La Commune de Oaxaca et ses deux années de lutte populaire

Publié le par la Rédaction


Article relatant les événements autour du second anniversaire du début du mouvement social et populaire de Oaxaca, au Mexique, le 14 juin 06 ; et partageant différentes visions sur la construction de la suite du processus d’autonomie sociale et politique depuis la base populaire.
C’est agrémenté, comme de coutume, de références livrographiques, cinémathèques et internauphiles… À noter la fraîche sortie du livre La Commune d’Oaxaca - chroniques et considérations du compañero Georges Lapierre (cf. références à la fin de l'article) ; et de l’intégration du novice Ian dans la secte autonome du Caracol Azul, qui vous permet de télécharger gratuitement des émissions radio autoproduites sur Oaxaca et autres luttes mexicaines (cf. lien Internet).


À deux années de la Commune de Oaxaca

Le 14 juin 2006, vers 5 heures du matin, différents corps de police entraient sur le Zocalo, place centrale, de la ville de Oaxaca (SE du Mexique) pour déloger et réprimer violemment le «plantón» (campement) des «maestras et maestros» (instituteurs et professeurs) demandant au gouvernement plus de moyens matériels et de ressources économiques pour l’éducation sur la ville et les communautés de l’État de Oaxaca. De multiples brutalités et quelques détentions furent opérées par la Police.

Cette réponse de l’État par la force, loin de mettre fin aux revendications et à la lutte des maestr@s, qui s’est construite depuis le début des années 80, allait donner un des plus grands mouvements populaires et sociaux connus ces dernières années au Mexique, voire en Amérique centrale et du Sud. Certain-es la compareront même à la Commune de Paris de 1870 sous le nom de «Commune libre de Oaxaca».

En effet, de juin à novembre 06, le mouvement des maetr@s, comprenant plusieurs dizaines de milliers de personnes va compter très vite l’appui des étudiant-es, des commerçants et d’une grande partie de la «société civile» de la ville et de l’État. La première manifestation de soutien et de dénonciation de la répression comptera 300.000 habitant-es, et les suivantes «megamarchas» ne cesseront pas de s’amplifier jusqu’à atteindre un million de personnes (à noter que l’État de Oaxaca compte 5 millions d’habitant-es).

Durant ces six mois, une base sociale et populaire autogérée va se créer, jusqu’à prendre une base formelle sous l’appellation d’«APPO» (Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca), qui va permettre d’autogouverner la ville, et plusieurs villages (Zaachilla, Santa Martha…) sur u
ne base participative et sous la forme, entre autres, d’assemblées populaires, comme outil de décisions sociales et politiques, coutumes indigènes locales, qu’elles soient Mixtèques, Mixe ou Zapotèques.

Cette organisation sociale verra apparaître les, à présentes, très représentatives et symboliques barricades du mouvement oaxaquenien, forme de défense contre les attaques policières et militaires, connues sous le nom d’escadrons de la mort, opérant les violences, détentions et autres pressions contre les personnes impliquées dans le mouvement.

Cette lutte, lancée par des revendications autour de l’éducation, s’étendra beaucoup plus largement contre la corruption étatique représentée par le gouverneur de l’État Ulises Ruiz Ortiz, le peuple demandant sa destitution ; et la fin de l’ère du «caciquisme» et de l’oppression sociale et économique subie par les peuples indigènes de l’État. En outre, leur volonté de gérer la politique depuis la base n’est plus à démontrer. Pour exemple, l’abstention électorale atteignant respectivement 66% pour les votations de députés en août 07, et celles des présidents municipaux (maires) affichant un «score record» de 83% en octobre de la même année, est un message clair sur le refus de la politique de partis «traditionnels» orchestrés par les partis du PAN (Parti d’action nationale / ultra droite au pouvoir actuel de la présidence du Mexique), PRI (Parti révolutionnaire institutionnel/ droite au pouvoir, entre autre, de l’État de Oaxaca) et PRD (Parti révolutionnaire démocratique (gauche institutionnelle, gagnante légitime — hors corruption — de l’élection présidentielle de 06).

Ce mouvement social a subi, et continue de subir son lot de répression, 26 morts sont dénombrés de juin à novembre 06 (dont trois qui ne sont pas reconnus par tous et toutes comme liés à la révolte populaire de l’APPO) ; plusieurs centaines de détentions «politiques», pour la majorité du 29 octobre au 25 novembre, mois de l’entrée de la PFP (Police Fédérale Préventive) et de la «récupération» de la ville par les forces gouvernementales ; des dizaines de disparitions ; et de multiples violences, brutalités et humiliations.

À noter qu’aujourd’hui, il reste toujours trois prisonniers politiques, mais plus aucune personne disparue n’est à déplorer. Après la fin de l’exil forcé de la profesora Carmen López Vásquez, revenue à Oaxaca ce 14 juin 08 ; il semble ne rester plus que la Doctora Berta Muñoz, réfugiée un an en Bolivie, et actuellement à Mexico, qui continue de subir une pression psychologique gouvernementale très forte («Nous allons te couper la langue» ; «Nous allons te violer avec le microphone») afin de l’empêcher de parler aux médias de communication, avec en outre des mandats d’arrêt en vigueur pour, comme de coutume mexicaine, des délits inventés que sont : incendies de la Cour suprême de justice et de la banque Banamex, résistance à l’autorité et sédition/rébellion à l’État (elle a une force d’activiste guerillera sous sa soixantaine d’années, non ?).

Cette femme, surnommée populairement «Doctora Escopeta» (Docteur Fusil), des plus investies dans l’APPO (assurant l’unique ambulance populaire et une des voix importantes de Radio Universidad), arbore le respect de quasi tous les acteureuses du mouvement de 06 (des électoralistes du PRD aux anarchistes radicaux). Ses efforts pour créer une force populaire unie ainsi que ses phrasés sont devenues «célèbres» : elle s’opposa à l’affrontement avec la Police Fédérale Préventive et leurs attaques chimiques contre le peuple : «Alors qu’est-ce que vous allez faire maintenant, allez-y, lancez-moi les gaz lacrymogènes, ça me permettra d’être immunisée et ainsi plus résistante» ; ainsi qu’à une action d’incendie de la station service de Pemex par quelques jeunes : «Eh, vous avez pensé comment vous fabriquerez vos cocktails Molotov sans pétrole
!»

Elle déclarait le 11 juin dernier que «Ne pas avoir vaincu le gouverneur depuis deux ans ne signifie pas que cela soit une défaite. Maintenant avec tout ce qu’il s’est passé, notre conscience est plus profonde, par l’expérience. Beaucoup de gens dans les communautés et les quartiers sont plongés dans un travail discret de construction d’une organisation plus authentique, plus solide, avec l’idée que démocratiser Oaxaca va beaucoup plus loin que de seulement virer Ulises Ruiz.» Je vous conseille vivement la suite de cette interview publiée au quotidien alternatif
La Jornada, où elle parle aussi des peurs de l’arrestation, de son retour à Oaxaca et des nouvelles formes de lutte de l’APPO. À visionner aussi, l’entretien du 13 juin sur la «CNN en español», avec de très intéressantes explications sur les bases du conflit et la répression de l’APPO.

De novembre 06 (apogée de la répression) à juin 08 (commémoration des deux ans de début du mouvement), vont alors se développer différentes formes pour que tout ce qui s’était créé durant ces six mois de révolte populaire ne crève pas à petit feu…

Trois conseils estatals (assemblée générale de propositions et d’actions communautaires) de l’APPO vont avoir lieu de novembre 06 à novembre 07 ; des constructions d’organisations plus affinitaires vont voir le jour au niveau des quartiers, villages et groupes politiques dont un, créé en février 07, VOCAL (Voix oaxaquennienes pour la construction de l’autonomie et liberté), composé principalement de jeunes anarchistes travaillant en lien avec de multiples personnes et collectifs, et souvent décrié comme les radicaux et provocateureuses du mouvement. Plus récemment, eut lieu une rencontre de deux jours pour discuter et agir pour la construction d’une politique populaire, en avril 08, réunissant des personnes et collectifs (OIDHO - Organisations indigènes pour les droits Humains à Oaxaca, CESOL - Centre social libertaire, entre autres) critiquant la non avancée du conseil de l’APPO actuel et son incarnation et représentation par des leadership politiques cherchant la conquête de pouvoir ; un projet de caravane dans les villages de l’État pour aller à l’encontre des luttes, problématiques et répressions contre les communautés indigènes, échanger sur les luttes urbaines, ainsi que de produire et diffuser des médias autoproduits parlant de cette mémoire de luttes, la première étape a eu lieu du 5 au 12 mai de cette année dans différents villages de l’Isthme de Tehuantepec. Et tout dernièrement une occupation du Zocalo de Oaxaca du 15 mai au 14 juin, prenant une nouvelle forme que les années précédentes : mise en place d’un tournus de délégation des maestr@s afin de moins affecter la suspension des cours (au final 30% du programme annuel de cours ne seront pas assurés), appel d’une grève générale des écoles du pays qui bloquera jusqu’à 70% des écoles à Oaxaca, affectant plus d’un million d’élèves (soutenus principalement par les États de Chiapas, Michoacán et Guerrero) blocages de rues et de transports…

Malgré ces dynamiques toujours existantes, il ne faudrait pas omettre tous les problèmes, tensions et la baisse d’intensité du mouvement populaire général par rapport à son ampleur de 2006.

Mais pour sûr, comme le dit un jeune du village de Santa Rosa, dans la périphérie de la ville de Oaxaca «après tout ça, nous ne serons jamais plus les mêmes qu’avant ; nous ne pourrions pas l’être et nous ne pourrions pas le supporter».


Samedi dernier, 14 juin 08, se commémorait deux années du début du mouvement avec de multiples mobilisations et actions quasiment pendant 24 heures…

Les «hostilités» débutèrent avant l’aube, entre 4 heures et 6 heures, où à différents points de la ville, se lancèrent fumigènes et fusées «sonorisantes», se crièrent des slogans et se «décorèrent» différents transports publics et privés.

Arrivés un peu avant 6 heures au quartier d’«El Rosario», connu pour avoir été l’un des plus impliqués et résistants dans la construction d’une base populaire sociale massive durant le mouvement, nous sommes accueillis par des pains sucrés et une banderole sans équivoque «APPO El Rosario siempre en pie de lucha, pres@s politic@s libertad» (APPO El Rosario toujours debout dans la lutte, liberté aux prisonnier-es politiques).


La quarantaine de personnes déjà présentes attendent le passage des premiers bus et autres camions poubelles afin de les réquisitionner pour peindre quelques paroles urbaines populaires. Le mode d’action est simple et décomplexé… Entre 5 et 10 personnes font barrage à l’outil qui va servir à peindre et graffer, les chauffeurs ne s’interposent pas, laissant la conscience sociale s’exprimer comme si c’était naturel et approuvé, et ainsi en quelques minutes, des ados surtout et quelques adultes expriment leurs idées…

Aux slogans devenus communs «14 de junio 06 Ni perdón ni olvido» (14 juin 06 Ni pardon ni oubli) et «La APPO vive» (La APPO est vivante), s’en ajoutent d’autres, plus personnels et imaginatifs : «Los transportistas también appo-yamos» (Nous appo-yons aussi Les transporteurs) ; «Territorio APPO» (Territoire de l’APPO) ; «Viva la Guelaguetza popular» (Vive la Guelaguetza — fête traditionnelle — populaire) ; «Aquí viaja URO» (Ici voyage URO-Ulises Ruiz Ortiz) graffé sur un camion poubelles ; «Muerte URO» (Mort à URO).


D’autres pensées et revendications seront vocalisées par le chœur d’«El Rosario» pendant ce moment d’expression urbaine, et surtout durant la petite marche dans le quartier qui suivit, afin d’inviter les habitant-es à les rejoindre à la megamarcha, et qui clôturera ce premier événement matinal !

Les rues se font alors l’écho de : «Lucha lucha, no dejes de luchar para un gobierno obrero, campesino y popular» (Lutte lutte, ne cesses pas de lutter pour un gouvernement ouvrier, paysan et populaire) ; «Ojos por ojos, diente por diente, Ulises, asesino, la cuenta esta pendiente» (Œil pour œil, dent pour dent, Ulises, assassin, la note est en cours) : «Hombro con hombro, codo con codo, la APPO, la APPO, la APPO somos todos» (Épaule contre épaule, coude à coude, la APPO, la APPO, nous sommes tous la APPO)… Et le petit bijou final sur les murs d’un refuge policier déserté : «Señor policía, me das lastimas, pidiendo las armas, no puedes protestar» (Monsieur le policier, tu me fais pitié, car demandant les armes tu ne peux protester).

La petite marche du matin se terminera par l’invitation à rejoindre la méga-marche débutant à 9 heures ; puis l’invitation à différents événements en fin d’après-midi dans le quartier : musique, littérature et ciné. En guise de final, le chœur du quartier entonnera l’hymne national mexicain et celui devenu l’hymne de la lutte des maetr@s: «Venceremos» (Nous vaincrons).

À savoir que l’appartenance à l’État mexicain est très forte, même dans les communautés indigènes, c’est le cas aussi dans les villages autonomes zapatistes au Chiapas qui arpentent les deux drapeaux : Zapatiste et Mexicain. Ce qui laisse à penser qu’ils et elles reconnaissent l’État et le territoire mexicain, ce qui peut paraître étonnant vu la construction historique et géopolitique des territoires indigènes préhispaniques colonisés de ce pays… A ver y a reflexionar…

La méga-marche convoquée à 9 heures, sur la route internationale «Christophe Colomb» (quel symbole !), au croisement de Trinidad de Viguera, partira vers 9 heures 30, avec un cortège humain d’une masse impressionnante, toujours difficile de donner un nombre et je ne m’y risquerai donc pas, mais il me semble que c’était quasi aussi peuplé que l’année passée où il avait été dénombré plus ou moins 150.000 personnes.


Cette manifestation en marche d’environ trois heures jusqu’à l’arrivée au Zocalo de Oaxaca, fut animée de diverses banderoles arpentant les revendications sociopolitiques ; de pancartes des personnes à juger ou destituer ; de pantins à l’effigie de caricatures de Ulises Ruiz affirmant qu’«À Oaxaca il ne se passe rien» (une de ces célèbres déclarations de 06), et un représentant Elba Esther Gordillo (cheffe ministérielle du SNTE — Syndicat national des travailleurs de l’éducation — depuis plus de 20 ans, en somme la Margaret Thatcher locale) déclarant «De lit en lit, j’ai gagné ma renommée». En alternative aux dirigeant-es corrompu-es, un professeur d’une communauté oaxaquenienne appelle à une politique indigène et à avancer vers un pouvoir populaire.

Deux invités de prestige prendront aussi cours à la marcha, «L’enfant-saint de l’APPO», portant des bottes de mineurs, l’étoile rouge révolutionnaire et l’insigne APPO, ainsi que «La vierge des Barricades» et son fameux masque à gaz pour se défendre des attaques armées anti-populaires.

La musique, les chants et les chœurs de slogans furent aussi, comme de coutume, omniprésents, reprenant ceux déjà entonnés le matin et agrémenté des «Pres@s politic@s libertad» (Liberté aux prisonnier-es politiques), «No al charrismo sindical, no vas a dejar nuestra sección XXII a la LIX» (Non à la bâtardise syndicale, ne laisse pas notre section 22 — celle des maîtres en lutte — pour la 59 — celle des maîtres vendus au syndicat du gouvernement). Tout le long de la manif, des dizaines de jeunes masqués, graffe, peinture et posent des pochoirs revendicatifs sur les murs publics et privés ainsi que sur les façades de petits commerces, vitrines d’entreprises ou de banques… comme, entre autres, «Autonomía, autogestión, acción directa por la libertad» (Autonomie, autogestion, action directe pour la liberté), «Ni dios, ni amo, ni ejercito, ni estado» (Ni Dieu, ni maître, ni armée, ni État), «Le plan Merida = Muerte» (Le plan Merida — coopération militaro-économique EU et Mexique — = Mort), «Ulises culero - Ulises puto» (Ulises enculé – Ulises putain).


Vers 12 heures 30, l’arrivée au Zocalo se fait progressive, et est le moment de rafraîchissement, de collation et de prises de paroles. Parmi celles-ci, une intervention de la maestra Carmen Lopez Vasquez, forcée à l’exil politique depuis 18 mois à la ville de Mexico, «Je suis de retour pour me réintégrer à votre lutte, peuple de Oaxaca, qui est ma grande famille. Ici, rien ne va m’arriver, personne ne va me détenir et j’en ai la sûreté, pas parce que j’ai négocié avec le tyran, ni avec le gouvernement fédéral, j’en ai la sécurité par vous, par le soutien des organismes de droits humains.» Carmen est à présent couverte par des protections judiciaires d’amparo, qui évitent les poursuites justiciaires et policières au Mexique. Flavio Sauza du PRD (Parti révolutionnaire démocratique), prisonnier politique libéré il y a quelques mois, dénoncera l’action du PRI (Parti répresseur intolérant) et fera office aussi de sa réintégration à la lutte populaire… via son parti gauchiste ou pas ? Quien sabe ?


Ezekiel Rosales Careno, dirigeant de la Section 22 du Syndicat national d’éducation, quant à lui, exposera les demandes des maestr@s que sont la destitution du gouverneur URO, la liberté des prisonnières politiques et de conscience, l’annulation des ordres de détention et d’assurer les conditions nécessaires pour le retour des exilés politiques. S’ajoutera à ce discours la volonté d’une réponse du gouvernement aux demandes des maetr@s de la section 22 : une convocation de leur syndicat sans conditions ; et l’abrogation de la loi de SSTE, sécurité sociale des travailleureuses qui est en cours de privatisation. À noter qu’une dizaine de jeunes, masqués, s’opposèrent à son discours par des huées, cris et jets de quelques objets pour l’empêcher de s’exprimer, et dénonçant sa collaboration avec le gouvernement afin de lever le campement des profs sur le Zocalo — qui prit fin ce 14 juin, après une occupation qui durait depuis le 15 mai, «dia del maestr@». Ezekiel répondra que «ce sont des provocateurs envoyés par le gouvernement de l’État, dépourvus d’organisation, de discipline et de formation politique idéologique»… Ben tiens, il a raison, un peu de discipline stalinienne et/ou fasciste dans cette trop grande démocratie populaire mexicaine, ça va permettre de remettre un peu d’ordre civil !

Le ton change et le calme revient quand David Venegas (Conseiller estatal de l’APPO et membre de VOCAL), prisonnier politique durant une année et libéré en mars dernier, prend la parole. Il insiste sur le fait que «ce mouvement n’est pas un mouvement de leader. Nous savons que ce qu’est la trahison politique, ce qu’est la prison… Si nous étions des leaders, nous serions déjà au congrès des députés.» D’autres membres de VOCAL insisteront sur le besoin d’appuyer les autres luttes populaires et autonomes comme le font, par exemple les membres du Front populaire en défense de la terre d’Atenco, présents à la marche. Un appel à manifester contre les attaques militaires et paramilitaires envers les caracoles zapatistes est appelé le jeudi suivant, au départ du monument Zapata.

Un peu essoufflé après ces heures intenses d’actions et de marches, j’imaginais un petit temps de repos, mais c’était sans compter sur l’énergie sans limites et la non réserve oaxaquennienne…

En effet, est appelée aussitôt par quelques dizaines de jeunes anarchistes une occupation du croisement des avenues du boulevard «5 Señores» qui est en fait un appel communautaire à reconstruire une des barricades les plus résistantes de 06.

Arrivé sur le lieu dit, c’est avec intérêt et respect que je découvre cette mise en œuvre… Tout commence par le repérage de l’arrivée d’un véhicule motorisé de grande taille, soit un bus de ville, un camion privé de Pemex (Pétrole mexicain), un autocar de l’entreprise OCC. Puis quelques un-es l’arrête, les «emprunts» de matériels de transports s’effectuant dans le calme, les passager-es descendant tranquillement, le conducteur suivant les directives de stationnement de deux co-pilotes improvisés, pendant que d’autres assurent la circulation des voitures et le blocage progressif des routes, ainsi que la «déco urbaine» des bus. Tout semble quasi-naturel pour les personnes qui subissent ces réquisitions, comme si c’était leur quotidien, il est vrai aussi que sans être fataliste, la culture mexicaine se veut souvent solidaire.

Les acteurs et actrices, une trentaine de personnes de 10 à 30 ans, ont l’air d’avoir effectué ça toute leur vie… En l’espace-temps de trois quarts d’heure, les barricades sont montées sur ce croisement d’avenues dont le trafic motorisé est très intense, vu son accès direct au centre ville historique de Oaxaca !

La presse de masse (TV Azteca, Televisa…) et indépendante (La Guillotina, Radio Zinzine international…), afflue, à la connaissance de la nouvelle prise de «5 Señores».

Quelques personnes parlent en leur nom de l’objectif et de la volonté de ces nouvelles barricades : «5 Señores est la seule barricade où la Police fédérale préventive n’a pu nous déloger, c’est un symbole de résistance»… «Nous ne voulons pas d’un Oaxaca sous les barricades, mais nous voulons en finir avec la corruption politique et la crise sociale de l’État»… «Nous ne savons pas combien de temps nous resterons, l’objectif est de tenir cinq heures, et voir s’il y a un soutien de plus de monde, si des maestr@s viennent nous rejoindre, on avisera»…

Il n’en sera rien, deux heures plus tard, vers 16 heures, les barricades sont levées par décision consensuelle des metteurs en œuvre urbano… Rendu des clés empruntés aux différents chauffeurs, et retour au centre ville dans deux bus collectifs qui nous assurent la course gratuitement ; l’excitation et l’enthousiasme est très palpable lors du trajet vers le Zocalo, une sorte de désillusion aussi, les jeunes, voire très jeunes se remettant aussitôt à sniffer leur éther ou autre acide, afin certainement que le nouvel atterrissage dans le monotone quotidien ne soit pas trop brutal !

Cette nouvelle prise de «5 Señores», symbolique et forte émotionnellement fut, sans doute, réussie ; mais l’appel à un nouveau soulèvement populaire urbain sur les barricades, escompté de manière utopique, certainement pas !

Ce qui ne signifie en aucun cas que la Commune de Oaxaca est morte, bien au contraire, elle est en pleine construction, mais sous d’autres formes comme déjà évoquées auparavant, elle réfléchit à ses stratégies de lutte pour être le plus apte à combattre l’ogre colon et capitaliste, et prend le recul nécessaire avec une intelligence de réflexion, qui pour ma part, inspire un profond respect.

Les barricades oaxaquenniennes sont mortes, l’APPO et ses différentes luttes d’autonomie indigènes communautaires bien vivantes !

À peine le temps de se rafraîchir d’une «agua de sabor» au Zocalo, et la suite des affaires sociales n’attendent pas, direction une nouvelle fois au quartier d’«El Rosario» pour quelques activités culturelles. Ca débute par de la musique interprétée par différents profs, ou chanteureuses solidaires, accompagné-es par leurs voix et guitares révolutionnaires.

La musique, comme «l’expression culturelle urbaine» (graffitis, stencils, pochoirs…) fut très présente et importante dans le mouvement de réappropriation sociale. Un film (qui était prévu mais reprogrammé ultérieurement faute de temps), tout fraîchement autoproduit vient de sortir autour de cela : Sigueme contando sonidos de la lucha oaxaquena (cesolacrata(at)gmail.com / luzkemada(at)gmail.com) où s’expliquent, entre autres, les bases politiques et populaires des corridos, du son jarocho, du hip hop, de la musique traditionnelle… Ce fut d’ailleurs l’occasion de pirater en exclusivité, lors de l’événement, la toute dernière chanson en lutte de Oaxaca Vive maestro querido, que j’essaierai prochainement de partager via la toile sonore internationale !

Ensuite, se déroula une présentation d’un livre Palabra et trascendencia - Manual de Educación y Alfabetización popular (éditions autogérées de Círculos de investigación) de Marcel Arvea Damian, entre autres formateur de maestr@s de Oaxaca, qui cherche et met en pratique des formes d’éducation populaire. C’était vraiment très riche, agrémenté par une critique de l’éducation capitaliste ; de la complémentarité de l’éducation publique et privé formant des personnes pour commander (issue de l’Université technique) et d’autres pour obéir (issue de l’Université générale) ; et d’une autocritique du fonctionnement des maestr@s de Oaxaca par rapport à leurs luttes et demandes, tombant parfois dans une bureaucratie qu’illes condamnent…

Après avoir écouté les questionnements, les critiques de l’auteur du livre, mais aussi celles de quelques maestr@s assumant leur participation populaire à la conférence ; ainsi que leur définition de l’éducation qui selon elles et eux doit permettre un développement des capacités personnelles, de l’autonomie et une vision de la liberté que choisira l’élève…

Ça me paraissait être d’une réalité et d’une humilité très sensées… et ainsi grâce à la magie de la cosmovision maya, pas mal d’éléments qui semblait toujours me manquer pour la compréhension de ce mouvement oaxaquennien me sont devenus plus clairs, surtout sur le rapport à la force et la détermination de la lutte et l’investissement des profs et instits au niveau de leur volonté d’une transformation sociale ! Ceci n’étant possible, selon Marcel, qu’en rendant la parole à l’élève et sur le fait que le prof s’argue de l’écoute, et peut se construire par l’éducation populaire ou d’autres formes d’éducation non autoritaires et oppressives.

«No tenemos que aprender si no enseñar» (Nous ne devons pas enseigner mais apprendre).

Deux adolescentes nous nourriront enfin de leur idéologie chantonnante, peut-être symbolique, mais démontrant une fois encore que la conscientisation sociale populaire n’a pas de limite d’âge à Oaxaca, qu’elle soit d’un vieux barricadier de 5 Señores d’une dizaine d’années ou d’une jeune médecin avoisinant la soixantaine…

«Educación primero al hijo del obrero - Educación después al hijo del burgués» (D’abord, éducation au fils de l’ouvrier - Ensuite, éducation au fils de bourgeois).

En début de soirée, suite à la levée du campement des maetr@s, le gouverneur de l’État, Ulises Ruiz Ortiz, et le président municipal de la ville José Antonio Hernandez Fraguas, osèrent mettre les pieds au centre ville de Oaxaca, pour disent-ils «constater les tâches de ménage qui se sont réalisées tant sur le Zocalo que sur la Alameda de Léon (place annexe)»… une véritable honte de plus semée par URO, assassin indigne et corrompu, qui parle de ménage pour un campement humain, et s’affiche comme s’il était le négociateur de cette levée de campement, alors qu’elle n’est pure décision et volonté du syndicat des professeurs.

Honte à toi, gouverneur illégitime pour la majorité des oaxaquennien-es, et prends garde à sortir bien couvert, car tu as certainement pu observer qu’en ce jour de lutte combative du 14 juin, certain-es habitant-es continuaient de demander ta destitution, mais aussi quelques un-es, à présent, ta mort
!

Espérons que lors de la Guelaguetza populaire («l’art de donner»), fête traditionnelle de Oaxaca, les corps policés se fassent aussi discrets qu’en ce 14 juin, afin qu’elle ne subisse pas cette année une répression semblable à celle d’août 07. Et que le peuple puisse ainsi vivre ses réelles traditions, coutumes et danses, perpétuées par des milliers d’indigènes en compagnie de leurs ami-es ; face à la Guelaguetza commerciale, pamphlet folklorique à des prix exorbitants, consommée par quelques centaines de touristes d’exportation.

Enfin, pour terminer cette longue et riche journée de tequio (travaux communautaires) oaxaquenniens, como de costumbre, une collectivisation de la fête et de la danse s’improvise en différents lieux… Ça sera sans moi, cette fois, car je m’en vais réfléchir et reposer toutes les expressions sociales et autres activités de ce 14 juin combatif, qui ne peuvent que mieux me faire comprendre la réflexion, les pratiques, et la lutte en défense des idéaux populaires et communautaires des peuples de Oaxaca… avec lequel je partage un intense et sincère respect, en m’enrichissant de leur humilité, faisant fuir tout élitisme autoritaire de quelques maîtres qu’ils soient !

Un saludo libertario depuis le pays du chocolat, du mezcal et de ses autoproductions affiliées…

Ian, 19 juin 2008.

PS : comme vous aurez certainement une débordante envie d’en savoir, et donc d’en lire et d’en écouter beaucoup plus… voici quelques allié-es pour vos salles de lecture et autres caves à son francophones et hispanophones !

Livres :
La Commune d’Oaxaca - chroniques et considérations (Georges Lapierre, édition Rue des cascades / 08) ici &
La batalla por Oaxaca (édition «Yope power», avril 07)
La Guillotina especial Oaxaca (La Guillotina, 07)
México : Stencil : Propa - El arte político urbano (RM & Mr Fly, 08)
Films :
Un poquito de tanta verdad (ST francais) (Jil I. Freiberg-Corrugated films & Mal de Ojo TV, 07)  ici &
Compromiso cumplido - L’engagement accompli (Mal de Ojo TV, 07)
Sites / liens Internet :
Émissions radio autoproduites sur Oaxaca et le Mexique, hébergées par le Caracol Azul, escargot révolutionnaire…
Le jouet enragé
Interview de la Doctora Berta Muñoz
Oaxaca libre
Oaxaca en pie de lucha
VOCAL (Voix oaxaqueniennes pour la construction de l’autonomie et la liberté)
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