Les secrets de la psychogéographie
On a déjà parlé ici à plusieurs reprises des démarches psychogéographiques et des auteurs qui y sont associés. Cette approche sensible des univers urbains n’a en soi pas révolutionné les sciences sociales comme on aurait pu l’espérer, ni représenté la piste de développement que lui prédisaient les situationnistes, Guy Debord en tête. Ce dernier, s’il n’en a pas été l’inventeur à proprement parler, l’a positionné d’emblée comme une des pierres angulaires de sa révolution situationniste, l’une des manières réellement différentes d’appréhender le réel et qui pourraient mettre à jour pour l’homme contemporain le sens caché des choses. Dans cette définition, Debord dit les choses assez clairement pour qu’on n’ait pas envie de le paraphraser.
«Le mot psychogéographie, proposé par un Kabyle illettré pour désigner l’ensemble des phénomènes dont nous étions quelques-uns à nous préoccuper vers l’été de 1953, ne se justifie pas trop mal. Ceci ne sort pas de la perspective matérialiste du conditionnement de la vie et de la pensée par la nature objective. La géographie, par exemple, rend compte de l’action déterminante de forces naturelles générales, comme la composition des sols ou les régimes climatiques, sur les formations économiques d’une société et, par là, sur la conception qu’elle peut se faire du monde. La psychogéographie se proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. L’adjectif psychogéographique, conservant un assez plaisant vague, peut donc s’appliquer aux données établies par ce genre d’investigation, aux résultats de leur influence sur les sentiments humains, et même plus généralement à toute situation ou toute conduite qui paraissent relever du même esprit de découverte.» — Guy Debord, [Introduction à une critique de la géographie urbaine], 1955.
Sans surprise, la France est passée à côté de cette nouvelle «science», ne laissant que peu de traces, en dehors du mouvement, d’éventuels cas pratiques. Il faut se tourner en Angleterre, encore et toujours, pour lire des choses intéressantes sur ce thème passionnant et notamment considérer ce qui a été fait par plusieurs auteurs (qu’on aime bien) autour de la ville de Londres. Iain Sinclair, le premier d’entre eux, le plus appliqué et le plus doué, a marché dans les pas de John Betjeman et produit une véritable psychogéographie de Londres à travers un itinéraire quartier par quartier (le plus connu étant son livre sur Whitechapel et l’East End), une évocation de la mythologie de la M25 (la grande autoroute, omniprésente chez Ballard et d’autres) et surtout un recueil de textes monumental sorti il y a un an ou deux maintenant et baptisé : London, city of disapearances (aucun n’a été traduit à ma connaissance).
Sinclair y coordonne des interventions romancées, chroniques, nouvelles, poèmes écrits par un tas de gens bien comme Ballard, évidemment, mais aussi ses amis intimes, le vieux Moorcock ou bien sûr Will Self. Ce dernier, qui s’est amusé dans son Livre de Dave (bientôt traduit) à imaginer un Londres devenu tout à fait autre chose après une catastrophe naturelle et quelques siècles d’histoire, a aussi livré, dans ce registre, un indépassable ouvrage illustré par Ralph Steadman et qui reprend notamment un très beau trajet à pied entre l’aéroport de New York et son centre-ville, autant dire un cheminement que personne n’avait fait à pied depuis des lustres. L’écrivain anglais, pour ceux que ces thèmes intéressent, tient aussi colonne dans The Independent pour lequel il signe régulièrement quelques pieds intitulés «Psychogeography» et qui constituent, avec certaines séquences de William Vollmann, les plus beaux et vigoureux exemples de mise en œuvre de cette pensée fructueuse. L’enjeu représenté par la lecture des territoires urbains (les routes, les magasins, les quartiers, les parcs) est, pour les sciences, et pour la littérature, peut-être l’un des plus importants qui soit.
«Le mot psychogéographie, proposé par un Kabyle illettré pour désigner l’ensemble des phénomènes dont nous étions quelques-uns à nous préoccuper vers l’été de 1953, ne se justifie pas trop mal. Ceci ne sort pas de la perspective matérialiste du conditionnement de la vie et de la pensée par la nature objective. La géographie, par exemple, rend compte de l’action déterminante de forces naturelles générales, comme la composition des sols ou les régimes climatiques, sur les formations économiques d’une société et, par là, sur la conception qu’elle peut se faire du monde. La psychogéographie se proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. L’adjectif psychogéographique, conservant un assez plaisant vague, peut donc s’appliquer aux données établies par ce genre d’investigation, aux résultats de leur influence sur les sentiments humains, et même plus généralement à toute situation ou toute conduite qui paraissent relever du même esprit de découverte.» — Guy Debord, [Introduction à une critique de la géographie urbaine], 1955.
Sans surprise, la France est passée à côté de cette nouvelle «science», ne laissant que peu de traces, en dehors du mouvement, d’éventuels cas pratiques. Il faut se tourner en Angleterre, encore et toujours, pour lire des choses intéressantes sur ce thème passionnant et notamment considérer ce qui a été fait par plusieurs auteurs (qu’on aime bien) autour de la ville de Londres. Iain Sinclair, le premier d’entre eux, le plus appliqué et le plus doué, a marché dans les pas de John Betjeman et produit une véritable psychogéographie de Londres à travers un itinéraire quartier par quartier (le plus connu étant son livre sur Whitechapel et l’East End), une évocation de la mythologie de la M25 (la grande autoroute, omniprésente chez Ballard et d’autres) et surtout un recueil de textes monumental sorti il y a un an ou deux maintenant et baptisé : London, city of disapearances (aucun n’a été traduit à ma connaissance).
Sinclair y coordonne des interventions romancées, chroniques, nouvelles, poèmes écrits par un tas de gens bien comme Ballard, évidemment, mais aussi ses amis intimes, le vieux Moorcock ou bien sûr Will Self. Ce dernier, qui s’est amusé dans son Livre de Dave (bientôt traduit) à imaginer un Londres devenu tout à fait autre chose après une catastrophe naturelle et quelques siècles d’histoire, a aussi livré, dans ce registre, un indépassable ouvrage illustré par Ralph Steadman et qui reprend notamment un très beau trajet à pied entre l’aéroport de New York et son centre-ville, autant dire un cheminement que personne n’avait fait à pied depuis des lustres. L’écrivain anglais, pour ceux que ces thèmes intéressent, tient aussi colonne dans The Independent pour lequel il signe régulièrement quelques pieds intitulés «Psychogeography» et qui constituent, avec certaines séquences de William Vollmann, les plus beaux et vigoureux exemples de mise en œuvre de cette pensée fructueuse. L’enjeu représenté par la lecture des territoires urbains (les routes, les magasins, les quartiers, les parcs) est, pour les sciences, et pour la littérature, peut-être l’un des plus importants qui soit.
Fluctuat, 23 septembre 2008.