Le Cauchemar, lettre de prison
Elle s’appelle Wahoub Fayoumi. Elle est journaliste en Belgique à la RTBF. Elle a été arrêtée le 5 juin, soupçonnée de terrorisme, parce qu’elle appartient à Secours Rouge. Elle vient d’être remise en liberté. Voici son témoignage.
Le Cauchemar, lettre de prison
C’était jeudi. Le 5 juin, c’est l’anniversaire de mon compagnon. À 5 heures du matin, on frappe à la porte. Je dormais encore, je m’habille vite, ça a l’air important. Lorsque j’ouvre, je vois des policiers dans la cage d’escalier. Il y en a beaucoup. Je pense à un cambriolage. On me dit que c’est pour une perquisition. Chez moi ? «Vous venez chez moi ?» je dis. Oui. Je leur demande pourquoi. «On ne sait pas. On a juste un mandat.» Ils entrent. «Vous êtes seule ? Vous êtes sûre ?» Ils sont six ou sept. Ce n’est pas normal. «Que se passe-t-il ?» je dis. Sur le papier, il y a écrit «terrorisme», «urgence». «Vous êtes privée de liberté, madame.» On ne réalise rien à ce moment-là. On ne comprend simplement pas les mots. La tête tourne. Ils fouillent. Tout. La cuisine, la salle de bain, mes vêtements, mes livres. Ils mettent des choses de côté, ils disent «on saisit». ça dure trois heures. Ils prennent les ordinateurs, des affiches, des livres, un bouquin en arabe. Je leur dit «Je dois aller au travail.» «Je ne pense pas que ce soit possible.» Je voudrais téléphoner, mon GSM est déjà saisi. Mon équipe attendra à Reyers, mon compagnon aussi, je ne verrai pas mon frère qui prépare un voyage de plus d’un an en Espagne et au Mali. Personne ne saura où je suis aujourd’hui.
«Au bureau» comme ils disent, c’est l’interrogatoire. Des questions sur mon nom, mon âge, mon loyer, mon numéro de carte de banque, mes opinions politiques, mes amis. Des heures passent, je commence à trembler. Aux questions auxquelles je réponds «Je ne sais pas», ils insistent. Avant de comprendre ce qu’ils veulent. Le choc se diffuse lentement, à chaque question. C’est l’après-midi. J’aperçois des hommes cagoulés, armés. Ils viendront me chercher. Il doit être 17 ou 18 heures. Je suis menottée, attachée par une corde que tiennent deux hommes. Je suis masquée, je ne peux rien voir. Trajet en voiture. Sirènes hurlantes, escorte. Arrivée au Palais de Justice. Des couloirs, des ascenseurs, je ne vois rien. On s’arrête. Un homme m’enlève les menottes, mains sur la tête ; un autre, le masque. Je suis face à un mur gris. Une porte se ferme. Je n’ai vu personne. Je n’ai rien vu à part cette porte grise qui s’est fermée, grise comme les murs, comme le rebord en béton. Les murs lisses, affreusement lisses. Il n’y a aucune ouverture. J’ai l’impression d’étouffer. Envie de taper sur ces murs lisses. Je ne dois pas pleurer. Personne ne m’a dit un mot. J’attends. Des heures. 20 heures ? 22 heures ? Interrogatoire chez la juge d’instruction. «Vous n’avez pas tout dit.» Un cauchemar qui se poursuit. Je ne sais pas où j’ai mal. Ça va s’arrêter, j’en suis sûre. Je pleure quand elle parle de ma famille. C’en est trop.
À nouveau le cachot. Ma tête est raide. Je m’allonge sur le rebord en béton. Quelle heure est-il ? Est-ce que le temps s’allonge ou se rétrécit ? On reviendra me chercher. Chez la juge, dans ce bureau allumé au fond d’un couloir. «J’ai hésité» elle dit. Alors je sais. Sur mon mandat d’arrêt, il est 2 heures 30.
C’était il y a une semaine et quatre jours. Beaucoup de choses à dire sur le mandat d’arrêt, sur l’inculpation, sur les méthodes.
Des méthodes de cowboys, des interrogatoires où on renverse la charge de la preuve. On m’a épiée, surveillée, mise sur écoute, analysé mes comptes bancaires et mon écriture, depuis plus d’un an. Attendait-on de moi que je conforte une hypothèse de départ ? Que je donne des noms qui alimenteraient leur idée ? Leur enquête est restée désespérément vide. Est-ce pour cela que je suis en prison ? Sommes-nous là parce qu’il doit y avoir quelque chose ? Il suffirait alors de bien peu : d’affirmer des solidarités, d’avoir des idées politiques. Je l’ai entendu à notre charge, ces idées politiques ont été présentées comme en soi terroristes !
Je n’ai jamais caché mon engagement. Il est public, libre et réfléchi. Défendre des étudiants, des sans-papiers, des prisonniers politiques, se battre pour un monde plus juste, ce ne sont pas des engagements dont on doit avoir honte. Si je n’avais pas été ici, j’aurais été devant ces prisons, j’aurais écrit des communiqués, j’aurais contacté des associations.
La souffrance de ma mère et de mes frères, la solitude de mon compagnon, la tristesse de mes amis, l’incompréhension sur mon lieu de travail, la privation de liberté de quatre militants, la criminalisation de la solidarité, sont-ils des prix à payer ?
LA SOLIDARITÉ N’EST PAS UN DÉLIT !
Le Cauchemar, lettre de prison
Je suis journaliste. Mais ce n’est pas pour ça que j’écris aujourd’hui. Ce texte est mon témoignage. Quelque chose d’immense et d’effrayant m’est arrivé, il y a plus d’une semaine.
C’était jeudi. Le 5 juin, c’est l’anniversaire de mon compagnon. À 5 heures du matin, on frappe à la porte. Je dormais encore, je m’habille vite, ça a l’air important. Lorsque j’ouvre, je vois des policiers dans la cage d’escalier. Il y en a beaucoup. Je pense à un cambriolage. On me dit que c’est pour une perquisition. Chez moi ? «Vous venez chez moi ?» je dis. Oui. Je leur demande pourquoi. «On ne sait pas. On a juste un mandat.» Ils entrent. «Vous êtes seule ? Vous êtes sûre ?» Ils sont six ou sept. Ce n’est pas normal. «Que se passe-t-il ?» je dis. Sur le papier, il y a écrit «terrorisme», «urgence». «Vous êtes privée de liberté, madame.» On ne réalise rien à ce moment-là. On ne comprend simplement pas les mots. La tête tourne. Ils fouillent. Tout. La cuisine, la salle de bain, mes vêtements, mes livres. Ils mettent des choses de côté, ils disent «on saisit». ça dure trois heures. Ils prennent les ordinateurs, des affiches, des livres, un bouquin en arabe. Je leur dit «Je dois aller au travail.» «Je ne pense pas que ce soit possible.» Je voudrais téléphoner, mon GSM est déjà saisi. Mon équipe attendra à Reyers, mon compagnon aussi, je ne verrai pas mon frère qui prépare un voyage de plus d’un an en Espagne et au Mali. Personne ne saura où je suis aujourd’hui.
«Au bureau» comme ils disent, c’est l’interrogatoire. Des questions sur mon nom, mon âge, mon loyer, mon numéro de carte de banque, mes opinions politiques, mes amis. Des heures passent, je commence à trembler. Aux questions auxquelles je réponds «Je ne sais pas», ils insistent. Avant de comprendre ce qu’ils veulent. Le choc se diffuse lentement, à chaque question. C’est l’après-midi. J’aperçois des hommes cagoulés, armés. Ils viendront me chercher. Il doit être 17 ou 18 heures. Je suis menottée, attachée par une corde que tiennent deux hommes. Je suis masquée, je ne peux rien voir. Trajet en voiture. Sirènes hurlantes, escorte. Arrivée au Palais de Justice. Des couloirs, des ascenseurs, je ne vois rien. On s’arrête. Un homme m’enlève les menottes, mains sur la tête ; un autre, le masque. Je suis face à un mur gris. Une porte se ferme. Je n’ai vu personne. Je n’ai rien vu à part cette porte grise qui s’est fermée, grise comme les murs, comme le rebord en béton. Les murs lisses, affreusement lisses. Il n’y a aucune ouverture. J’ai l’impression d’étouffer. Envie de taper sur ces murs lisses. Je ne dois pas pleurer. Personne ne m’a dit un mot. J’attends. Des heures. 20 heures ? 22 heures ? Interrogatoire chez la juge d’instruction. «Vous n’avez pas tout dit.» Un cauchemar qui se poursuit. Je ne sais pas où j’ai mal. Ça va s’arrêter, j’en suis sûre. Je pleure quand elle parle de ma famille. C’en est trop.
À nouveau le cachot. Ma tête est raide. Je m’allonge sur le rebord en béton. Quelle heure est-il ? Est-ce que le temps s’allonge ou se rétrécit ? On reviendra me chercher. Chez la juge, dans ce bureau allumé au fond d’un couloir. «J’ai hésité» elle dit. Alors je sais. Sur mon mandat d’arrêt, il est 2 heures 30.
C’était il y a une semaine et quatre jours. Beaucoup de choses à dire sur le mandat d’arrêt, sur l’inculpation, sur les méthodes.
Des méthodes de cowboys, des interrogatoires où on renverse la charge de la preuve. On m’a épiée, surveillée, mise sur écoute, analysé mes comptes bancaires et mon écriture, depuis plus d’un an. Attendait-on de moi que je conforte une hypothèse de départ ? Que je donne des noms qui alimenteraient leur idée ? Leur enquête est restée désespérément vide. Est-ce pour cela que je suis en prison ? Sommes-nous là parce qu’il doit y avoir quelque chose ? Il suffirait alors de bien peu : d’affirmer des solidarités, d’avoir des idées politiques. Je l’ai entendu à notre charge, ces idées politiques ont été présentées comme en soi terroristes !
Je n’ai jamais caché mon engagement. Il est public, libre et réfléchi. Défendre des étudiants, des sans-papiers, des prisonniers politiques, se battre pour un monde plus juste, ce ne sont pas des engagements dont on doit avoir honte. Si je n’avais pas été ici, j’aurais été devant ces prisons, j’aurais écrit des communiqués, j’aurais contacté des associations.
La souffrance de ma mère et de mes frères, la solitude de mon compagnon, la tristesse de mes amis, l’incompréhension sur mon lieu de travail, la privation de liberté de quatre militants, la criminalisation de la solidarité, sont-ils des prix à payer ?
Wahoub
Prison de Berkendael
Le Soir, 17 juin 2008.