Pour des services d'utilité publique autogérés et égalitaires
Nous sommes régulièrement amenés à défendre les services publics. Pourtant cette notion est très liée à une forme d’organisation sociale et politique autoritaire. Loin de correspondre à un projet autogestionnaire, la création des services publics a largement œuvré à déposséder le mouvement ouvrier de ses capacités d’initiatives et d’entraide, au profit de la délégation et de l’assistanat [Voir : «Instruire pour révolter, Fernand Pelloutier et l’éducation», Grégory Chambat, Brochure syndicaliste no 12, Éditions CNT-RP]. Comme le précise Serge Halimi, «la régulation du capitalisme par l’État ne doit rien à une générosité des classes possédantes. Le capital a dû, pendant un temps, faire des concessions, s’il voulait éviter l’explosion [Le Grand bond en arrière, Serge Halimi, Fayard]».
Des concessions d’ailleurs bien imparfaites, car les services publics fonctionnent trop souvent au bénéfice des classes sociales les plus favorisées : sélection scolaire, santé hors de portée des petites bourses et, dans les transports, une répression tellement féroce qu’elle mène les plus pauvres en prison [Depuis la loi de sécurité quotidienne de 2001, le fait de cumuler plus de dix amendes non payées sur une durée de douze mois est passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende].
Centralisme et hiérarchie
«Actuellement il suffirait, face à un mouvement insurrectionnel, de couper l’alimentation au départ de quelques centrales pour plonger des villes ou des régions séditieuses dans l’obscurité. Car on touche ici au coeur de la question : l’État est fondamentalement une machinerie militaire, centralisée, hiérarchisée et excluant tout débat ouvert au profit de la décision secrète. Et le fameux service public issu du compromis de 1946 n’a jamais cessé de fonctionner sur ce mode [Citation d’un article intitulé «Au service du public», d’Alèssi Dell’Umbria, extrait du dossier sur les services publics de la brochure Offensive libertaire et sociale, no 5, janvier 2006].» Si les fonctionnaires «bénéficient» de la sécurité de l’emploi [Une sécurité somme toute relative, car les fonctionnaires n’échappent aux risques de sanctions disciplinaires, voire de radiation, s’ils ne se soumettent pas aux devoirs qui régissent leur statut], ils sont pour la plupart soumis à l’obéissance hiérarchique. Le nombre assez faible de mouvements de grève et la relative indifférence des personnels face aux attaques actuelles témoignent du fait que ces derniers sont habitués à ce que les décisions qui les concernent leur échappent. Et les évolutions actuelles légitiment des pratiques managériales [Voir «La modernisation de l’évaluation dans la fonction publique territoriale : véritable entreprise de dressage des fonctionnaires», La Sociale ! no 8, mars 2007], qui accentuent l’individualisation, la performance et l’infantilisation des agents.
L’absence de projet commun
Ces évolutions renforcent l’opposition entre usagers [Nous revendiquons le terme d’usager plutôt que celui de client. Pourtant, comme le réclame Geneviève Patte, ancienne bibliothécaire à la bibliothèque la Joie par les livres à Clamart, nous pourrions plutôt défendre la notion de membre ou d’adhérent, bien plus proche d’un projet autogestionnaire] et salariés. Dans les médiathèques municipales, les mesures répressives se multiplient : pénalités de retard, système antivol, vigiles à l’entrée, exclusion, etc. Les règlements intérieurs dans de nombreux services publics, qui se résument bien souvent à une liste d’interdictions, sont également révélateurs de cette défiance de l’institution vis-à-vis des usagers. Ce type de relation est lié à l’absence de projet commun.
La loi de l’offre et de la demande, ainsi que le résultat après investissement dictent de plus en plus nos pratiques, calquées sur celles des entreprises du CAC 40.
Construisons l’alternative
Il ne s’agit pas ici de négliger les conséquences qu’entraîne la disparition actuelle des services publics au profit de la privatisation et surtout de la marchandisation croissante de tous les rapports humains. Bien au contraire, il s’agit d’anticiper sur de véritables alternatives qui puissent être réellement au bénéfice de tous.
Par exemple, depuis quelques années, à Paris, plusieurs usagers des transports en commun, tous membres du collectif RATP [Réseau pour l’abolition des transports payants (RATP), 145 rue Amelot, 75011 Paris], ont mis en œuvre une mutuelle de sans tickets. Cette caisse permet de rembourser les frais d’amendes des adhérents qui ont décidé d’avoir un accès gratuit aux transports. Car l’autogestion commence par là : décider plutôt que d’être consultés.
L’État se fiche de nos conditions de vie. La solitude, la pauvreté et la difficulté de vivre de beaucoup d’entre nous sont là pour en témoigner. Pour que le cours de nos existences nous échappe moins, prenons-les en main.
Emmanuelle - Santé-Social RP
Le Combat syndicaliste no 332, octobre 2008
Organe de presse de la Confédération nationale du Travail.