Au marché de Florac
Le 24 juillet à Florac, place du marché, deux jours après l’expulsion musclée des habitants du Prat Del Ronc, encombrement de cartons, informations, occupation d’une agence immobilière, intervention policière.
Une trentaine de personnes, les bras chargés de meubles et de cartons, circulent difficilement au milieu de la foule compacte de touristes venus découvrir le «rêve lozérien».
Tous pensent voir venir de nouveaux commerçants et de nouvelles marchandises, et pensent au proche plaisir d’accomplir leur rôle : consommer, consommer pour découvrir, consommer pour s’évader.
Mais les cartons ne contiennent aucun de ces fantasmes. Ni éco-marchandises, ni produits de la ferme dans son emballage rustique mais moderne, ni gadgets sophistiqués idéaux pour le camping. C’est la mémoire encore vive de l’expulsion que les nouveaux arrivants expriment sur la place. «Sans-papiers, sans-logis, sans-terres, matraqué-e-s, expulsé-e-s, les citoyens continuent à consommer. Tout est calme, Chut !» L’euphorie mercantile est troublée. Certains, interrompus dans leurs transactions, décideront de fuir pour aller se satisfaire ailleurs. D’autres profiteront des minutes de répit pour se détourner du commerce et s’informer.
Quelques mètres plus loin, la boutique «Causse Cévennes Immobilier» vante paisiblement ses maisons «idéal accueil touristique», «idéal résidence secondaire», «idéal accessibilité», «idéal calme et plaisance». En organisant les transactions de propriétés privées, les agences immobilières prennent une place de choix dans la gestion capitaliste de l’habitat et de l’accès aux terres.
En Cévennes comme ailleurs, le logement est un marché juteux qui doit rapporter toujours plus. Peu importe le reste, c’est le fric qui compte. Surfant sur la vague «nature» qui valorise le capital foncier en campagne, les agences immobilières font leur beurre. Les fermes deviennent des gîtes, les hameaux des résidences pavillonnaires, les terres arables des terrains de camping et des supermarchés : c’est le jeu et ça rapporte. Selon les principes de rentabilité, le tout est proposé à haut prix à ceux qui en ont les moyens. La gestion du foncier, suivant la logique carte-postale, s’accompagne d’une politique de normalisation et d’asceptisation à tout crin : les installations sont ultra-réglementées et contrôlées. Tout le monde doit, de fait, suivre le mouvement. Les habitants sont les esclaves des nouveaux marchés, destinés à assurer le confort des heureux saisonniers (aménagements routiers, télé-communication, tourisme, vente) avec, pour seul espoir, d’acquérir un jour, au terme d’une vie de labeur et de soumission, un lopin de paradis où passer ses vieux jours.
Dans la boutique tout est calme. Inutile de s’inquiéter pour la bonne marche des affaires, pour les sans-logements et ceux qui refusent le chantage : la police est là pour faire régner l’ordre. L’expulsion des mauvais-payeurs et des squatters est nécessaire à leur commerce. Comment réussir leur racket sans menace ? Entendant le récit de cette expulsion, c’est le cœur léger que les marchands peuvent penser à leurs bénéfices. L’éco-bio propagande assure l’image de marque et les profits. Et la répression est là pour dissuader toute manière de vivre non-conforme. Encore une fois, les choses se troublent. L’activité de l’agence est subitement interrompue, pointée du doigt et dénoncée. C’était plus que nécessaire. Pour résoudre ce problème, le propriétaire-patron (Marcel Savajol, président de l’Office du tourisme de Florac-Ispagnac) appelle, comme prévu, la gendarmerie. C’est le sourire aux lèvres qu’arrivent des gendarmes. Eux aussi connaissent leur rôle, tout comme ils le connaissaient deux jours plus tôt en expulsant. Alors qu’à l'abri des regards le pouvoir dévoile toute son abjection et sa violence, en place publique les apparences doivent être sauvegardées. C’est sous une pluie d’invectives que les expulseurs d’hier seront chassés.
Pour organiser le retour au calme des commerçants, des élus, le sous-préfet, et leurs médias se réuniront quelques jours plus tard. Affirmant leurs valeurs (rayonnement économique de la région, nécessité de mesures répressives…), ils espèrent mettre fin à toute contestation. Malgré ce qu’ont pu voir les passants à Florac, et en dépit de nombreuses discussions, la manipulation médiatique commence. L’occupation est re-qualifiée en «séquestration», l’information distribuée devient «pagaille, bousculades et violences», une pétition circule (Midi Libre du 25 et 28 juillet).
La diffamation et les mensonges de ceux qui ont intêret à ce que rien ne change nous accompagnent inévitablement, pour nous isoler, nous marginaliser, et détruire toute solidarité.
Nous continuerons à troubler et dénoncer ce qui nous détruit, nous exploite et veut nous réduire à une survie misérable. S’exprimer, expliquer, porter la contradiction… sont des armes qui nous restent pour mettre à mal ce meilleur des mondes où rien ne déborde.
Un collectif en Cévennes, 31 juillet 2008.