Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y en aura pas assez pour tout le monde
Mi-juin, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues. De Arlon à Anvers et du Limbourg au Hainaut, la mobilisation fut assez exceptionnelle pour la Belgique.
Des milliers et des milliers de personnes qui en ont marre de devoir gratter les fonds de tiroir pour boucler les fins de mois, marre de voir se rétrécir l’illusion de pouvoir sur leurs vies que le capital avait su leur laisser à travers le «pouvoir d’achat» (il est évidemment des pouvoirs qui arrangent bien le capital), marre de devoir se priver alors qu’ils et elles triment comme des malades, marre de se rendre compte que leurs salaires parvient tout juste à rembourser les emprunts à la banque, marre de voir leurs vies s’écouler avec bien peu de réjouissances…
En certains points, ça part même en échauffourées. Bref, le malaise face à la vie «trop chère» est largement répandu, l’insatisfaction est palpable et elle veut se faire entendre…
Du fric, du mazout, des vacances à Knokke-le-Zout. Vraiment ?
Ces manifestations sont bel et bien une expression de contestation face à une vie de restriction qui mène de plus en plus vers une misère tant financière que jouissive. Elles nous font plaisir parce qu’elles démontrent bien que l’attaque permanente menée par le capitalisme n’est pas toujours acceptée en silence. Il y a une prise de position implicite dans ces rassemblements.
Et pourtant, si l’on comprend jusqu’à un certain point le slogan «du fric, du mazout, des vacances à Knokke-le-Zout» hurlé lors de la manif à Mons, si l’on peut voir d’où vient la banderole «du pognon» déployée à Liège, ces «revendications» nous laissent perplexes, et nous ne nous y retrouvons définitivement pas.
Pour nous, le sentiment qui traverse ces manifs — et ce en quoi nous pouvons nous y reconnaître — c’est un désir ardent pour une qualité de vie. Une volonté de vivre accompagnée du constat que dans la situation actuelle ce n’est pas possible. Et si ce n’est pas possible c’est parce qu’aujourd’hui la qualité de vie est intrinsèquement liée à la possession d’argent.
Payer pour se nourrir, payer pour se loger, pour manger, pour s’habiller, pour «profiter» de son temps «libre», si le capitalisme a bien réussi un tour de force c’est celui d’avoir rendu l’argent indispensable (et ce jusque dans les populations les plus reculées). Voilà comment il a aussi réussi à imposer le travail salarié. Comment il a su s’assurer une main d’œuvre à disposition, en se rendant nécessaire. Car c’est bien pour cela que tant de personnes cherchent du travail. Ce n’est pas pour notre épanouissement personnel que l’on accepte de s’enfermer huit heures par jour dans une activité répétitive. Ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on ne voit plus sa famille, ses amis… que l’on n’a plus vraiment de relations sociales en dehors de notre lieu de travail. Non, soyons honnêtes, tout cela c’est pour ce maudit argent.
Pourtant, cet état des choses ne va pas de soi. Ce n’est pas une fatalité non plus. L’argent n’est pas une chose neutre qui «aurait toujours existé». C’est une volonté politique qui bénéficie à une certaine classe (les possédants) aux détriments des autres. Bref, c’est une logique qui permet la domination des uns sur les autres.
Nous comprenons donc bien que demander plus d’argent ne règlera pas le problème en soi. Pour ceux qui arriveraient à se faire à l’idée de vivre sous la volonté d’autres, cela rendra la domination un peu plus vivable, mais elle sera toujours là, latente, et plus perceptible lorsque l’argent se fera plus rare ou que les possédants auront décidé d’en lâcher moins (comme aujourd’hui).
«Tout système né dans l’oppression se termine dans l’insurrection»
Pour sortir de ce réel problème, il nous faut aussi arrêter de l’envisager dans la logique capitaliste. Ne plus lui demander d’argent, mais s’atteler à sa mise à mort. Car il n’y aura pas d’aménagements satisfaisants d’un système basé sur le chacun pour soi, sur la compétitivité et sur l’exploitation.
Quand nous parlons de qualité de vie, nous ne nous référons en aucun cas aux valeurs bourgeoises. Leurs plans de carrière, leurs standards de vie et le tutti quanti de la vie à Beverly hills nous foutent la nausée et représentent l’ennui de vies sans rêves, sans passions… Vouloir vivre comme des «p’tits bourges» est d’ailleurs un des horizons du capitalisme. Cet horizon qui parvient à gommer en apparences les différences de classe. Les vacances en avion pour tout le monde, l’accessibilité à l’université pour les «défavorisés» (les pauvres quoi ! ), la marchandise disponible pour le plus grand nombre (mais si, si tu fais un effort, toi aussi tu pourras avoir le dernier modèle de GSM), le jeune des cités qui devient stars du foot ou de la TV, le jeune cadre dynamique fils d’ouvrier… Tant d’«avancées» sociales qui restent bien dans le cadre du capitalisme, mais qui ont permis aux intellectuels, aux politiciens et autres gestionnaires d’annihiler toute conscience de classe. Tous ces ersatz d’égalité n’empêchent pas que nous en soyons réduits à des vies de merde ni qu’il y ait encore et toujours des exploiteurs pour tirer profit de la misère des autres.
Quand nous parlons de qualité de vie, nous parlons de reprendre le contrôle sur nos vies. De les arracher des décisions des bureaucrates, des économistes, des bons penseurs et des beaux parleurs. Nous parlons de retrouver le temps et l’espace nécessaire à notre liberté. De pouvoir à nouveau sentir ce qui nous donne réellement envie, de comprendre quels sont nos réels besoins et de se donner les moyens pour les combler. De prendre le temps pour faire des choses socialement inutiles, mais qui nous construisent. De retrouver des complicités, des amitiés et savoir les apprécier à leur juste valeur. Savoir donner du temps à ce vers quoi nous aspirons et ne plus nous laisser imposer un agenda par un extérieur.
Nous ne disons pas que tout sera facile, qu’il n’y aura plus de contraintes, que nous vivrons dans l’harmonie. Non, mais ces obligations découleront de choix que nous aurons posés par et pour nous-mêmes.
Nous n’avons pas de cités idéales à proposer. Nous ne croyons pas au paradis, mais ce qui est sûr c’est que pour beaucoup de personnes l’enfer se fait de plus en plus présent. Le seul moyen d’expérimenter d’autres vies est de se débarrasser de ce système une fois pour toutes. Et les mot seuls nous semblent bien faibles face à la machine qui nous opprime.
Maintenant que nous avons cerné l’ennemi, à nous de l’attaquer là où il est. Dans les patrons, dans les politiciens, dans les urbanistes et dans l’ensemble des gestionnaires de ce monde.
Alors renouons avec une tradition de lutte offensive. Des manifestants scandant : «Et ric et rac, on va sketter l’baraque. Et rac et ric, on va sketter l’boutique.» c’était il y a pas tellement longtemps.
Tout doit partir no 1, juillet 2008
Liquidation totale de ce qui nous détruit.