Vues du délire anti-terroriste

Publié le par la Rédaction


Farid, mis en examen de la fantasmée «mouvance anarcho-autonome francilienne» raconte…

[Ce texte a été écrit a la maison d’arrêt de Meaux-Chauconin où j’étais incarcéré jusqu’au 26 mai 2008, date à laquelle j’ai été libéré sous contrôle judiciaire après une décision de la chambre de l’instruction, contre l’avis du parquet anti-terroriste et de la juge d’instruction, ce qui montre bien que, même à l’intérieur de l’appareil judiciaire, leur délire a des limites. Isa, avec qui j’ai été arrêté est elle toujours emprisonnée et il faut maintenant faire tout notre possible pour obtenir sa libération à elle aussi.]

Je me suis fait arrêter avec Isa le mercredi 23 janvier 2008 lors d’un banal contrôle douanier à la hauteur du péage de Vierzon, comme il y en a tant sur les routes de ce pays. Enfin, dès que les douaniers ont vu que j’étais fiché par les RG, le contrôle est tout de suite devenu moins «banal». Et n’en parlons pas quand ils ont découvert le contenu du sac (du chlorate de soude acheté en quincaillerie, des plans de prison pour mineurs en construction qu’on peut trouver sur internet et des ouvrages sur des techniques de sabotage : pas de quoi fouetter un chat pourtant… mais un anarcho-autonome présumé si !). Ensuite, direction la gendarmerie à côté, placement en garde à vue mais rien de spécial c’est-à-dire droit à prévenir un proche et un avocat.

Les choses ont changé radicalement quand la brigade anti-terroriste est arrivée, décision expresse du parquet anti-terroriste de Paris, comme si ils attendaient que l’occasion se présente… Avec eux, ça devenait plus grave tout d’un coup, le seul fait de cette «prise en charge» comme ils disent, nous transformait en «terroriste». Dès le trajet à 200 à l’heure vers Paris, la pression commence : «T’as pas l’air de te rendre compte ce qu’il t’arrive !», le jeu sur le caractère exceptionnel de la procédure sera permanent. Et direct en arrivant à Paris vers 22 heures, perquisition chez moi, apparemment ils s’attendent à trouver un arsenal alors faut foncer armes au poing ! Des mecs des RG arrivent et c’est parti. Du coup sept à retourner 25 mètres carrés ça bosse dur et ils mettent la main sur … des tracts et des pétards. Je les sens un peu déçu. On fait même demi-tour à toute blinde parce qu’un peu fébriles, ils ont oublié… des affiches !

Mais comme on aura l’occasion de le voir à de nombreuses reprises par la suite [
J’ai été transféré à Meaux-Chauconin pour «proximité avec les prisonniers basques» parce que… nos cellules étaient côte à côte au D5 à Fleury. Isa a été éloignée à la prison de Lille-Séquedin pour «suspicion de tentative d’évasion» à cause… d’un dessin de la cour de promenade de la MAF de Fleury qu’elle m’avait envoyé. Maintenant, on apprend que son éloignement va se poursuivre à la prison de Rouen, il est donc grand temps d’agir pour que cesse ces mesures disciplinaires arbitraires et pour le rapprochement d’Isa dans la région parisienne.], il leur suffit de pas grand-chose voire rien pour charger le dossier… Si c’était une pathologie, ça serait entre la mégalomanie et la mythomanie mais là, non, c’est de la «lutte contre le terrorisme d’extrême-gauche». C’est comme ça que je lirai après incrédule dans leurs papiers qu’ils appellent les pétards des «mélanges oxydants réducteurs pouvant être utilisés comme chargement d’engins explosifs improvisés»…

Là, direction le siège de la DNAT à Levallois-Perret, hommes en armes aux aguets à l’entrée, on entre dans un bunker en préfabriqué ultra sécurisé : les grands moyens sont déployés pour nous et on se demande à quelle sauce on va être dévoré ! On est placé chacun aux extrémités des locaux de garde à vue, il n’y a que nous. Isolement sensoriel garanti : un store devant la vitre de la cellule empêche de voir même le couloir, on n’entend rien de l’extérieur, l’insonorisation est totale, le seul bruit est celui de l’aération qui ne se déclenche pas au même moment dans nos deux cellules et couvre ainsi nos cris pour nous donner du courage (ça les empêche pas de nous punir en laissant allumer une sorte de néon aveuglant dans la cellule). Vont suivre trois jours d’interrogatoire intensif, ouvrable de 7 heures à minuit, ici oui on travaille plus pour gagner plus. Ils viennent nous chercher trois fois par jour, de préférence quand ils ont vu avec la caméra dans la cellule qu’on s’était endormi. On ne sait jamais quelle heure il est, combien de temps on a déjà passé dans cet enfer froid. Ils nous cuisinent pendant deux à trois heures interminables à chaque fois. Une des menottes est accrochée à un anneau rivé au bas du mur, ça facilite la chute ! Tout est fait pour nous rendre étrangers à nous-mêmes, la tête dans un étau, c’est l’aliénation totale qui nous guette.

Le ton monte au fur et à mesure, ça sent l’«obligation de résultat», les aveux à tout prix. Les deux mêmes flics tout au long des trois jours qui m’entourent pour m’interroger reçoivent souvent des coups de fil de leur hiérarchie et se plaignent que le chef quand même… Ils essayent de nous diviser et jouent sur tous les registres, tentant l’humour de temps en temps (enfin à leur manière, «Nous les manifs on est pas contre… si c’est des manifs d’avocats ah ah ah») de plus en plus menaçants («Tu te rends pas compte tu pars pour 10 ans là, le juge il va voir, soutien à Action directe, tu vas visiter un mec en prison, il a déjà pris sa décision alors dis nous tout maintenant parce qu’après tu vas aller moisir en prison»). Finalement, les mêmes techniques que dans les gardes à vues de droit commun par lesquelles j’ai déjà pu passer, sauf que là, les moyens pour impressionner, écraser, faire peur somme toute, sont décuplés et qu’il est beaucoup plus dur de préserver son intégrité psychologique en déclarant quelque chose.

Vers la fin des 96 heures, comme je ne reconnais rien de leurs délires, j’ai droit au coup de pression du chef en personne qui vient me dire que de toutes façons, étant une «valeur sûre» pour eux, déjà sous surveillance de la SDAT depuis quelques temps, il a eu le juge au téléphone et mon sort est réglé, la prison !… En même temps, je les entends gueuler sur Isa puis se congratuler pour l’avoir «fait passer à table»… de vraies hyènes ! Un dernier interrogatoire le samedi soir vers minuit au cas où j’avouerais enfin «parce qu’après il sera trop tard». Jusqu’au bout ils essayent de faire croire à un enjeu de leurs interrogatoires et jouent sur la peur de la prison (et du temps qu’on va y passer) alors que comme ils le disent eux-mêmes tout est déjà joué ou se jouera ailleurs… Et puis ils nous demandent de signer qu’on n’a subi aucune violence physique ! La torture blanche par contre ils connaissent pas !

Ensuite, on est transféré au dépôt de Paris où on arrive au milieu de la nuit. On y reste toute la journée, la crasse et le bruit ont quelque chose de rassurant. Enfin, le dimanche soir, c’est-à-dire une grosse centaine d’heures après notre arrestation, à bout de forces au moment où il en faut le plus, on passe devant la juge d’instruction anti-terroriste qui signifie la mise en examen et demande la détention préventive, puis devant le juge des libertés et de la détention qui nous incarcère à Fleury-Mérogis (c’est le même juge qui avait déjà renouvelé la garde à vue et dont les flics disaient qu’ils en voyaient pas l’utilité vu qu’il suivait toujours le procureur…).

Le lendemain, après avoir enfin dormi, je lis l’ordonnance de mise en détention provisoire : je suis mis en examen pour ma «participation présumée à une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme, en l’occurrence pour avoir participé aux activités de la “mouvance anarcho-autonome francilienne” […] ces faits s’inscrivant dans le cadre d’actions concertées et violentes visant à déstabiliser les structures de l’État français». J’ai du mal à me dire que ce bout de papier écrit dans un langage si étranger parle de moi.

Mais par la suite, lors des interrogatoires au cabinet de la juge d’instruction, j’ai vu que si, c’est bien de moi qu’on parlait et même que de ça. Une véritable obsession, tout y passe, l’enfance, la famille, les voyages, les lectures et toujours pour chercher des racines fantasmées au terrorisme. Sans parler de l’expertise psychiatrique surréaliste («Que pensez-vous de vos parents ? Avez-vous des problèmes avec les femmes ? Est-ce que vous vous aimez ?») qui sera pourtant souvent citée pendant l’instruction. Et plus que des actes, c’est la dangerosité qui est jugée, la dangerosité d’une vie qui se veut en lien avec tous ceux qui luttent contre l’exploitation et l’oppression de ce système.

Puis la base de ce délire paranoïaque se trouve dans le contexte social actuel de révolte réelle ou crainte et dans l’interprétation de certains faits par la police aux ordres du pouvoir politique. En effet, il parait que depuis l’élection de Sarkozy, les actions violentes se multiplient. Les rapports de police créent alors un lien entre toutes ces actions pour les attribuer à une même organisation. C’est plus facile et puis c’est pratique quand il s’agit de charger des dossiers. L’ennemi intérieur trouvé, il faut lui donner un nom, «organisation» c’est un peu gros quand même alors on va appeler ça mouvance, c’est passe-partout ! Et comme les RG ne se renouvellent pas beaucoup, on va aller chercher un nom dans les années 80, où flotte le spectre de la lutte armée. Alors «anarcho-autonome». Que personne ne se soit jamais revendiqué comme tel n’est pas un problème… Il fallait bien trouver un nom. Vous avez déjà vu une organisation terroriste anonyme vous ?

C’est la magie de l’État, autrement dit un montage politico-judiciaire en bonne et due forme.

Ils fabriquent des «terroristes» pour étouffer toute contestation libre par la terreur et accroître leur contrôle.
À bas les montages de l’anti-terrorisme épouvantail d’un État en voie de totalitarisation.
Face à leur répression notre révolte reste déterminée.
Nous n’avons plus peur.
Liberté pour Isa !
Liberté pour tous !

Indymédia Nantes, 17 juin 2008.
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