Le prix du sang
Prise de position d’IKWRO (Iranian and Kurdish Women Rights Organisation / Organisation pour les Droits des Femmes Iraniennes et Kurdes) et de la Campagne Internationale Contre les Crimes d’Honneur (ICAHK).
Doa était de religion yézidie. Son crime avait été d’essayer de se sauver avec un jeune homme qu’elle avait elle-même choisit ; c’est pour cela qu’elle a été brutalisée, assassinée publiquement dans une scène qui aurait eu sa place à l’époque de l’Ancien Testament si les observateurs ne s’étaient pas bousculés pour filmer l’évènement avec leurs téléphones portables, cherchant le meilleur angle pour enregistrer l’agonie et la mort de Doa. Ces vidéos se sont retrouvées sur internet où elles ont provoqué une vague de révulsion pour ce meurtre et de sympathie pour Doa Khalil et les innombrables victimes de crimes «d’honneur» et de la violence «au nom de l’honneur» dans le monde.
Selon l’idéologie de «l’honneur», les filles sont les possessions de leurs pères et parents masculins, et leurs vies dépendent de l’obéissance à l’ordre patriarcal. Cette conception des femmes comme propriétés est le dispositif courant du patriarcat classique, le patriarcat des tribus agraires. C’est cette conception de la femme comme propriété qui a coûté la vie de Doa ; c’est cette même conception qui risque de faire que la justice ne sera pas rendue dans son cas.
La culture tribale kurde se base sur la confiance de nombreux Kurdes dans les komelayat, une structure dirigée par les anciens et les représentants religieux, politiques et tribaux, qui cherchent à résoudre les conflits par la réconciliation (solih). Comme le suggèrent ces structures, elles sont profondément patriarcales et même si elles résoudrent souvent les conflits par des solutions financières, elles peuvent aussi ordonner le mariage forcé pour des femmes ou des filles mineures et appeler à ce qu’un crime «d’honneur» soit commis.
Le journal kurde Aweena a annoncé que les Aswad, les parents de Doa, ont accepté 40 millions de dinars irakiens comme prix du sang suite à une telle solih et qu’ils sont d’accord pour pardonner les assassins. Les Aswad ont énormément souffert du meurtre de leur fille, et il n’y a aucun doute qu’ils méritent les 40 millions de dinars de compensation si ce n’est plus ; les Aswad vivent toujours à Bashiqa, et il n’y a pas de doute que choisir de pardonner aux assassins et pour eux nécessaire si ils veulent vivre en paix dans leur communauté. Après le meurtre, plusieurs hommes yézidis ont été exécutés par des membres d’Al-Qaeda qui avait publié une fatwa autorisant le meurtre de yézidis. Les yézidis ont souffert de nombreuses violences et préjudices depuis la lapidation, et c’est pour cela que la solih a été faite par des dignitaires chrétiens, yézidis et musulmans qui travaillent ensemble pour collecter l’argent et trouver un accord afin de ramener la paix entre les différents groupes ethniques de Bashiqa.
Cependant, le pardon des parents ne devrait pas peser dans la balance de la justice. Les enfants ne sont pas la propriété de leurs parents et un père ou une mère n’a pas plus le droit de son propre chef d’accorder le pardon à ses assassins que de les marier de force ou de les tuer. Le meutre «d’honneur» de Doa Khalil n’était pas un crime contre sa famille mais contre elle-même et un crime contre l’humanité. Si les parents souhaitent pardonner aux assassins, c’est leur affaire personnelle ; cela ne doit avoir aucune conséquence pour le jugement et la poursuite des coupables. Sur les dix-sept hommes qui ont pris une part active dans la lapidation, cinq sont actuellement en prison et deux sont en fuite et ne peuvent être retrouvés par les autorités. Les coupables doivent être jugés et condamnés et les fugitifs amenés devant les tribunaux, sans que cet arrangement ne soit pris en compte.
Les autorités kurdes n’ont pas une bonne réputation pour ce qui est de rendre la justice pour les femmes assassinées. On peut prendre l’exemple de Mohabab Abdullah, qui a eu le malheur de passer devant les yeux de Saleh «mitraillette» Ahmed Sharif. En 2001, après qu’elle ait refusé de l’épouser, il l’a enlevée, violée et assassinée. Il a été jugé pour ce crime et emprisonné : pourtant, avec l’aide active de l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan dont Sharif était membre), un accord a été trouvé pour que le «prix du sang» soit payé à la tribu d’Abdullah et que le meurtrier soit libéré. Sharif est aussi soupçonné d’avoir assassiné Jiwan, la sœur de Mohabad, qui avait témoigné contre lui, mais il marche aujourd’hui librement dans les rues de Sulemaniya.
On peut prendre aussi comme autre exemple, le meurtre récent de Kurdistan Aziz, une autre adolescente lapidée à mort par sa famille pour avoir fugué. Les deux partis [UPK et PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) qui se partagent le pouvoir dans la Région Kurde d’Irak] ont été sollicités, ils ont tous deux refusé d’aider la jeune fille, et il semble qu’ils n’entreprennent rien pour que ses assassins soient jugés. Les crimes «d’honneur» et les suicides de femmes prennent des proportions épidémiques (avec onze femmes mortes pour ces deux raisons en seulement sept jours à Erbil, la capitale du Kurdistan d’Irak, selon les docteurs de l’hôpital Rizgari).
Le meurtre de Doa est devenu profondément significatif pour les jeunes Kurdes, les militantes kurdes pour les droits des femmes et à travers le monde entier, avec des extraits de sa mort violente diffusées sur CNN et Al Jazeera qui ont attirés l’attention et la compassion de dizaines de milliers de personnes. L’anniversaire de sa mort a été commémoré avec des réunions et d’autres actions à travers le monde entier. Elle restera dans nos mémoires, comme symbole de la force de l’amour et de la brutalité du patriarcat, et pour les centaines de femmes et filles kurdes tuées «au nom de l’honneur» chaque année. Une condamnation par la justice de ses meurtriers enverra un message clair dans la région et dans le monde entier que ces assassinats patriarcaux ne seront plus tolérés.
La vie humaine n’a pas de prix. Aucune somme d’argent ne lavera les pierres du Kurdistan du sang de Doa. Seule la justice pourra le faire.
Nous appelons à la justice pour Doa Khalil et les autres victimes de crimes «d’honneur».
Le 7 avril 2007, une adolescente portant le nom de Doa Khalil Aswad (aussi retranscris du kurde Du’a Khalil Aswad) était lapidée à mort, lors d’une agression sauvage et brutale de son oncle et de ses cousins, observée par une meute d’une centaine d’hommes et de garçons, allègrement liés à cette occasion par fierté masculine alors que la jeune fille était battue et violentée, meurtrie par les pierres et finalement assassinée par une grosse pierre qui lui fut jetée sur le visage, le pulvérisant dans un bain de sang, tandis que la meute hurlait son approbation. C’était un prétendu crime «d’honneur», mais si le terme de lynchage semblerait plus approprié.
Doa était de religion yézidie. Son crime avait été d’essayer de se sauver avec un jeune homme qu’elle avait elle-même choisit ; c’est pour cela qu’elle a été brutalisée, assassinée publiquement dans une scène qui aurait eu sa place à l’époque de l’Ancien Testament si les observateurs ne s’étaient pas bousculés pour filmer l’évènement avec leurs téléphones portables, cherchant le meilleur angle pour enregistrer l’agonie et la mort de Doa. Ces vidéos se sont retrouvées sur internet où elles ont provoqué une vague de révulsion pour ce meurtre et de sympathie pour Doa Khalil et les innombrables victimes de crimes «d’honneur» et de la violence «au nom de l’honneur» dans le monde.
Selon l’idéologie de «l’honneur», les filles sont les possessions de leurs pères et parents masculins, et leurs vies dépendent de l’obéissance à l’ordre patriarcal. Cette conception des femmes comme propriétés est le dispositif courant du patriarcat classique, le patriarcat des tribus agraires. C’est cette conception de la femme comme propriété qui a coûté la vie de Doa ; c’est cette même conception qui risque de faire que la justice ne sera pas rendue dans son cas.
La culture tribale kurde se base sur la confiance de nombreux Kurdes dans les komelayat, une structure dirigée par les anciens et les représentants religieux, politiques et tribaux, qui cherchent à résoudre les conflits par la réconciliation (solih). Comme le suggèrent ces structures, elles sont profondément patriarcales et même si elles résoudrent souvent les conflits par des solutions financières, elles peuvent aussi ordonner le mariage forcé pour des femmes ou des filles mineures et appeler à ce qu’un crime «d’honneur» soit commis.
Le journal kurde Aweena a annoncé que les Aswad, les parents de Doa, ont accepté 40 millions de dinars irakiens comme prix du sang suite à une telle solih et qu’ils sont d’accord pour pardonner les assassins. Les Aswad ont énormément souffert du meurtre de leur fille, et il n’y a aucun doute qu’ils méritent les 40 millions de dinars de compensation si ce n’est plus ; les Aswad vivent toujours à Bashiqa, et il n’y a pas de doute que choisir de pardonner aux assassins et pour eux nécessaire si ils veulent vivre en paix dans leur communauté. Après le meurtre, plusieurs hommes yézidis ont été exécutés par des membres d’Al-Qaeda qui avait publié une fatwa autorisant le meurtre de yézidis. Les yézidis ont souffert de nombreuses violences et préjudices depuis la lapidation, et c’est pour cela que la solih a été faite par des dignitaires chrétiens, yézidis et musulmans qui travaillent ensemble pour collecter l’argent et trouver un accord afin de ramener la paix entre les différents groupes ethniques de Bashiqa.
Cependant, le pardon des parents ne devrait pas peser dans la balance de la justice. Les enfants ne sont pas la propriété de leurs parents et un père ou une mère n’a pas plus le droit de son propre chef d’accorder le pardon à ses assassins que de les marier de force ou de les tuer. Le meutre «d’honneur» de Doa Khalil n’était pas un crime contre sa famille mais contre elle-même et un crime contre l’humanité. Si les parents souhaitent pardonner aux assassins, c’est leur affaire personnelle ; cela ne doit avoir aucune conséquence pour le jugement et la poursuite des coupables. Sur les dix-sept hommes qui ont pris une part active dans la lapidation, cinq sont actuellement en prison et deux sont en fuite et ne peuvent être retrouvés par les autorités. Les coupables doivent être jugés et condamnés et les fugitifs amenés devant les tribunaux, sans que cet arrangement ne soit pris en compte.
Les autorités kurdes n’ont pas une bonne réputation pour ce qui est de rendre la justice pour les femmes assassinées. On peut prendre l’exemple de Mohabab Abdullah, qui a eu le malheur de passer devant les yeux de Saleh «mitraillette» Ahmed Sharif. En 2001, après qu’elle ait refusé de l’épouser, il l’a enlevée, violée et assassinée. Il a été jugé pour ce crime et emprisonné : pourtant, avec l’aide active de l’UPK (Union Patriotique du Kurdistan dont Sharif était membre), un accord a été trouvé pour que le «prix du sang» soit payé à la tribu d’Abdullah et que le meurtrier soit libéré. Sharif est aussi soupçonné d’avoir assassiné Jiwan, la sœur de Mohabad, qui avait témoigné contre lui, mais il marche aujourd’hui librement dans les rues de Sulemaniya.
On peut prendre aussi comme autre exemple, le meurtre récent de Kurdistan Aziz, une autre adolescente lapidée à mort par sa famille pour avoir fugué. Les deux partis [UPK et PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) qui se partagent le pouvoir dans la Région Kurde d’Irak] ont été sollicités, ils ont tous deux refusé d’aider la jeune fille, et il semble qu’ils n’entreprennent rien pour que ses assassins soient jugés. Les crimes «d’honneur» et les suicides de femmes prennent des proportions épidémiques (avec onze femmes mortes pour ces deux raisons en seulement sept jours à Erbil, la capitale du Kurdistan d’Irak, selon les docteurs de l’hôpital Rizgari).
Le meurtre de Doa est devenu profondément significatif pour les jeunes Kurdes, les militantes kurdes pour les droits des femmes et à travers le monde entier, avec des extraits de sa mort violente diffusées sur CNN et Al Jazeera qui ont attirés l’attention et la compassion de dizaines de milliers de personnes. L’anniversaire de sa mort a été commémoré avec des réunions et d’autres actions à travers le monde entier. Elle restera dans nos mémoires, comme symbole de la force de l’amour et de la brutalité du patriarcat, et pour les centaines de femmes et filles kurdes tuées «au nom de l’honneur» chaque année. Une condamnation par la justice de ses meurtriers enverra un message clair dans la région et dans le monde entier que ces assassinats patriarcaux ne seront plus tolérés.
La vie humaine n’a pas de prix. Aucune somme d’argent ne lavera les pierres du Kurdistan du sang de Doa. Seule la justice pourra le faire.
Nous appelons à la justice pour Doa Khalil et les autres victimes de crimes «d’honneur».