In memoriam Charb
Prologue
Ce texte, je l’adresse à Charb. «Je», c’est moi, Janie Lacoste, par ailleurs membre du comité de soutien à Marina Petrella. J’ai écrit ça sans concertation avec les autres ni avec moi-même, et sans tenir compte de rien sauf de ma colère, ni de personne sauf de toi. Tu m’as pissé ton vinaigre dans l’œil, ça brûle, faut que j’me rince l’âme.
Mon texte, c’est le fait du prince, comme chacun de tes articles et chacun de tes dessins que, j’espère, tu fais «sans concertation, etc.» C’est un beau pouvoir que tu as là, et nous les lecteurs, bons princes, on est contents de voir passer ta liberté. Mais c’est dangereux pour la santé mentale, le pouvoir princier, et là, t’as pété les plombs. Je ne réclame aucune réponse dans ton canard. Je vais me payer un petit tirage, et j’irai avec mon pot de colle en mettre quelques uns sur les murs autour de l’Huma et de Rouge, j’en déposerai quelques exemplaires à l’accueil, et chacun sa route !
Article de Charb
En réaction à l’article de Charb
Les titres auxquels on a échappé :
On ne fait pas d’omelette démocratique sans casser des vies !
Vive le communisme et la vendetta d’État ! (Détournement de Bandiera Rossa, «Drapeau Rouge», chant emblématique du Parti communiste italien, repris par les mouvements contestataires du monde entier, qui proclame «Vive le communisme et la liberté !»).
Aujourd’hui, l’homme Sarko se sent moins à l’aise que toi dans son rôle de justicier de la vingt-cinquième heure. Tant mieux. Tu fais le malin, celui à qui on ne la fait pas, rien ne mérite ton attention, par exemple l’évolution de ses arguments dans ses courriers à Berlusconi, puis à Napolitano, Président de la République italienne, qui a seul (fait du prince) le pouvoir de gracier. Il y fait référence d’abord à l’état de santé de Marina, puis à l’ancienneté des faits, puis au temps passé légalement en France. De quoi s’interroger, il lui suffisait de dire comme Dati : Marina Petrella sera soignée puis extradée, aucun problème. Mais pour toi, Marina est déjà extradée, comme ça tu n’es pour rien dans ce crime (un crime, c’est jamais légitime, si ? On recoupe des têtes ?). Esquive indigne !
Pour des raisons politiques, psychologiques, peut-être à cause des pressions de son entourage, la main du prince tremble un peu. Si c’est une mise en scène, il l’extradera, Marina mourra, on n’y peut rien. Le seul pouvoir qu’on ait, c’est si ce n’est pas encore tout à fait sûr, et il faut donc faire comme s’il pouvait renoncer et appuyer sur les points de déséquilibre. Pas besoin pour ça d’être crétins, de croire que Sarkozy ou Mitterrand sont des Justes. Il s’agit seulement de pousser Sarko à lâcher sa proie. Il en a le pouvoir légal, la clause humanitaire de 1957, imposée par la France aux autres pays européens. Alors, Charb, l’heure n’est pas à faire le dégoûté ni à jouer avec les mots, la bêtise (qui, dans son fond, est la pensée tautologique totalitaire : «C’est comme ça parce que je suis comme ça, vos gueules, ceux que j’aime pas !») c’est pas seulement pour les autres.
L’homme est condamné à être libre : ou compagnon, ou salaud. On a toujours le choix. On peut essayer de fermer la gueule au vieux Sartre en rigolant plus fort qu’il ne parle, mais le nœud coulant de la responsabilité, plus on se tortille pour y échapper, plus il vous serre et moins on respire librement. Tu te sens bien ?
Sarko, salaud, Marina on veut sa peau !
Sarko, tu l’aimes pas et c’est pour ça qu’il t’intéresse. Ben nous c’est pareil, quoique, amour ou détestation des hommes publics, c’est pas là que je prends mes plaisirs. Quand tu parles du fait du prince, on voit aussi ce que tu vois. Mais c’est pas ça, le Prince, en République, c’est le corps de l’appareil d’État, et les pouvoirs du Président en font partie, en toute légitimité. D’ailleurs, il va se les renforcer légalement, ses pouvoirs, Sarkozy, au congrès de Versailles.
Mitterrand a pris seul la responsabilité de l’accueil des activistes italiens, certes, mais il n’a pas fait un coup d’État. Comment sais-tu qu’il n’y a pas eu concertation avec la justice ? (Badinter n’a pas dit ça, il s’est seulement déclaré opposé à cet asile, mais il est clairement contre les expulsions, quelles qu’en soient les modalités légales.) Et avec l’Italie, tu sais ça aussi ? Cette mesure lui a pourtant rendu un fier service en accélérant la fin des troubles et en soulageant une justice et un système pénitentiaire alors au bord de l’explosion, et Mitterrand était plus fin politique que «beau et généreux» ! Ensuite aucun Préfet n’a protesté pour donner leurs papiers aux Italiens réfugiés (il y en reste, t’as pas fini de dominer vaillamment ton effroi et de leur donner l’estocade). Les mairies ont produit les actes de naissance des enfants (Celui d’Emma, la deuxième fille de Marina, ceux des filles de Cesare, par exemple, et il y en reste d’autres. Au fait, ça te dirait de venir leur expliquer quel honneur c’est pour eux d’être un œuf de l’omelette démocratique, quasiment des enfants kamikazes de la République, on pourrait demander d’en faire des pupilles de la Nation, qu’est-ce que t’en penses ?). Marina faisait du travail social et ça te chiffonne, eh bien on ne peut rien pour toi, parce qu’elle l’a fait légalement, avec un contrat de travail de la municipalité, elle l’a fait longtemps, très bien, intelligemment, pour un salaire de peu.
Tu vois, Charb, si tu avais dit quelque chose du genre : «Ça m’emmerde, mais je suis contraint, Moi, Charb, de me joindre à un paquet de gens qui ne sont pas tous mes amis, pour demander à Lui, Sarkozy, de ne pas extrader Marina Petrella en notre nom. J’y suis contraint d’abord parce que ce serait effroyable et que l’effroyable, quand ce n’est pas une calamité naturelle mais le hallali de deux pouvoirs d’État sur une proie ligotée, ça me scandalise, ensuite parce que l’usage de la clause humanitaire de 1957 rappellerait à tous les fanatiques de la Démocratie pénaliste la nécessité d’une régulation de la cruauté d’État. Mais merde, si on y arrive faudra encore que j’éteigne la télé et ferme les journaux le temps que passe Sarkozy posant en Prince magnanime et courageux se pavanant devant un peuple l’âme en guenilles, subjugué, et noyant, une fois de plus, une gauche débordée. Mais le bon là dedans, c’est que ça dégagerait le terrain pour vous foutre sur la gueule, bande de gauchistes guerriers, prêts autrefois à tuer pour la cause et bêlant aujourd’hui du politiquement correct à faire pleurer dans les chaumières et à me faire gerber !»… on encaisserait, et même, quelque part, comme disent les psy de cuisine, une bonne raclée, ça soulagerait. Ton dessin illustrant ton papier du mec des FARC, minable, ridicule, ressemble comme un frère à ma copine Marina, et il me fait marrer. Où on en est arrivé, c’est vrai qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer !
La République n’est pas un dîner de gala ! (Détournement de la formule de Mao «La Révolution n’est pas un dîner de gala» utilisée dans les années 70-80, pour justifier l’usage de la violence dans les mouvements de subversion sociale et politique.)
Tu n’y étais pas, t’es trop jeunet, dans les manifs où s’affrontaient les «El pueblo, unido, jama sera vencido !» du PS-PC Unis de la Gauche et les «El pueblo, armado, jama sera vencido !» de la LCR et des autres mouvements d’extrême gauche. Moi si, j’étais à la LCR et je me suis égosillée gaiement des années durant sur le pavé (celui des lanceurs de pavés, tu sais ?) parisien. C’était l’époque où en Italie des dizaines de groupes rassemblant des dizaines de milliers de militants avaient fait le choix de ce qu’ils appelaient la lutte armée (ne dis pas que c’est pas vrai, parce qu’il y a eu plus de 8000 personnes, la plupart très jeunes, arrêtées et inculpées à ce titre). Rien que les BR rassemblaient des milliers de militants dans leurs structures clandestines… Au fait, où sont-ils ? Souhaitons-leur, sincèrement, belle vie, mais s’abattre, 25 ans après, sur les quelques-uns qu’on tient encore, en les faisant passer pour une poignée de criminels isolés, c’est une vilenie.
Tu es, à ce qu’on m’a dit, militant du PCF. À l’époque, c’était un parti encore profondément Stalinien qui, pour mettre son cul à l’abri des raclées de l’Histoire, entonnait un chant nouveau : «Petit Père ! La Patrie du Socialisme, c’était l’bon temps, Regrets Éternels, mais maintenant t’es vieux, tu pues, tu nous fais la honte. On va t’étouffer sous le moelleux oreiller de nos sentiments citoyens, c’est effroyable mais pas scandaleux, Œdipe, c’est pas fait pour les chiens ! Et on s’en sortira, nous tes enfants, propres comme des sous neufs, Innocents.»
Quarante ans après, toi qui n’y étais pas, tu continues à jouer le puceau, innocent de l’Histoire, Justicier de la République ? T’as peur qu’on te confonde avec quelque méchant terroriste ? Relâche-toi, tout l’monde s’en fout des massacres du Papa des Peuples, comme d’ailleurs du bonheur généreux des Camarades de la banlieue Rouge. Qu’est-ce qui te prend, tu y crois dur comme acier de sabre, à la légalité démocratique ? Moi aussi, elle me botte, la démocratie, mais vivante, concrète, contestable. Sur ta boîte aux lettres personnelle, à Charlie Hebdo, tu as placardé les autocollants du PCF et de la LCR. Alors, Charb, ou tu admets que t’en es, de c’merdier pas toujours beau, qui est le nôtre (et pas celui des fachos), ou tu retires tes oripeaux de gôchau radical rigolo.
Tu es tortionnaire pervers, ou bien idiot, quand tu répètes «ex-terroristes repentis» ? «Ex», trente ans après, tu crois qu’ils ont sept vies, comme les chats, pour exister au présent ? «Terroriste», c’est pas la boîte de Pandore de l’idéologie sécuritaire, terreau des droites, ça ? Il y a eu, au cœur du chaos politique et social de l’époque, plusieurs organisations d’extrême gauche qui ont pensé que la défense du mouvement justifiait le recours ultime à des assassinats ciblés, mais pas à des massacres aveugles caractéristiques des mouvements terroristes contemporains (et des fascistes à la gare de Bologne et Piazza Fontana à Milan). Et «repenti», en italien de l’époque, c’était plus près d’«indic» que du battement de coulpe chrétien. Les repentis ont taillé leur route vers une quasi impunité (au mépris du «droit des victimes»…) en fauchant la vie de leurs camarades. Marina est une rescapée de cette période. Elle en est sortie meurtrie par les coups reçus — entre autres huit ans de prison, enchaînée pendant son accouchement, enfermée 18 mois avec sa petite fille en prison spéciale, puis séparée d’elle pendant quatre ans —, mais aussi par les interrogations intimes sur cette aventure collective et personnelle commencée dans l’espoir d’un monde plus juste et plus jouissif, et terminée si vite dans le sang (le leur autant que celui de leurs victimes), les trahisons et l’enfermement. Elle a toujours refusé le marchandage ignoble du repentir et de la dissociation (légalisés en urgence, respire !). Ni toi ni personne ne sait ce qu’elle y aurait gagné (légalement) ni ce que la responsabilité qu’elle a assumée pour toutes les actions de son organisation lui a fait perdre de possibilités de se défendre personnellement.
Tu comptes te l’accrocher où, sa peau ? Tu devras la partager avec ces vieux ex-communistes staliniens «repentis» de l’ex-PCI (Le repentir lucratif, ils l’ont d’abord testé sur eux-mêmes…) qui ont troqué la violence de leur Prolétarisme totalitaire d’antan contre celle d’un Pénalisme populiste dont ils saoûlent la société italienne, avec la même sauvagerie insatiable, doublée de la même bonne conscience dont on fait les croyants et les murs des prisons (C’est qu’ils sont démocrates modérés, maintenant. Comme on change !), et n’oublie pas d’offrir les restes aux apparatchiks de la moderne Raison d’État relookée par les droites triomphantes, ils les auront bien gagnés !
En avant citoyens, tirons sur l’ambulance !
Je ne sais pas dans quelle culture émotionnelle et politique tu t’es sculpté, Charb, mais tu as l’air de tenir pour évident qu’avec des gens d’extrême droite (là encore tu t’esquives, «extrême droite», c’est à «fasciste» ce que «personne du troisième âge» est à «vieux» ou «employé d’entretien» à «balayeur», juste un cache misère, ici celle de ta position) on se gorgerait de haine vengeresse. Eh bien pas du tout, figures-toi !
Difficile de tailler son chemin dans la forêt de faux problèmes que tu dresses pour décourager d’arriver jusqu’à toi. Un exemple : «Est-ce qu’un ex-terroriste d’extrême droite (cf. plus haut) qui aurait refait sa vie en France susciterait la même sympathie que Marina Petrella ? Qui s’opposerait à son extradition ?»
D’abord, il n’y en a pas, d’ex-terroriste fasciste italien réfugié en France, et la nature ayant horreur du vide, s’il n’y en a pas, c’est parce qu’ils n’en ont pas eu besoin. D’abord parce que la répression a été beaucoup moins, disons efficace, pour ne pas froisser ta sensibilité et celle de tes amis démocrates italiens, que contre l’extrême gauche. Ensuite parce que ceux qui ont fui sont allés en Amérique Latine où ils ont été accueillis par des camarades de l’autre génération. Ils y ont vécu sans ennuis jusqu’ici mais, comme par hasard, au moment où la demande italienne d’extradition de Cesare Battisti arrive au bout de la procédure, un d’entre eux a été arrêté au Brésil. Du coup, tous ceux qui prennent la justice pour l’Inquisition puisque, dans leurs fantasmes infantiles, leurs ennemis ne sont pas des hommes mais des puissances essentiellement maléfiques (tu en es ?), se trouveront justifiés à livrer la peau de Cesare pour qu’un fasciste soit puni.
Mais jouons à faire comme si, puisque tu trouves que c’est le moment, la partie sera brève : on s’opposerait à son extradition, évidemment. Quant à la sympathie, faudrait voir de près ce que cet homme est devenu. On n’a pas tué Dieu pour prendre sa place et je ne crois pas aux monstres par nature.
Après ça s’embrouille, ton raisonnement. Les dictateurs et autres massacreurs, ils n’ont pas été extradés, eux (détail important au moment où Paolo Persichetti l’a déjà subie, où Cesare Battisti attend, du fond d’une geôle brésilienne, un nouvel asile, et où Marina est sous décret d’extradition). On peut réclamer qu’un procès ait lieu, que la vérité soit faite dans des délais et dans des conditions respectant les droits humains et que la peine soit fixée. Son effectuation, elle, est et doit rester adaptée aux circonstances, aménageable et même amnistiable. C’est au cœur des principes d’un droit qui ne prétend pas consoler ni venger les victimes, mais leur rendre justice en qualifiant le crime. Qu’est-ce que tu lui trouves de si mal finalement, à Sarko, il a supprimé la grâce présidentielle pour les «fin de peine» et il se méfie tellement de l’éventuel sentiment d’humanité princier des futurs juges d’application des peines, qu’il rend celles-ci imprescriptibles, il fait légaliser la peine de mort carcérale, et rejoindra sans doute bientôt son ami Berlusconi qui a légalisé l’incarcération des sans-papiers en criminalisant le simple fait de vouloir vivre. Toi qui dis : plutôt l’effroyable, que l’insupportable fait du prince, tu n’es pas content ? Tout sera dans la loi !
Marina a subi cette épreuve de la mise en accusation publique. Elle était présente à chacun de ses procès. Ils se sont faits dans des conditions extrêmes, et la vérité historique de cette époque reste prisonnière des menaces pénales qui pèsent encore sur les protagonistes et ne pourra s’élaborer librement qu’après une amnistie. L’Italie, cousine en cela de la France d’après la guerre d’Algérie (à ceci près qu’il y a eu, en France, une amnistie, beaucoup plus généreuse d’ailleurs pour les militants de l’OAS que pour les porteurs de valises et les pacifistes qui, considérés comme des traîtres à la Patrie, n’ont jamais retrouvé leurs droits civils, ceux par exemple de voter ou d’être fonctionnaires), n’est pas prête à affronter son histoire.
Quant à Papon, je distingue l’acte de comparution devant la justice, de la volonté de jeter en prison un vieillard jusqu’à sa mort, chose répugnante. Je ne vois pas pourquoi il faudrait devenir une brute chaque fois qu’on en croise une, alors qu’on n’a pas la capacité ou le désir de devenir poète quand on en rencontre un.
La suite de ton argumentaire, le crime contre l’humanité, la Syrie, j’en peux plus. Quel rapport entre la complicité avec une machine génocidaire et des arguties de légalité internationale ? Tu finiras ton trip tout seul, bon voyage ! Vas faire un tour en Israël et Palestine, en Afrique du Sud, en Bosnie, ou au Rwanda par exemple, il y a là-bas des douleurs et des affronts ravalés, des crimes impunis, d’une toute autre ampleur et profondeur que ceux qu’a connus l’Italie, et c’est sur cela que renaît un espoir de retour à la paix.
Mais on se retrouve à la fin, je suis d’accord avec la conclusion de ton texte : «Tout ça pour dire (Alors tu aurais dû ne dire que ça !) que les “gestes humanitaires” à la gueule du client (Mais, si j’ai bien lu, les clients qui s’en sont pris plein la gueule, c’est seulement ceux de gauche, non ? Ah si, Papon, j’oubliais ! Il faut lui offrir le corps de Marina pour égayer la solitude de son tombeau ?) ne servent qu’à justifier des injustices à la gueule du client.»
C’est vrai ! … Et alors, il faut les laisser faire une injustice de plus pour qu’il n’y ait de justice pour personne ?
Viva la muerte !
Ce texte, je l’adresse à Charb. «Je», c’est moi, Janie Lacoste, par ailleurs membre du comité de soutien à Marina Petrella. J’ai écrit ça sans concertation avec les autres ni avec moi-même, et sans tenir compte de rien sauf de ma colère, ni de personne sauf de toi. Tu m’as pissé ton vinaigre dans l’œil, ça brûle, faut que j’me rince l’âme.
Mon texte, c’est le fait du prince, comme chacun de tes articles et chacun de tes dessins que, j’espère, tu fais «sans concertation, etc.» C’est un beau pouvoir que tu as là, et nous les lecteurs, bons princes, on est contents de voir passer ta liberté. Mais c’est dangereux pour la santé mentale, le pouvoir princier, et là, t’as pété les plombs. Je ne réclame aucune réponse dans ton canard. Je vais me payer un petit tirage, et j’irai avec mon pot de colle en mettre quelques uns sur les murs autour de l’Huma et de Rouge, j’en déposerai quelques exemplaires à l’accueil, et chacun sa route !
Article de Charb
Brigades rouges un jour, pourchassée toujours
L’Italie réclame l’ex-terroriste des Brigades rouges Marina Petrella. La France va la lui livrer. Condamnée à perpétuité, la jeune femme s’évade et se réfugie en France en 1993. Comme d’autres militants de l’extrême gauche italienne, elle bénéficie de la «doctrine Mitterrand». En échange de la promesse de renoncer à tout activisme politique, ceux qui ont assassiné les valets de la bourgeoisie en Italie (au nom d’un peuple qui n’a rien demandé) peuvent refaire leur vie en France. C’est, comme d’autres, ce qu’a fait Marina Petrella. À 54 ans, elle vivait une vie ordinaire en banlieue parisienne jusqu’à ce que la police française l’arrête. Gravement déprimée, elle attend au service psychiatrique de Fleury-Mérogis qu’on la renvoie purger sa peine en Italie. Ce qui arrive à cette femme est effroyable. Ce n’est pas pour autant scandaleux.
Les partisans de la «doctrine Mitterrand» défendent le fait du prince. Mitterrand, sans concertation, ni avec l’Italie, ni avec la justice française, sans tenir compte de rien ni personne, a accordé une seconde chance à des criminels. C’est beau, c’est généreux, mais ça ne repose sur rien de légal. Mitterrand aurait dû faire voter une loi accordant le droit d’asile aux terroristes repentis. Aujourd’hui, Sarkozy ne serait pas en train de se faire mousser auprès de Berlusconi en renvoyant des ex-membres des Brigades rouges chez eux.
Pour justifier le fait que les ex-Brigades rouges restent chez nous, leurs défenseurs soulignent que Sarkozy est à deux doigts d’accueillir en France des ex-FARC repentis. Il y aurait deux poids deux mesures… Non, c’est le même fait du prince. «Parce que Sarkozy le veut» n’est pas plus supportable que «parce que Mitterrand le veut».
Dans quelques années, un successeur de Sarkozy renverra les ex-FARC finir leur vie de repentis dans une prison colombienne. Et, promis, on pleurera à chaudes larmes.
Maintenant, est-ce qu’un ex-terroriste italien d’extrême droite qui aurait refait sa vie en France susciterait la même sympathie que Marina Petrella ? Qui s’opposerait à son extradition ?
Autre cas de figure : combien de dictateurs ayant fui la justice de leur pays se sont réfugiés en France et ont bénéficié de ce qu’on n’a jamais appelé «la doctrine De Gaulle», «la doctrine Pompidou», «la doctrine Mitterrand», etc. ? Ces braves ordures ne représentaient aucun danger sur notre territoire, l’argent qu’ils ont volé leur a permis de vivre tranquillement, bourgeoisement, le reste de leur vie. Ceux qui s’opposent à ce que Marina Petrella soit extradée s’opposeraient ils à ce que ces dictateurs purgent une peine de prison à perpétuité dans leur pays ? Si la réponse est non, nous avons affaire à une sérieuse contradiction. On retombe sur le «deux poids, deux mesures» dénoncé plus haut. Et Papon, qui n’a pas eu besoin de fuir son pays pour refaire sa vie, Papon, qui ne menaçait l’existence de personne, aurait-on compris qu’on le laisse finir ses jours sans qu’il rende des comptes ? On va dire, c’est pas pareil, Papon a commis un crime contre l’humanité. Chez nous, oui. Il se serait réfugié en Syrie, où ce crime n’est pas reconnu, il n’aurait pas été légitime que la France le réclame ?
Maintenant, si le problème est que la justice italienne est plus pourrie que la française, qu’on se batte pour la faire évoluer ou qu’on milite pour que ce pays atroce soit mis au ban de l’Europe.
Tout ça pour dire que les «gestes humanitaires» à la gueule du client ne servent au pouvoir qu’à justifier des injustices à la gueule du client.
En réaction à l’article de Charb
Les titres auxquels on a échappé :
On ne fait pas d’omelette démocratique sans casser des vies !
Vive le communisme et la vendetta d’État ! (Détournement de Bandiera Rossa, «Drapeau Rouge», chant emblématique du Parti communiste italien, repris par les mouvements contestataires du monde entier, qui proclame «Vive le communisme et la liberté !»).
Aujourd’hui, l’homme Sarko se sent moins à l’aise que toi dans son rôle de justicier de la vingt-cinquième heure. Tant mieux. Tu fais le malin, celui à qui on ne la fait pas, rien ne mérite ton attention, par exemple l’évolution de ses arguments dans ses courriers à Berlusconi, puis à Napolitano, Président de la République italienne, qui a seul (fait du prince) le pouvoir de gracier. Il y fait référence d’abord à l’état de santé de Marina, puis à l’ancienneté des faits, puis au temps passé légalement en France. De quoi s’interroger, il lui suffisait de dire comme Dati : Marina Petrella sera soignée puis extradée, aucun problème. Mais pour toi, Marina est déjà extradée, comme ça tu n’es pour rien dans ce crime (un crime, c’est jamais légitime, si ? On recoupe des têtes ?). Esquive indigne !
Pour des raisons politiques, psychologiques, peut-être à cause des pressions de son entourage, la main du prince tremble un peu. Si c’est une mise en scène, il l’extradera, Marina mourra, on n’y peut rien. Le seul pouvoir qu’on ait, c’est si ce n’est pas encore tout à fait sûr, et il faut donc faire comme s’il pouvait renoncer et appuyer sur les points de déséquilibre. Pas besoin pour ça d’être crétins, de croire que Sarkozy ou Mitterrand sont des Justes. Il s’agit seulement de pousser Sarko à lâcher sa proie. Il en a le pouvoir légal, la clause humanitaire de 1957, imposée par la France aux autres pays européens. Alors, Charb, l’heure n’est pas à faire le dégoûté ni à jouer avec les mots, la bêtise (qui, dans son fond, est la pensée tautologique totalitaire : «C’est comme ça parce que je suis comme ça, vos gueules, ceux que j’aime pas !») c’est pas seulement pour les autres.
L’homme est condamné à être libre : ou compagnon, ou salaud. On a toujours le choix. On peut essayer de fermer la gueule au vieux Sartre en rigolant plus fort qu’il ne parle, mais le nœud coulant de la responsabilité, plus on se tortille pour y échapper, plus il vous serre et moins on respire librement. Tu te sens bien ?
Sarko, salaud, Marina on veut sa peau !
Sarko, tu l’aimes pas et c’est pour ça qu’il t’intéresse. Ben nous c’est pareil, quoique, amour ou détestation des hommes publics, c’est pas là que je prends mes plaisirs. Quand tu parles du fait du prince, on voit aussi ce que tu vois. Mais c’est pas ça, le Prince, en République, c’est le corps de l’appareil d’État, et les pouvoirs du Président en font partie, en toute légitimité. D’ailleurs, il va se les renforcer légalement, ses pouvoirs, Sarkozy, au congrès de Versailles.
Mitterrand a pris seul la responsabilité de l’accueil des activistes italiens, certes, mais il n’a pas fait un coup d’État. Comment sais-tu qu’il n’y a pas eu concertation avec la justice ? (Badinter n’a pas dit ça, il s’est seulement déclaré opposé à cet asile, mais il est clairement contre les expulsions, quelles qu’en soient les modalités légales.) Et avec l’Italie, tu sais ça aussi ? Cette mesure lui a pourtant rendu un fier service en accélérant la fin des troubles et en soulageant une justice et un système pénitentiaire alors au bord de l’explosion, et Mitterrand était plus fin politique que «beau et généreux» ! Ensuite aucun Préfet n’a protesté pour donner leurs papiers aux Italiens réfugiés (il y en reste, t’as pas fini de dominer vaillamment ton effroi et de leur donner l’estocade). Les mairies ont produit les actes de naissance des enfants (Celui d’Emma, la deuxième fille de Marina, ceux des filles de Cesare, par exemple, et il y en reste d’autres. Au fait, ça te dirait de venir leur expliquer quel honneur c’est pour eux d’être un œuf de l’omelette démocratique, quasiment des enfants kamikazes de la République, on pourrait demander d’en faire des pupilles de la Nation, qu’est-ce que t’en penses ?). Marina faisait du travail social et ça te chiffonne, eh bien on ne peut rien pour toi, parce qu’elle l’a fait légalement, avec un contrat de travail de la municipalité, elle l’a fait longtemps, très bien, intelligemment, pour un salaire de peu.
Tu vois, Charb, si tu avais dit quelque chose du genre : «Ça m’emmerde, mais je suis contraint, Moi, Charb, de me joindre à un paquet de gens qui ne sont pas tous mes amis, pour demander à Lui, Sarkozy, de ne pas extrader Marina Petrella en notre nom. J’y suis contraint d’abord parce que ce serait effroyable et que l’effroyable, quand ce n’est pas une calamité naturelle mais le hallali de deux pouvoirs d’État sur une proie ligotée, ça me scandalise, ensuite parce que l’usage de la clause humanitaire de 1957 rappellerait à tous les fanatiques de la Démocratie pénaliste la nécessité d’une régulation de la cruauté d’État. Mais merde, si on y arrive faudra encore que j’éteigne la télé et ferme les journaux le temps que passe Sarkozy posant en Prince magnanime et courageux se pavanant devant un peuple l’âme en guenilles, subjugué, et noyant, une fois de plus, une gauche débordée. Mais le bon là dedans, c’est que ça dégagerait le terrain pour vous foutre sur la gueule, bande de gauchistes guerriers, prêts autrefois à tuer pour la cause et bêlant aujourd’hui du politiquement correct à faire pleurer dans les chaumières et à me faire gerber !»… on encaisserait, et même, quelque part, comme disent les psy de cuisine, une bonne raclée, ça soulagerait. Ton dessin illustrant ton papier du mec des FARC, minable, ridicule, ressemble comme un frère à ma copine Marina, et il me fait marrer. Où on en est arrivé, c’est vrai qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer !
La République n’est pas un dîner de gala ! (Détournement de la formule de Mao «La Révolution n’est pas un dîner de gala» utilisée dans les années 70-80, pour justifier l’usage de la violence dans les mouvements de subversion sociale et politique.)
Tu n’y étais pas, t’es trop jeunet, dans les manifs où s’affrontaient les «El pueblo, unido, jama sera vencido !» du PS-PC Unis de la Gauche et les «El pueblo, armado, jama sera vencido !» de la LCR et des autres mouvements d’extrême gauche. Moi si, j’étais à la LCR et je me suis égosillée gaiement des années durant sur le pavé (celui des lanceurs de pavés, tu sais ?) parisien. C’était l’époque où en Italie des dizaines de groupes rassemblant des dizaines de milliers de militants avaient fait le choix de ce qu’ils appelaient la lutte armée (ne dis pas que c’est pas vrai, parce qu’il y a eu plus de 8000 personnes, la plupart très jeunes, arrêtées et inculpées à ce titre). Rien que les BR rassemblaient des milliers de militants dans leurs structures clandestines… Au fait, où sont-ils ? Souhaitons-leur, sincèrement, belle vie, mais s’abattre, 25 ans après, sur les quelques-uns qu’on tient encore, en les faisant passer pour une poignée de criminels isolés, c’est une vilenie.
Tu es, à ce qu’on m’a dit, militant du PCF. À l’époque, c’était un parti encore profondément Stalinien qui, pour mettre son cul à l’abri des raclées de l’Histoire, entonnait un chant nouveau : «Petit Père ! La Patrie du Socialisme, c’était l’bon temps, Regrets Éternels, mais maintenant t’es vieux, tu pues, tu nous fais la honte. On va t’étouffer sous le moelleux oreiller de nos sentiments citoyens, c’est effroyable mais pas scandaleux, Œdipe, c’est pas fait pour les chiens ! Et on s’en sortira, nous tes enfants, propres comme des sous neufs, Innocents.»
Quarante ans après, toi qui n’y étais pas, tu continues à jouer le puceau, innocent de l’Histoire, Justicier de la République ? T’as peur qu’on te confonde avec quelque méchant terroriste ? Relâche-toi, tout l’monde s’en fout des massacres du Papa des Peuples, comme d’ailleurs du bonheur généreux des Camarades de la banlieue Rouge. Qu’est-ce qui te prend, tu y crois dur comme acier de sabre, à la légalité démocratique ? Moi aussi, elle me botte, la démocratie, mais vivante, concrète, contestable. Sur ta boîte aux lettres personnelle, à Charlie Hebdo, tu as placardé les autocollants du PCF et de la LCR. Alors, Charb, ou tu admets que t’en es, de c’merdier pas toujours beau, qui est le nôtre (et pas celui des fachos), ou tu retires tes oripeaux de gôchau radical rigolo.
Tu es tortionnaire pervers, ou bien idiot, quand tu répètes «ex-terroristes repentis» ? «Ex», trente ans après, tu crois qu’ils ont sept vies, comme les chats, pour exister au présent ? «Terroriste», c’est pas la boîte de Pandore de l’idéologie sécuritaire, terreau des droites, ça ? Il y a eu, au cœur du chaos politique et social de l’époque, plusieurs organisations d’extrême gauche qui ont pensé que la défense du mouvement justifiait le recours ultime à des assassinats ciblés, mais pas à des massacres aveugles caractéristiques des mouvements terroristes contemporains (et des fascistes à la gare de Bologne et Piazza Fontana à Milan). Et «repenti», en italien de l’époque, c’était plus près d’«indic» que du battement de coulpe chrétien. Les repentis ont taillé leur route vers une quasi impunité (au mépris du «droit des victimes»…) en fauchant la vie de leurs camarades. Marina est une rescapée de cette période. Elle en est sortie meurtrie par les coups reçus — entre autres huit ans de prison, enchaînée pendant son accouchement, enfermée 18 mois avec sa petite fille en prison spéciale, puis séparée d’elle pendant quatre ans —, mais aussi par les interrogations intimes sur cette aventure collective et personnelle commencée dans l’espoir d’un monde plus juste et plus jouissif, et terminée si vite dans le sang (le leur autant que celui de leurs victimes), les trahisons et l’enfermement. Elle a toujours refusé le marchandage ignoble du repentir et de la dissociation (légalisés en urgence, respire !). Ni toi ni personne ne sait ce qu’elle y aurait gagné (légalement) ni ce que la responsabilité qu’elle a assumée pour toutes les actions de son organisation lui a fait perdre de possibilités de se défendre personnellement.
Tu comptes te l’accrocher où, sa peau ? Tu devras la partager avec ces vieux ex-communistes staliniens «repentis» de l’ex-PCI (Le repentir lucratif, ils l’ont d’abord testé sur eux-mêmes…) qui ont troqué la violence de leur Prolétarisme totalitaire d’antan contre celle d’un Pénalisme populiste dont ils saoûlent la société italienne, avec la même sauvagerie insatiable, doublée de la même bonne conscience dont on fait les croyants et les murs des prisons (C’est qu’ils sont démocrates modérés, maintenant. Comme on change !), et n’oublie pas d’offrir les restes aux apparatchiks de la moderne Raison d’État relookée par les droites triomphantes, ils les auront bien gagnés !
En avant citoyens, tirons sur l’ambulance !
Je ne sais pas dans quelle culture émotionnelle et politique tu t’es sculpté, Charb, mais tu as l’air de tenir pour évident qu’avec des gens d’extrême droite (là encore tu t’esquives, «extrême droite», c’est à «fasciste» ce que «personne du troisième âge» est à «vieux» ou «employé d’entretien» à «balayeur», juste un cache misère, ici celle de ta position) on se gorgerait de haine vengeresse. Eh bien pas du tout, figures-toi !
Difficile de tailler son chemin dans la forêt de faux problèmes que tu dresses pour décourager d’arriver jusqu’à toi. Un exemple : «Est-ce qu’un ex-terroriste d’extrême droite (cf. plus haut) qui aurait refait sa vie en France susciterait la même sympathie que Marina Petrella ? Qui s’opposerait à son extradition ?»
D’abord, il n’y en a pas, d’ex-terroriste fasciste italien réfugié en France, et la nature ayant horreur du vide, s’il n’y en a pas, c’est parce qu’ils n’en ont pas eu besoin. D’abord parce que la répression a été beaucoup moins, disons efficace, pour ne pas froisser ta sensibilité et celle de tes amis démocrates italiens, que contre l’extrême gauche. Ensuite parce que ceux qui ont fui sont allés en Amérique Latine où ils ont été accueillis par des camarades de l’autre génération. Ils y ont vécu sans ennuis jusqu’ici mais, comme par hasard, au moment où la demande italienne d’extradition de Cesare Battisti arrive au bout de la procédure, un d’entre eux a été arrêté au Brésil. Du coup, tous ceux qui prennent la justice pour l’Inquisition puisque, dans leurs fantasmes infantiles, leurs ennemis ne sont pas des hommes mais des puissances essentiellement maléfiques (tu en es ?), se trouveront justifiés à livrer la peau de Cesare pour qu’un fasciste soit puni.
Mais jouons à faire comme si, puisque tu trouves que c’est le moment, la partie sera brève : on s’opposerait à son extradition, évidemment. Quant à la sympathie, faudrait voir de près ce que cet homme est devenu. On n’a pas tué Dieu pour prendre sa place et je ne crois pas aux monstres par nature.
Après ça s’embrouille, ton raisonnement. Les dictateurs et autres massacreurs, ils n’ont pas été extradés, eux (détail important au moment où Paolo Persichetti l’a déjà subie, où Cesare Battisti attend, du fond d’une geôle brésilienne, un nouvel asile, et où Marina est sous décret d’extradition). On peut réclamer qu’un procès ait lieu, que la vérité soit faite dans des délais et dans des conditions respectant les droits humains et que la peine soit fixée. Son effectuation, elle, est et doit rester adaptée aux circonstances, aménageable et même amnistiable. C’est au cœur des principes d’un droit qui ne prétend pas consoler ni venger les victimes, mais leur rendre justice en qualifiant le crime. Qu’est-ce que tu lui trouves de si mal finalement, à Sarko, il a supprimé la grâce présidentielle pour les «fin de peine» et il se méfie tellement de l’éventuel sentiment d’humanité princier des futurs juges d’application des peines, qu’il rend celles-ci imprescriptibles, il fait légaliser la peine de mort carcérale, et rejoindra sans doute bientôt son ami Berlusconi qui a légalisé l’incarcération des sans-papiers en criminalisant le simple fait de vouloir vivre. Toi qui dis : plutôt l’effroyable, que l’insupportable fait du prince, tu n’es pas content ? Tout sera dans la loi !
Marina a subi cette épreuve de la mise en accusation publique. Elle était présente à chacun de ses procès. Ils se sont faits dans des conditions extrêmes, et la vérité historique de cette époque reste prisonnière des menaces pénales qui pèsent encore sur les protagonistes et ne pourra s’élaborer librement qu’après une amnistie. L’Italie, cousine en cela de la France d’après la guerre d’Algérie (à ceci près qu’il y a eu, en France, une amnistie, beaucoup plus généreuse d’ailleurs pour les militants de l’OAS que pour les porteurs de valises et les pacifistes qui, considérés comme des traîtres à la Patrie, n’ont jamais retrouvé leurs droits civils, ceux par exemple de voter ou d’être fonctionnaires), n’est pas prête à affronter son histoire.
Quant à Papon, je distingue l’acte de comparution devant la justice, de la volonté de jeter en prison un vieillard jusqu’à sa mort, chose répugnante. Je ne vois pas pourquoi il faudrait devenir une brute chaque fois qu’on en croise une, alors qu’on n’a pas la capacité ou le désir de devenir poète quand on en rencontre un.
La suite de ton argumentaire, le crime contre l’humanité, la Syrie, j’en peux plus. Quel rapport entre la complicité avec une machine génocidaire et des arguties de légalité internationale ? Tu finiras ton trip tout seul, bon voyage ! Vas faire un tour en Israël et Palestine, en Afrique du Sud, en Bosnie, ou au Rwanda par exemple, il y a là-bas des douleurs et des affronts ravalés, des crimes impunis, d’une toute autre ampleur et profondeur que ceux qu’a connus l’Italie, et c’est sur cela que renaît un espoir de retour à la paix.
Mais on se retrouve à la fin, je suis d’accord avec la conclusion de ton texte : «Tout ça pour dire (Alors tu aurais dû ne dire que ça !) que les “gestes humanitaires” à la gueule du client (Mais, si j’ai bien lu, les clients qui s’en sont pris plein la gueule, c’est seulement ceux de gauche, non ? Ah si, Papon, j’oubliais ! Il faut lui offrir le corps de Marina pour égayer la solitude de son tombeau ?) ne servent qu’à justifier des injustices à la gueule du client.»
C’est vrai ! … Et alors, il faut les laisser faire une injustice de plus pour qu’il n’y ait de justice pour personne ?
Viva la muerte !
LIBERTÉ POUR MARINA !
UNE VIE ACCORDÉE, ÇA NE SE REPREND PAS !
UNE VIE ACCORDÉE, ÇA NE SE REPREND PAS !
Janie Lacoste
Indymédia Paris Île-de-France, 21 juillet 2008.