaumes en 2002 (lieux qui restent encore vides), route de Lodève, place Rondelet, quartier des Beaux-Arts et rue du Puits des Esquilles (dont le rez-de-chaussée est devenu bar branché) en 2003, rue du Cheval Blanc et un derrière la gare en 2004, rue du Refuge et rue de la Croix d’or en 2005 (toujours vide), rue Boyer, rue du Père Bonnet, rue de Suez et route de Mende en 2006, encore rue de la Croix d’or, rue de l’Abbé de l’Épée, rue Boutonnet en 2007, et en 2008 au moins une expulsion route de Mende.
Mais revenons au problème qui nous occupe : celui de la transformation sociale du centre-ville. En effet un conflit est apparu à cause des rassemblements nocturnes qui se déroulent sur les places du centre-ville. Lorsque les bars ferment (1 heure l’hiver, 2 heures l’été), nombreuses sont les personnes qui peuvent vouloir profiter de la douceur qui règne dans une ville où d’après une campagne de pub municipale «le soleil ne se couche jamais». On discute, on joue de la musique, on boit et on mange, on jongle, on danse… De plus en plus tard et de plus en plus nombreux à mesure qu’approche le week-end.
Et bien c’est cela qui est intolérable pour la nouvelle population bourgeoise du centre-ville. Elle travaille, elle ! Elle doit dormir ! Et la musique et les cris festifs sont comme une insulte.
«Comment donc Moi je travaille, je me lève tôt, je subi les humiliations de mon chef sans broncher et je paie mes impôts pour que la chienlit feignante fasse la fête sous mes fenêtres ?»
Et voilà comment la guerre a commencé. Ce n’est pas pour rien que la droite ne représente que 30% des votes dans la ville : la plupart des réacs sont contents. Peut-être 200 ou plus caméras scrutent les rues, les trams, les bâtiments publics et surtout les places. Une brigade anti-tags sillonne le centre-ville tous les jours et est disponible pour le reste de la ville. L’urbanisme est mis à profit avec par exemple la transformation de la fontaine des trois grâces sur la place de la Comédie pour enlever le muret qui en faisait le tour et permettait de s’asseoir, avec en complément l’installation d’un bar sur les marches de l’opéra. La place Jean Jaurès a connu elle aussi le coup du muret supprimé et on voit comment l’ancien lieu préféré des noctambules a été spectaculairement transformé.
D’ailleurs, chaque place a eu au moins droit à sa caméra : saintRoch, sainteAnne, Canourgue, Peyrou, saintPierre, Notre dame des Tables, Ursulines, les trois places autour de la Préfecture… En 2006, il ne manquait plus que la place Candolle. Cette place était la plus symbolique de toutes, étant par exemple le lieu d’arrivée du Carnaval inorganisé qui se déroule chaque mardi gras depuis bientôt 15 ans (la Mairie avait supprimé le carnaval des corporations (dont la vinicole) dans les années 80). Place Candolle avait cette particularité d’ajouter à un muret une série de bancs, placés par deux en forme de L, facilitant discussions et rencontres.
L’hiver 2006-2007, les interventions policières violentes pour stopper les rassemblements nocturnes se sont multipliées, de une à plusieurs fois par semaine. La population noctambule a tenté de continuer à revenir inlassablement, puis elle s’est déplacée vers la place de la Canourgue où les riverains ont immédiatement hurlé dans la presse aux «bruit et l’odeur». Depuis, chaque intervention violente a tendance à déplacer le problème d’un endroit à l’autre : saintRoch, sainteAnne et le Peyrou sont les endroits les plus fréquentés. Chaque soirée officielle (fête de la musique, quartiers libres, festival des fanfares, beaujolais nouveau…) se termine à coups de matraques et gaz lacrymogène dès la sonnerie du couvre-feu (1 heure du mat’ si possible, après ça se poursuit dans les rues plus ou moins tard…). La place Candolle a été réhabilitée : caméra et suppression d’un banc sur deux pour supprimer chaque L. Depuis deux ans, la police occupe quasi militairement cette place toute la durée du Carnaval (n’osant tout de même pas empêcher un tel déferlement festif).
La question est de savoir pourquoi le travail du riverain serait plus important que le plaisir festif du noctambule ? Où est-il écrit qu’il est interdit de faire la fête en dehors des endroits spécialement prévus à cet effet, réservés à ceux qui ont une voiture et de l’argent ? La Mairie aimerait bien éloigner la population festive, mais les berges du Lez se plaignent déjà de la seule animation de leur quartier de l’année : le festival de sports extrêmes. Alors quoi ? On devrait aller se perdre à Grammont, alors que les cités universitaires sont exactement de l’autre côté de la ville et qu’il n’y a aucun tram de nuit (sans parler que même un abonné doit avoir du mal à supporter les contrôles proto-miliciens pratiqués) ?
On pourrait aussi se dire que les nouveaux habitants qui sont venus s’installer auraient dû s’installer en considérant qu’un appartement à côté d’une place est certes plus cher du fait de la jolie vue offerte, mais qu’il y aura aussi des inconvénients qui font baisser le prix : le bruit. C’est la même chose avec les logements près de gares, aéroports, décharges, usines diverses et variées… Les habitants, au lieu de se plaindre du bruit, devraient se plaindre du prix qu’ils payent pour un logement si mal situé, réclamer des doubles vitrages ou le remboursement des somnifères, mais nous foutre la paix !
Le 7 octobre au matin il y a donc un procès concernant la répression de nos virées nocturnes. Il y en a eu d’autres, il y en aura d’autres. La question est de savoir comment s’organiser pour continuer à faire la fête en minimisant le risque de répression. Par exemple, rester groupé en cas d’interventions policières, aider les gens que tentent d’arrêter les flics, avoir des foulards, du jus de citron et du sérum physiologique pour supporter plus facilement les lacrymogènes. Se déplacer en groupe, en continuant à faire la fête, vers d’autres places où on nous foutra peut-être la paix pour ce soir là. Être solidaires des personnes arrêtées. C’est pour ça qu’il y aura un rassemblement le 7 devant le tribunal.
La veille, le 6 octobre à 18 heures, librairie Scrupule (quartier Figuerolles), il y aura une réunion de la Caisse de soutien Kalimero sous le soleil, qui a pour but d’aider ce qu’elle appelle les «inculpés de la guerre sociale». Cette réunion publique sera l’occasion de faire le point sur la répression actuelle dans divers domaines (squats, fichage ADN, sans-papiers, etc.).