La communauté du Schrottbar, à Bienne, loin du nomadisme mais fière de sa liberté
Au fil des années, le Schrottbar s’est imposé, non sans mal, dans le paysage local. Une trentaine de personnes constituent une communauté, autonome et débrouillarde.
Les roulottes du Schrottbar sont installées à proximité des bretelles d’autoroute à l’est de la ville de Bienne. À l’entrée, une créature de métal rouillé garde le passage et rappelle au visiteur que Schrott, en allemand, signifie «ferraille». Un chemin de caillasse s’enfonce dans un décor évoquant un film de science-fiction post-apocalyptique. Motos de cross, minibus, poids lourds, voitures et antiques tracteurs Hürlimann sont stationnés entre les roulottes multicolores, dans lesquelles vit la trentaine de personnes qui forment la communauté.
Les habitants, vêtus de noir, «piercés» et tatoués, vaquent à leurs occupations : certains bavardent en buvant une bière dans la moiteur de cette soirée d’été, d’autres réparent un véhicule. Il faut dire que les occupants des lieux sont débrouillards. Maniant le chalumeau, la scie et la truelle, ils se sont aménagé un véritable village, avec tout le nécessaire pour subsister. Leurs maisons ambulantes tout confort sont reliées au réseau électrique et à internet, elles sont équipées de cuisinières et sont chauffées l’hiver. Une roulotte douche-wc-laverie sert de sanitaires à la collectivité.
«Mad Max nous fascinait»
C’est au début des années 1990 que Niku et quelques amis ont décidé de mettre sur pied une cuisine populaire dans un immeuble vide situé derrière la gare de Bienne. Le bâtiment ne permettant pas d’héberger tout le monde, ils choisirent d’occuper les alentours avec des roulottes. «On était fasciné par ce mode d’existence, on voulait aussi construire des sculptures et des objets avec du métal, on avait envie de vivre comme Mad Max !»
Pour Joséphine, qui n’a pas encore élu définitivement domicile au Schrottbar, ce type d’habitat réunit plusieurs avantages. «En plus d’être mobile, tu es libre de t’organiser comme tu veux. Chacun possède sa roulotte, la décore et l’emménage comme bon lui semble. Ce n’est pas comme dans un appartement, où il faut demander la permission au propriétaire pour visser quelque chose au mur.» Anet, la doyenne du camp avec ses quarante ans passés, ajoute : «Quand tu squattes des maisons, tu n’as pas fini les rénovations que tu te fais déjà évacuer. Pour cette raison, il y a un avantage certain à vivre dans des roulottes.»
Les déménagements
En presque vingt ans d’existence, le Schrottbar a vécu son lot d’expulsions. Huit déménagements successifs dans la région biennoise l’ont amené à élire temporairement domicile sur un parking, sous un pont d’autoroute, dans des entrepôts et sur le site d’une ancienne décharge publique. Le terrain actuel est loué à la municipalité pour une période de neuf ans. Mais cette relative sécurité ne semble pas exclure les mauvaises surprises. «Nous venons d’apprendre que nous devrons à nouveau bouger, alors que cela ne fait pas une année que nous sommes à cet endroit», déplore Niku. Le canton désirant installer un dépôt d’engins de chantiers, demande de changer l’orientation du camp. Il ajoute : «Mais ce dont les autorités ne se rendent pas compte, c’est que, pour nous, cela revient au même de nous déplacer de cinq mètres ou de déménager à l’autre bout de la ville. Nous avons enterré les câbles électriques, construit des jardins. Il faudra tout arracher.»
Une vie nomade ?
Bien que logeant dans des caravanes, les habitants du Schrottbar n’aspirent pas pour autant à une vie nomade. «J’ai toujours eu besoin de me fixer, pouvoir rentrer à la maison après un voyage», commente Niku. C’est pourquoi la communauté a toujours recherché un lieu où elle pourrait s’installer à long terme afin de vivre pleinement son idéal. «En plus, nous travaillons tous dans les environs, cela ne serait pas compatible avec des déplacements incessants.»
Côté professionnel, les habitants exercent diverses activités lucratives. «Si on schématise, les hommes travaillent en été sur les scènes des festivals ou sur des chantiers, les femmes, pour leur part, gagnent leur vie au Sleep-in (une auberge d’urgence pour des personnes sans toit) et à la cuisine populaire», explique Anet. La communauté abrite aussi de nombreux musiciens et une artiste de cirque. Beaucoup de temps est investi dans la réfection des roulottes, la récolte de bois et l’emménagement du site. Ici, on achète le minimum, on répare, on récupère, et les compétences sont partagées. Joséphine s’enthousiasme : «De cette façon, nous n’avons dû engager personne pour installer la plomberie et l’électricité, vu que plusieurs d’entre nous ont les connaissances nécessaires pour le faire.» Elle ajoute : «Nous avons choisi de vivre autrement pour ne pas participer à toute cette consommation effrénée qui nous entoure. Quand nous pouvons construire quelque chose nous-mêmes, on le fait.»
Rapports avec la population
Au fil des années, le Schrottbar s’est imposé dans le paysage local. Même si, comme le regrette Joséphine, «il y a toujours, chez certains, de la jalousie à l’égard des personnes qui s’organisent pour ne pas payer de loyer». Niku relativise en expliquant que la plupart des gens les acceptent et tendent même la main dans leur direction : «Ils nous ont invités officiellement à construire un char pour la braderie. On n’en revenait pas.»
Pour que la méfiance et les préjugés à leur égard disparaissent, il aura fallu du temps et aussi un engagement actif de leur part en vue d’obtenir des soutiens. «Nous avons contacté la presse, organisé une journée portes ouvertes durant laquelle nous avons montré notre mode de vie aux politiciens, nous avons aussi lancé une pétition de soutien, qui a recueilli plus de trois mille signatures», raconte Anet. Il semble que ces efforts aient finalement été récompensés, puisque le Conseil municipal, poussé par des motions émanant des milieux de gauche, a dû trouver une solution durable afin que les habitants du Schrottbar puissent continuer à vivre autrement.
Jacques Ducommun - Le Courrier, 2 août 2008.